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Le droit en débats

Le secret professionnel de l’avocat n’est pas en péril ! Notre secret est un chef d’œuvre à haute valeur constitutionnelle

Par Vincent Nioré le 30 Janvier 2023

« Le secret est mort ? Vive le secret ! »

Démonstration.

À la suite de la décision du Conseil constitutionnel n° 2022-1030 QPC du 19 janvier 2023 déclarant, comme l’on pouvait s’y attendre, conformes à la constitution les dispositions des articles 56-1 et 56-1-2 du code de procédure pénale, certains esprits chagrins ont imaginé, à tort, que le secret professionnel de l’avocat n’existait plus .

Que nenni !

L’initiative de plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité contre ces dispositions issues de la loi de réforme pour la confiance dans la justice, certes audacieuse, était évidemment périlleuse d’autant que les précédentes QPC n’ont jamais prospéré contre les anciennes dispositions de l’article 56-1 du code de procédure pénale, pour être jugées comme n’étant pas « sérieuses ».

La mission du bâtonnier de protection des droits de la défense en perquisition imprime sa valeur constitutionnelle au secret qu’il défend

La défense et la survie du secret professionnel dépendent non pas des seuls mouvements d’exaspération des institutions mais aussi de la solidité et de la résistance en fait du bâtonnier dont le rôle contestataire en perquisition a valeur constitutionnelle. La chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé à plusieurs reprises que lorsque le bâtonnier exerce ses prérogatives de contestation en perquisition, « il est un auxiliaire de justice chargé d’une mission de la protection des droits de la défense ». Il n’est pas stricto sensu « une partie » à la procédure (Crim. 8 janv. 2013, n° 12-90.063 ; 9 févr. 2016, n° 15-85.063, D. 2016. 427 ; ibid. 1727, obs. J. Pradel ).

Cependant , c’est au magistrat qui perquisitionne que le législateur, par l’article 56-1 du code de procédure pénale réformé, confie expressément la mission de veiller à ce que les investigations conduites …par lui-même… ne portent pas atteinte au libre exercice de la profession d’avocat et à ce qu’aucun document relevant de l’exercice des droits de la défense et couvert par le secret professionnel de la défense et du conseil prévu par l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, ne soit saisi et placé sous scellé …par lui-même…

Cette mission n’est aucunement confiée dans le texte par des termes aussi explicites au bâtonnier qui a la faculté, en réalité le pouvoir absolu d’ordre public voir tout simplement le devoir, de contester s’il estime la saisie « irrégulière » identifiant alors le magistrat qui perquisitionne comme l’auteur d’une « irrégularité » et faisant du juge des libertés et de la détention (JLD) le juge de cette « irrégularité » ou d’une manière générale de la « régularité » des saisies et de la perquisition.

Exerçant les droits de la défense, il est dès lors investi d’une mission dont le Conseil constitutionnel juge qu’elle a valeur constitutionnelle au contraire du secret professionnel auquel cette vénérable institution refuse à tort cette même valeur. Le texte de l’article 56-1 du code de procédure pénale par sa référence à la protection de l’exercice des droits de la défense par le magistrat renforce cette interprétation.

Et c’est dans ce refus de constitutionnaliser le secret professionnel que réside la difficulté puisque le Conseil constitutionnel, par excès d’amour propre sans doute, ne tire pas les conséquences de la nature constitutionnelle que la chambre criminelle de la Cour de cassation assigne au rôle du bâtonnier.

Il faut se rendre à l’évidence : le bâtonnier qui conteste des saisies en perquisition exerce les droits de la défense quelle que soit la nature des pièces saisies. Couvertes ou non par le secret professionnel, qu’il s’agisse ou non du secret de la défense, du secret du conseil pour la défense ou du secret du conseil pour l’activité purement juridique et fiscale sans aucun rapport avec l’activité judiciaire. Rattaché au rôle contestataire du bâtonnier, le secret professionnel participe en toutes matières intrinsèquement de l’exercice des droits de la défense si bien que secret et droits de la défense forment un tout indivisible dont magistrat qui perquisitionne et bâtonnier contestataire doivent chacun pour leur part assurer la préservation.

Le secret professionnel du conseil juridique et fiscal prend alors en contestation de saisie, toute sa dimension de nature constitutionnelle. Contester c’est défendre. Défendre c’est conseiller.

Conseiller c’est défendre par le conseil donné. C’est anticiper, c’est prévenir pour éviter d’avoir à panser des blessures en espérant pouvoir guérir. Le conseil et la défense sont indivisibles et le renvoi de l’article 56-1 du code de procédure pénale à l’article 66-5 de la loi de 1971 en est la confirmation à propos de l’identité de nature du secret en matière Judiciaire et du secret en matière juridique nonobstant les sophismes et interprétations malignes.

In fine, au-delà des craintes éprouvées face au risque d’intrusion en matière de secret du Conseil, les dispositions de l’article 56-1-2 du code de procédure pénale ne devraient pas effrayer outre mesure. Gardons-nous des peurs paniques qui relèvent du canular. En l’état, les perquisitions en application de ce texte sont rares.

Certes, la profession d’avocat s’est battue pour qu’y soit réintroduite la présence du bâtonnier contestataire qui à l’origine avait disparu. En effet, en cette matière dérogatoire , le débat devant le JLD est relatif à la démonstration de la « preuve » après saisie et non de l’existence de « raisons plausibles » – nécessaires pour perquisitionner – de l’utilisation des pièces saisies relatives au secret du conseil chez l’avocat à des fins délictueuses sans que l’on sache s’il s’agit de l’avocat ou du client qui doit être identifié comme auteur étant précisé que la circulaire d’application actuellement attaquée devant le Conseil d’État , évoque le rôle incriminant du client. En contradiction flagrante avec la jurisprudence de la CEDH (CEDH 24 juill. 2008, n° 18603/03, André c/ France, D. 2008. 2353, et les obs. ) si bien que la circulaire sur ce point notamment est radicalement anti conventionnelle.

Pour l’USM, l’article 56-1-2 du code de procédure pénale institue une démonstration de « preuve » de l’utilisation des pièces saisies à des fins délictueuses en fait impossible à rapporter

Avec cette précision apportée par un syndicat de magistrats, l’USM, qui dans sa contribution du 26 novembre 2021 devant le Conseil constitutionnel soutenant le caractère inconstitutionnel de ces dispositions , a fait l’aveu de ce que la « preuve » de l’infraction reprochée au client et qui justifierait les saisies en perquisition chez l’avocat était impossible à rapporter devant le JLD où les pièces sont examinées une par une et ce dans les termes suivants : « S’agissant de montages fiscaux ou sociaux complexes, à moins d’une imprudence extrême, jamais un seul document ne peut montrer en quoi le montage est frauduleux ». Il s’agit pour le JLD d’être le juge du « fond ».

Et il faut remercier la magistrature pour sa franchise car tel est bien le cas de la preuve impossible. Mais ne nous illusionnons pas. Cet article 56-1-2 du code de procédure pénale est le pendant de la Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) dont les vertus ont été récemment louées). Leurs matières dites dérogatoires leur sont communes. Notamment la fraude fiscale, le trafic d’influence, la corruption et le blanchiment. L’article 56-1-2 du code de procédure pénale est en réalité l’antichambre de la CJIP qui annonce l’émergence salvatrice de la justice financière négociée sans que la personne morale soit sujette à une reconnaissance de culpabilité qui vaut condamnation.

La contrainte de l’intrusion est un prélude à la poignée de mains derrière le bestiau après passage en caisse par le paiement de l’amende et consignation de la volonté exprimée par la personne morale de se corriger en adhérant à un programme de rééducation/réinsertion sociale. Certes. Ne nous réjouissons pas de ce deal de justice.

L’article 56-1-2 du code de procédure pénale est le prélude à la CJIP. Le coup de force intrusif préalable au deal de justice.

L’absence de reconnaissance de culpabilité a son revers. L’impossible invocation de la règle non bis in idem dans l’hypothèse d’une double poursuite en France et à l’étranger. Alors dans tous les cas, le salut viendra encore de l’exercice des droits de la défense par l’avocat de la défense, présent en perquisition, en concours avec le bâtonnier investi de cette même mission à valeur constitutionnelle et dont le législateur voulait initialement se passer de la présence contestataire. Inutile de nous inquiéter : tant qu’il y aura des avocats de la défense et des bâtonniers déterminés, présents en perquisition, comme le disait Mireille Delmas Marty, qui louait « les forces imaginantes du droit … le moment ne sera pas encore venu de renoncer à l’espérance ».