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Le droit en débats

Chantier de la justice : la réforme de la procédure civile en (35) question(s)…

Par Corinne Bléry le 15 Novembre 2017

Le Premier ministre Édouard Philippe et la ministre de la Justice Nicole Belloubet ont détaillé au Palais de Justice de Nantes le 6 octobre 2017 un plan d’action pour la justice qui comprend cinq grands chantiers : dont la transformation numérique, et l’amélioration et la simplification de la procédure civile. Chacun de ces chantiers est piloté par deux personnalités (magistrats, avocats, professeur d’université, élus et cadre du secteur privé) qui doivent rendre leurs conclusions à la garde des Sceaux le 15 janvier 2018.

Outre le principe même d’une énième réforme en matière de procédure civile – pour nous limiter à cette matière – (v. notre tribune du 17 oct. 2017), la méthode interroge.

En effet, il a été annoncé qu’« afin de mener à bien les réformes en matière de justice, le gouvernement a souhaité adopter une méthode collaborative avec les acteurs de terrain qui feront remonter aux ministères concernés leur expérience et leurs initiatives ». À cet effet, un très long questionnaire (de 35 grandes questions) a été adressé, notamment, aux magistrats par l’intermédiaire de leurs chefs de cours, aux avocats par celui de leurs bâtonniers, aux syndicats… et à des universitaires (dont la signataire, mais qui sont les autres ?). Or, étant donné la date de reddition des conclusions des groupes de travail, ce questionnaire doit être remis le 15 novembre 2017. S’il a été adressé en pièce jointe d’un courriel aux magistrats (et d’autres ?), il a été envoyé (la semaine des vacances) par voie papier à d’autres destinataires : ce qui est assez paradoxal quand il est question de dématérialisation et n’est guère efficace quand on est « pressé ». Il faut donc répondre très rapidement, pour ne pas dire dans la précipitation.

Il est vrai que les questions sont précises et laissent parfois entendre que la réforme a déjà été rédigée, avant même la « concertation » annoncée. Le recours aux MARD (comment les rendre « plusieurs attractifs » ?), la décharge de tâches pour les juges (est-ce qu’on en identifie certaines ?…), sont des préoccupations qui reviennent dans plusieurs questions. Il est vrai que le meilleur moyen de simplifier la procédure civile, c’est de la supprimer en sortant le règlement des différends des juridictions ! Une question laisse rêveur : « seriez-vous favorable à une évaluation par les habitants d’un ressort de la qualité de la justice » ? Comme l’évaluation d’un commerçant ? La généralisation de l’exécution provisoire, serpent de mer que la doctrine a jusqu’alors réussi à empêcher, refait surface…

D’autres questions sont générales : « faut-il généraliser la représentation obligatoire ? », « faut-il maintenir la distinction entre procédure écrite et procédure orale ? », « comment améliorer la mise en état ? »… et il est bien difficile d’y répondre dans la case dédiée de la version papier ; la version électronique offre heureusement plus de latitude.

La dématérialisation fait aussi l’objet de plusieurs questions : « faut-il étendre la signature électronique aux décisions rendues par les juridictions du fond ? » (oui, cela semble assez évident), « existe-t-il un obstacle à ce que la saisine de la juridiction de première instance s’effectue exclusivement par voie dématérialisée ? », « faut-il généraliser cette dématérialisation [obligatoire] aux autres procédures au sein du tribunal de grande instance (avec ou sans représentation obligatoire, gracieuse ou contentieuse) et aux autres juridictions, quelle que soit la procédure suivie ? »,… Le souci est que la « dématérialisation » n’est jamais clairement définie : parle-t-on du RPVA ? Parle-t-on d’un nouveau système à créer ? C’est à espérer.

En tout cas, les questions sont, à cet égard, assez ouvertes et, en s’affranchissant des cases, il est possible d’effectuer des propositions, d’ailleurs sollicitées : « préconisez-vous des évolutions ou précisions textuelles en matière de communication électronique ? ». C’est donc l’occasion d’évoquer à nouveau le tribunal plateforme – ou tribunal 2.0 – supposant une cyberprocédure (V., C. Bléry et J.-P. Teboul, De la communication par voie électronique au code de cyberprocédure civile, JCP 2017. 665 et l’annexe relative à l’application du code de procédure civile devant les cyberjuridictions rédigée par les auteurs). Celui-ci s’accommoderait bien d’une déclaration, ou d’une requête pour « coller » davantage au langage de l’internet, dématérialisée au greffe lui-même dématérialisé : une nouvelle fois (V. la tribune, préc.), que le code de cyberprocédure prévoit ce mode simple de saisine aurait corrélativement l’avantage de ne pas laisser ce « marché » aux braconniers du droit, plus rapides que le législateur dans sa mise en œuvre (partielle).

Le service d’accueil unique du justiciable (sur le SAUJ, v. L. Raschel, Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 : quelle modernisation du service de la justice ?, Gaz. Pal. 31 janv. 2017, p. 68 s. et Les aspects d’organisation juridictionnelle dans les décrets sur la justice du 21e siècle, Gaz. Pal. 25 juill. 2017, p. 68 s., créé par la loi J21 et en cours de déploiement) permettrait d’assurer à tous un accès à ce tribunal… à moins qu’on généralise la représentation obligatoire par avocat. Généralisation qui supposerait elle-même un financement plus efficace que l’aide juridictionnelle ou l’assurance de protection juridique, mais qui permettrait de recourir à une mise en état externalisée incitative (grâce à une fixation prioritaire de l’affaire), voire obligatoire, par le biais de la convention de procédure participative aux fins de mise en état, créée par le décret n° 2017-892 du 6 mai 2017 et qui risque de n’être guère utilisée…

Le 17 octobre, nous écrivions : « encore faudra-t-il que les moyens soient à la hauteur des annonces, car faire de la dématérialisation pour économiser des frais de timbre et avec de vieux ordinateurs sera une utopie.

Alors, une amélioration de la procédure civile, on veut y croire. Une réécriture du code de procédure civile pour ce faire, d’accord. Mais le gouvernement doit bien réfléchir et ne pas nous présenter un énième ravalement. Il serait appréciable que la réception du chantier soit sans réserve ». Le questionnaire et le calendrier ne rassurent guère quant à ces deux préoccupations. Il est permis de se demander comment le groupe de travail arrivera-t-il à dépouiller et synthétiser les réponses ?

Espérons, malgré tout, que les craintes soient infondées, que les réponses soient utiles et que la réforme soit la bonne !