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Le droit en débats

Jean-Marie Le Pen, panégyriste de la Gestapo : une vérité judiciaire, une vérité historique

Par François Saint-Pierre le 19 Avril 2016

La 17e chambre correctionnelle du tribunal de Paris, la célèbre chambre de la presse, a rendu le 12 avril 2016 un jugement digne de ses annales. Elle a relaxé Arnaud Montebourg que Jean-Marie Le Pen poursuivait en diffamation pour avoir dit, au Grand Jury de RTL, peu avant les élections municipales de 2014 : « Moi, je n’oublie pas que le président d’honneur du Front national a fait, il y a quelques années, l’éloge de la Gestapo et de l’occupation allemande ».

Une information d’intérêt général

Ce qu’avait oublié Jean-Marie Le Pen, c’est que lui-même avait effectivement été condamné par la justice pour contestation de crimes contre l’humanité, à une peine de trois mois d’emprisonnement avec sursis et 10 000 € d’amende, pour avoir tenu des propos qui « tendaient sciemment à minimiser les exactions commises par l’occupation allemande et la Gestapo », comme l’avait constaté la Cour de cassation en rejetant son pourvoi, par un arrêt du 19 juin 2013.

La relaxe prononcée par le tribunal correctionnel ne faisait guère de doute. Comme s’en est défendu « avec une certaine fierté » Arnaud Montebourg à l’audience, « il était nécessaire d’informer le public, à la veille des élections municipales, de ce que le Front national pouvait comporter parmi ses rangs des nostalgiques du IIIe Reich ». Le haut degré de protection de la liberté d’expression sur des informations d’intérêt général dans un contexte électoral excluait bien évidemment toute condamnation, conformément à la jurisprudence désormais constante tant de la Cour européenne des droits de l’homme que de la Cour de cassation. C’est pour cette raison que le procureur de la République avait lui-même requis une relaxe.

Une vérité avérée

Mais c’en est pour une autre que le tribunal l’a prononcée ! L’avocat d’Arnaud Montebourg, le bâtonnier Christian Charrière-Bournazel, avait fait valoir une exception de vérité, sur la base de l’article 35 de la loi de la loi du 29 juillet 1881. Un moyen de défense rarement admis car, « pour produire l’effet absolutoire prévu » par cet article, « l’offre de preuve de la vérité des faits diffamatoires doit être parfaite, complète et corrélative aux imputations dans toute leur portée et leur signification diffamatoire », a rappelé le tribunal.

Or, justement, c’est la preuve qu’a rapportée la défense, en produisant l’interview qu’avait donnée Jean-Marie Le Pen au journal Rivarol, lors de laquelle il s’était – une fois de plus – abandonné à sa nostalgie vichyste, soutenant que la Gestapo avait « arrêté un massacre » qu’allait commettre « un lieutenant allemand, fou de douleur que son train de permissionnaires ait déraillé dans un attentat » commis par la Résistance… Propos qui avaient valu à Jean-Marie Le Pen sa condamnation à trois mois d’emprisonnement avec sursis pour contestation de crimes contre l’humanité, confirmée par la Cour de cassation, par l’arrêt du 19 juin 2013 que nous rappelions.

On doit user de la rhétorique selon les règles de la justice

Le jugement de la 17e chambre prend ici toute son importance. Il y a une vérité incontestable, a dit le tribunal : Le Pen a bien tenu ces propos dans Rivarol, et ces propos ont bien été condamnés par la justice, sous cette qualification de contestation de crime contre l’humanité. Interdire à Arnaud Montebourg de les rappeler publiquement, qui plus est en période électorale, en déclarant avec cran que Le Pen avait fait « l’éloge de la Gestapo et de l’occupation allemande », serait revenu à nier cette vérité historique et à censurer le débat politique. Il n’en était pas question. La loi sur la presse ne pouvait être ainsi manipulée au détriment de la liberté d’expression.

C’est pour un motif exactement symétrique que la Cour européenne des droits de l’homme a récemment rejeté le recours dont l’avait saisie Dieudonné. Celui-ci avait été condamné pour le même type de propos, tenus sur scène, en costume de déporté, accueillant Robert Faurisson, le pape du négationnisme, sous les applaudissements de son public. Eh bien la Cour européenne s’est fondée pour cela sur la Convention, dont l’article 17 interdit à quiconque de s’en réclamer pour « se livrer à une activité visant à la destruction des droits ou libertés reconnus » par ce texte.

Dans le Gorgias, Platon nous avait avertis : « On doit user de la rhétorique selon les règles de la justice », « pour de justes causes ». Et celui qui « en fait un usage tout opposé » mérite d’être sévèrement condamné !

Jean-Marie Le Pen fait appel ? Un appel voué à l’échec

Jean-Marie Le Pen a annoncé à l’AFP qu’il faisait appel de ce jugement. Libre à lui, mais son recours est voué à l’échec, car sans doute ne sait-il pas que, depuis un arrêt du 5 février 2014, il est jugé que sur appel de la seule partie civile, la cour d’appel ne peut plus revenir sur la relaxe définitivement prononcée au pénal ; seule une faute civile distincte peut alors être éventuellement retenue. Or, en matière de diffamation, la marge est étroite, et plus encore lorsque la relaxe est justifiée par la preuve de la vérité des faits dénoncés.

Parions que la cour d’appel de Paris non seulement confirmera nettement le jugement de la 17e chambre, mais qu’en plus elle aggravera la condamnation de Jean-Marie Le Pen à 3 000 € de dommages-intérêts déjà prononcée par les juges de première instance, pour procédure abusive, sur la base de l’article 472 du code de procédure pénale !