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Le droit en débats

Noir, c’est noir !

Par Félix Rome le 06 Mars 2014

Alors, diront ceux qui méprisent les baveux, que l’on meurt à Caracas et à Kiev, l’un d’eux a, toute futilité bue, les honneurs de la grande presse, laquelle nous apprend qu’il porte un nœud papillon, roule en scooter et a refusé la Légion d’honneur, la classe, quoi… Or, donc, ce ténor s’insurge parce que certains de ses confrères, qui ont accepté ladite décoration, l’arborent sur leur robe. Et l’indigné de dénoncer, à cause du port de ce signe distinctif sur leur habit noir, « un déséquilibre qui entraîne un risque de déloyauté ». En bref, ceux de ses confrères qui, ont reçu cette breloque, non pour leurs faits d’armes mais après force courbettes, que jadis ceux de leurs aînés décorés au champ d’honneur avaient légitimement obtenu le droit de porter sur leur costume professionnel, l’exploitent désormais pour influencer les uns et intimider ou humilier les autres (1).

On pourrait s’amuser de cette indignation textile, en citant Sacha Guitry pour qui « Les avocats portent des robes pour mentir aussi bien que les femmes » (pardon maThilde !), et renvoyer l’indigné à ses chères conclusions. Pourtant, le coup de gueule du grincheux qui plaide en noir a le mérite de rappeler qu’on ne badine pas avec la robe que la loi impose à tous les avocats de France et de Navarre de revêtir, dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires. Cet uniforme judiciaire, cette sobre robe noire, les avocats doivent la porter, moins, comme l’écrivait Balzac, parce qu’« ils portent le deuil de toutes les illusions et de toutes les vertus », que parce qu’elle exprime la mémoire et incarne les valeurs de leur profession. Sa couleur rappelle qu’à l’origine les avocats étaient souvent des ecclésiastiques qui portaient haut, soutane au vent, les couleurs de la défense, raison pour laquelle les boutons, qui permettent de dissimuler les costumes ou la nudité des avocats, sont au nombre de 33, l’âge du Christ crucifié, pour ceux qui oublié leur catéchisme… Parce qu’elle est un uniforme professionnel, la robe reflète l’autorité inhérente au service public de la justice dont l’avocat est l’indispensable auxiliaire, tant il est vrai que la justice sans défense n’a de justice que le nom, elle incarne la dignité qu’exige l’exercice de sa fonction fondamentale, et elle garantit, et c’est sans doute son mérite essentiel, l’égalité entre les confrères, quelles que soient leur origine, leur condition, leur religion, leur opinion, etc. Autant de raisons qui excluent qu’un avocat puisse porter sur sa robe ébène un signe distinctif quelconque d’origine politique, religieuse, culturelle ou philosophique. Reste que, question uniformité, certains avocats sont moins égaux que les autres… Ainsi, alors que leurs confrères de province portent tous une épitoge avec un rang d’hermine, qui rime avec honneur puisque cet animal est réputé pour préférer la mort à la souillure, les avocats parisiens en sont dispensés dans leur fief, par fidélité à leurs ancêtres qui, pendant la Révolution, décidèrent de la couper en hommage à Malesherbes, raccourci pour avoir défendu le Roi. Et, même dans la capitale, l’égalité n’est pas toujours de mise en matière d’épitoge, puisque les docteurs en droit qui avec ou sans passerelle sont devenus avocats, portent, pour signifier leur excellence académique, trois rangs de fourrure sur celle-ci ; quant à eux, les secrétaires de la conférence du stage, de même que leurs aînés du conseil de l’Ordre, en exhibent un pour couronner leur succès ou afficher leur fonction.

Relevons, pour conclure, que, jadis, l’égalité entre les avocats, que rompt objectivement aujourd’hui le port d’enjolivures honorifiques complaisamment accordées par une République qui a perdu le sens des honneurs, s’étendait même au système pileux, comme l’a plaisamment narré, le 16 octobre 1936, Léon Lyon-Caen, avocat général à la Cour de cassation, lors de l’audience solennelle de rentrée de ladite Cour. Le 6 août 1844, la Chambre des requêtes se prononça sur le pourvoi formé par deux avocats que le tribunal d’Ambert avait condamné pour « atteinte à la dignité de la justice et manque de respect envers les magistrats », parce qu’ils s’étaient présentés à l’audience avec des… moustaches. Pour le rejeter, elle suivit l’opinion de son conseiller rapporteur, pour lequel le port de la moustache à l’audience par des avocats revêtus du costume officiel était « peu en harmonie » avec ce dernier, d’autant que « tout le monde sait que la moustache n’est d’usage que parmi les militaires, et que si elle est portée exceptionnellement dans l’ordre civil, elle n’est admise ni dans la magistrature ni parmi les avocats ». Au poil, non ?!?

P.S. Amitiés à François Glansdorff, fidèle lecteur rencontré au détour d’une équipée doctorale en terre bruxelloise !

 

L’éditorial de Félix Rome reproduit ici a été publié dans le Recueil Dalloz n°8 du 27 février 2014.

 

 

 

 

(1) Lire aussi "Décorations sur la robe d’avocat : Me Jean-Pierre Versini-Campinchi n’en veut pas".