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Précisions sur l’interdiction d’identification des victimes d’infractions sexuelles

Refusant de transmettre deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), la chambre criminelle a jugé que l’article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881, interdisant l’identification des victimes d’infractions sexuelles, ne méconnaissait ni le principe de légalité des délits et des peines, ni la liberté d’expression.

Contexte de l’affaire

Déclaré coupable en première instance, le requérant a été condamné par la cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 3 février 2022, pour diffusion d’image ou de renseignement sur l’identité d’une victime d’agression ou d’atteinte sexuelles sans son accord écrit, sur le fondement de l’article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881. Contestant sa culpabilité, le requérant faisait valoir que l’article ne pouvait s’appliquer puisque la plaignante n’avait jamais officiellement été reconnue comme victime d’une agression sexuelle. Dans leur argumentaire, les juges du fond répondaient à cela que le terme de victime pouvait en effet recevoir plusieurs acceptions, mais que son emploi dans l’article visé s’appliquait nécessairement « à toute personne se présentant comme telle ». Partant, l’infraction était constituée.

Le prévenu s’est pourvu en cassation et a présenté à cette occasion deux QPC relatives à l’article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881.

Si la chambre criminelle a admis que la disposition législative contestée était bien applicable à la procédure et n’avait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution, elle a jugé que les questions ne présentaient ni un caractère sérieux, ni nouveau puisqu’elles ne portaient pas sur l’interprétation de dispositions constitutionnelles dont le Conseil constitutionnel n’aurait pas encore eu l’occasion de faire application.

Sur la question de la conformité avec le principe de légalité des délits et des peines

La première QPC visait à s’interroger sur la conformité de l’article 39 quinquies avec le principe de légalité des délits et des peines, garanti par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, en ce qu’il ne désigne pas précisément les personnes qui doivent être regardées comme victimes au sens de ce texte.

La chambre criminelle a estimé que la question posée ne présentait pas de caractère sérieux dès lors que la notion de victime d’infraction sexuelle est suffisamment claire et précise pour que son interprétation puisse se faire sans risque d’arbitraire.

La Cour se montre ici plus évasive que les juges du fond qui, dans la décision à l’origine du pourvoi, avaient précisé que le terme de « victime » s’appliquait « (…) à toute personne se présentant comme telle ». Ainsi, sans entraver la présomption d’innocence, cette formulation permet de protéger les potentielles victimes d’infraction sexuelle. En ce sens, la cour d’appel de Montpellier avait affirmé que « si l’accusé est présumé innocent, la victime potentielle d’un crime de cette gravité a droit à la préservation de son identité » (Montpellier, 30 mars 1998, n° 1998-034728). Alors, une déclaration de culpabilité n’est pas nécessaire pour que les victimes présumées puissent se présenter comme telles et bénéficier de la protection offerte par l’article 39 quinquies.

Cette position suit la logique de la procédure pénale où les victimes présumées peuvent devenir parties à la procédure dès le stade de l’instruction en se constituant partie civile, ce qui leur permet de jouir d’une multitude de droits attachés à cette qualité sans pour autant avoir été reconnue comme victime par une décision de justice.

Sur la question de la conformité avec la liberté d’expression

La deuxième QPC mettait en doute la conformité de l’article 39 quinquies avec la liberté d’expression garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, en ce qu’il réprime la diffusion de renseignements concernant l’identité d’une victime d’une agression ou d’une atteinte sexuelles, ou l’image de cette victime lorsqu’elle est identifiable, sans effectuer de différence avec les situations où de tels renseignements ou une telle image auraient déjà été diffusés par la victime elle-même.

Là encore, la chambre criminelle a jugé que la question était dépourvue de caractère sérieux. D’abord, elle a mis en avant le fait que l’article 39 quinquies poursuivait un objectif d’intérêt général en ce qu’il permet de protéger la dignité et la vie privée des victimes d’infractions sexuelles en évitant dans le même temps que des pressions soient exercées contre celles-ci. La motivation de la Cour est fidèle à ses propres exigences dans la mesure où elle n’a pas justifié l’atteinte à la liberté d’expression par la seule protection de la...

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