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Le droit en débats

Les clauses de buyout – d’acquisition forfaitaire des droits dans les contrats d’auteur pour les SMAD – illicéité et qualité de producteur audiovisuel

L’arrivée de celles que l’on appelle les « plateformes », plus techniquement appelées services de médias audiovisuels à la demande (SMAD), dans le paysage audiovisuel français, n’est pas seulement source de bouleversements économiques, elle est aussi à l’origine d’une remise en cause de beaucoup de fondamentaux du droit d’auteur français.

Par Christophe Pascal le 10 Novembre 2022

Il ne sera pas ici fait l’exégèse de toutes les clauses des contrats d’auteur souscrits dans la perspective d’une exploitation sur les plateformes, qui mériteraient pourtant de très longs développements, tant nombre d’entre elles seraient susceptibles de revêtir un caractère abusif, ou déséquilibré, au sens notamment de l’article L. 442-1, I, 2°, du code de commerce.

Seule sera abordée ici une clause que l’on pourrait qualifier d’emblématique de la problématique posée, en termes de droits d’auteur, par la gestion des relations entre les plateformes et les producteurs qui produisent pour leur compte.

Cette clause peut s’énoncer plus ou moins ainsi :

« En cas de production majoritaire de l’Œuvre par un SMAD en vertu d’un deal de type buyout ou équivalent, il est d’ores et déjà convenu que ledit SMAD sera seul responsable du paiement de la rémunération proportionnelle revenant le cas échéant à l’Auteur et des éventuelles redditions des comptes y afférentes, la responsabilité du Producteur ne pouvant en aucun cas être engagée à cet égard.

Concernant l’exploitation de l’Œuvre en SVOD en cas de production majoritaire de l’Œuvre par un SMAD en vertu d’un deal de type buyout ou équivalent : la base de calcul de la rémunération proportionnelle ne pouvant être déterminée en pratique pour l’exploitation de l’Œuvre sur les services SVOD et ainsi que l’autorise l’article L.131-4 du CPI, en contrepartie de la cession des droits SVOD, dans le monde entier, l’Auteur percevra, à titre de rémunération définitive et forfaitaire, les sommes mentionnées à l’Article XX ci-avant, l’Auteur ne pouvant prétendre à aucune rémunération additionnelle de quelque nature que ce soit. Le paiement de cette rémunération forfaitaire sera néanmoins sans préjudice de la rémunération que l’Auteur pourrait percevoir séparément par l’intermédiaire de la SACD pour la France, la Belgique, Monaco, le Luxembourg et Andorre ainsi que pour tous autres territoires dans lesquels un accord SACD avec ledit SMAD a été conclu. »

Il sera précisé que la notion de « deal de type buyout ou équivalent » doit s’interpréter comme la pratique par laquelle le SMAD acquiert forfaitairement de son cocontractant les droits – tous les droits – sur une œuvre audiovisuelle.

Cette clause, outre le fait qu’elle n’apparaît pas conforme aux dispositions impératives imposant la rémunération proportionnelle des auteurs (CPI, art. L. 131-4 et L. 132-25) consacre la remise en cause du contrat de production audiovisuelle, tel que défini par les articles L. 132-24 et suivants du code de la propriété intellectuelle.

Sur l’illicéité de la clause de rémunération forfaitaire

Ainsi que le rappellent les articles L. 131-4 et L. 132-25 du code de la propriété intellectuelle, le principe, s’agissant de la rémunération des auteurs, et particulièrement des auteurs d’œuvres audiovisuelles, est celui de la rémunération proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de l’exploitation.

L’article L. 131-4 du code de la propriété intellectuelle dispose ainsi que :

« La cession par l’auteur de ses droits sur son œuvre peut être totale ou partielle.

Elle doit comporter au profit de l’auteur la participation proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de l’exploitation.

Toutefois, la rémunération de l’auteur peut être évaluée forfaitairement dans les cas suivants :

  1. La base de calcul de la participation proportionnelle ne peut être pratiquement déterminée ;
     
  2. Les moyens de contrôler l’application de la participation font défaut ;
     
  3. Les frais des opérations de calcul et de contrôle seraient hors de proportion avec les résultats à atteindre ;
     
  4. La nature ou les conditions de l’exploitation rendent impossible l’application de la règle de la rémunération proportionnelle, soit que la contribution de l’auteur ne constitue pas l’un des éléments essentiels de la création intellectuelle de l’œuvre, soit que l’utilisation de l’œuvre ne présente qu’un caractère accessoire par rapport à l’objet exploité ; […] »

La clause ci-dessus rappelée prétend faire jouer l’exception permettant une évaluation forfaitaire de la rémunération au motif que : « la base de calcul de la rémunération proportionnelle ne pouvant être déterminée en pratique pour l’exploitation de l’Œuvre sur les services SVOD ».

Sans que le texte soit expressément visé, c’est donc à l’article L. 131-4, 1, qu’il est fait référence pour justifier le recours à une rémunération forfaitaire.

Or cet argument se heurte à une série d’objections.

Il y a une contradiction évidente entre la première partie de l’article, qui prétend soutenir, dans le même cas de figure (« production majoritaire de l’Œuvre par un SMAD en vertu d’un deal de type buyout ou équivalent »), que « le SMAD sera seul responsable du paiement de la rémunération proportionnelle revenant le cas échéant à l’Auteur », tout en expliquant immédiatement après que le recours à une telle rémunération proportionnelle est impossible.

On peut voir, aussi, une incohérence au regard du contexte considéré : en quoi une « production majoritaire de l’Œuvre par un SMAD en vertu d’un deal de type buyout ou équivalent » conduirait à ce que « la base de calcul de la rémunération proportionnelle ne pou[rrait] être déterminée en pratique pour l’exploitation de l’Œuvre sur les services SVOD » alors qu’elle pourrait l’être dans un cas [pour paraphraser la clause] de « production minoritaire de l’Œuvre par un SMAD en dehors d’un deal de type buyout ou équivalent » ?

En toute hypothèse, s’agissant d’une exception à une règle qui est d’ordre public (« La cession par l’auteur de ses droits sur son œuvre […] doit comporter au profit de l’auteur la participation proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de l’exploitation »), elle ne peut qu’être interprétée restrictivement1.

Pour appliquer l’exception visée par l’article L. 131-4, alinéa 1er, du code de la propriété intellectuelle, il faut donc être confronté à une impossibilité pratique de déterminer la base de calcul de la participation proportionnelle, c’est-à-dire l’assiette de calcul de la rémunération proportionnelle.

Les cas visés sont essentiellement ceux d’une exploitation ne générant pas de recettes, que celle-ci soit gratuite ou à des fins publicitaires.

En l’espèce, aucune démonstration n’est même proposée de l’affirmation suivant laquelle : « la base de calcul de la rémunération proportionnelle ne p(eu)t être déterminée en pratique pour l’exploitation de l’Œuvre sur les services SVOD ».

Pourtant, la détermination de la base de calcul de la rémunération proportionnelle dans un tel cas apparaît d’autant plus possible que l’article L. 132-28-1 du code, inséré dans les dispositions concernant le contrat de production audiovisuelle, prévoit que : « Le contrat autorisant la communication au public d’une œuvre sur un service de médias audiovisuels à la demande au sens de l’article 2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 prévoit la transmission au cédant d’une information sur le nombre d’actes de téléchargement, de consultation ou de visualisation de cette œuvre selon une périodicité adaptée à la diffusion de l’œuvre et au minimum une fois par an. »

La définition d’un service de médias audiovisuels à la demande au sens de l’article 2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ne distingue d’ailleurs nullement, contrairement à la clause susvisée, suivant la nature de la cession dont bénéficie ce SMAD, puisqu’il vise « tout service de communication au public par voie électronique permettant le visionnage de programmes au moment choisi par l’utilisateur et sur sa demande, à partir d’un catalogue de programmes dont la sélection et l’organisation sont contrôlées par l’éditeur de ce service ».

Par ailleurs, les conventions signées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel avec les SMAD prévoient ce qu’elles appellent les « conditions d’accès des ayants droit aux données d’exploitation de leurs œuvres », rendant concrètement possible la détermination de la base de calcul de la rémunération proportionnelle.

Enfin, l’article L. 131-5-1 I du code de la propriété intellectuelle, après avoir prévu que : « Lorsque l’auteur a transmis tout ou partie de ses droits d’exploitation, le cessionnaire lui adresse ou met à sa disposition par un procédé de communication électronique, au moins une fois par an, des informations explicites et transparentes sur l’ensemble des revenus générés par l’exploitation de l’œuvre, en distinguant les différents modes d’exploitation et la rémunération due pour chaque mode d’exploitation, sous réserve des articles L. 132-17-3 et L. 132-28. Cette obligation est sans préjudice de celle prévue à l’article L. 132-28-1 » ; ajoute : « II.- Lorsque les informations mentionnées au premier alinéa du I sont détenues par un sous-cessionnaire et que le cessionnaire ne les a pas fournies en intégralité à l’auteur, ces informations sont communiquées par le sous-cessionnaire. […] »

La nature de la relation contractuelle entre le Producteur, bénéficiaire de la cession des droits de l’auteur, et la plateforme, ne saurait donc avoir d’impact sur la rémunération due à l’auteur.

En réalité, cette clause interroge sur cette relation contractuelle elle-même.

Sur la notion de producteur audiovisuel

L’article L. 132-23 du code de la propriété intellectuelle dispose que : « Le producteur de l’œuvre audiovisuelle est la personne physique ou morale qui prend l’initiative et la responsabilité de la réalisation de l’œuvre. »

L’article L. 215-1 du même code va dans le même sens lorsqu’il indique : « Le producteur de vidéogrammes est la personne, physique ou morale, qui a l’initiative et la responsabilité de la première fixation d’une séquence d’images sonorisée ou non. »

Dès lors le contrat dit de « production audiovisuelle » visé par l’article L. 132-24 du code de la propriété intellectuelle est bien : « Le contrat qui lie le producteur (celui qui prend l’initiative et la responsabilité de la réalisation de l’œuvre) aux auteurs d’une œuvre audiovisuelle […] ».

C’est à l’aune de ces textes qu’il convient d’apprécier les stipulations de la clause rappelée ci-dessus qui indique qu’« En cas de production majoritaire de l’Œuvre par un SMAD en vertu d’un deal de type buyout ou équivalent, il est d’ores et déjà convenu que ledit SMAD sera seul responsable du paiement de la rémunération proportionnelle revenant le cas échéant à l’Auteur et des éventuelles redditions des comptes y afférentes, la responsabilité du Producteur ne pouvant en aucun cas être engagée à cet égard. »

Si le « producteur » ainsi visé n’est pas responsable, c’est tout simplement qu’il n’est pas un producteur audiovisuel au sens des dispositions précitées…

La Cour de cassation a eu l’occasion de le rappeler, dans un arrêt qui a été peu commenté2, sous le visa de l’article L. 132-23 du code de la propriété intellectuelle : « Qu’en statuant ainsi, alors que, selon ses propres constatations, la société RFO avait chargé la société Visio concept, en tant que producteur exécutif, de la fabrication de quinze émissions présentant des caractéristiques précisément définies, moyennant une rémunération fixe, ce dont il résultait qu’elle participait au risque de la création de l’œuvre, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »

Un arrêt beaucoup plus ancien (et plus connu) de la Cour de cassation du 16 juillet 19973, rendu dans le cadre des soubresauts judiciaires ayant suivi la mise en liquidation de feu la chaîne La Cinq, va dans le même sens.

En effet, même si cet arrêt est essentiellement rendu en contemplation de l’article L. 132-30 du code de la propriété intellectuelle, fixant, pour reprendre les termes de la Cour : « les conditions de validité d’une cession portant sur des œuvres audiovisuelles » et confirmant le caractère impératif (ordre public de protection) de ces dispositions, et que l’on peut, dès lors, s’interroger sur la référence dans l’arrêt, à « l’article L. 132-23 du code précité » (seul l’article L. 132-30 étant préalablement visé), la Cour de cassation souligne que « la qualité de producteur, au sens de l’article L. 132-23 du code précité, appartient aussi bien au producteur isolé qu’aux différents coproducteurs associés à l’œuvre de production et participant au risque de la création de l’œuvre ; qu’ayant relevé que les contrats conclus par la société Ciné Cinq étaient des contrats de coproduction de films et qu’ils donnaient au coproducteur des moyens de contrôle sur la conception et la réalisation des films ainsi qu’une participation à leur exploitation en contrepartie d’un financement, le « producteur délégué » agissant dans le cadre d’un mandat d’intérêt commun, les juges du second degré ont pu en déduire que la société Ciné Cinq avait la qualité de producteur […].

Il est dès lors clair que, dans l’hypothèse dans laquelle se situe la clause susvisée, c’est-à-dire celle d’« un deal de type buyout ou équivalent » par lequel le SMAD acquiert forfaitairement les droits – tous les droits – sur une œuvre, le contractant de l’auteur ne saurait être le producteur exécutif chargé, pour le compte du SMAD, de « fabriquer » une œuvre sur laquelle il ne détient aucun droit.

Ce producteur exécutif n’a donc pas les qualités requises par les articles L. 132-23 et L. 215-1 du code de la propriété intellectuelle n’ayant ni l’initiative et, en tout cas, pas « la responsabilité de la réalisation de l’œuvre ».

Reconnaître le contraire reviendrait à valider un contournement du code de la propriété intellectuelle.

En effet, les contrats (entre les SMAD et leurs producteurs exécutifs) sont soumis le plus souvent à des dispositions américaines « work made for hire »4, par lesquelles le commanditaire (le SMAD) acquière ab initio les droits d’auteur.

Ce modèle est radicalement incompatible avec le droit d’auteur français, la loi française ayant, elle, clairement condamné, dès le vote de la loi du 11 mars 1957, toute référence au copyright (CPI, art. L. 113-7) :

« Ont la qualité d’auteur d’une œuvre audiovisuelle la ou les personnes physiques qui réalisent la création intellectuelle de cette œuvre.

Sont présumés, sauf preuve contraire, coauteurs d’une œuvre audiovisuelle réalisée en collaboration :

  1. L’auteur du scénario ;
     
  2. L’auteur de l’adaptation ;
     
  3. L’auteur du texte parlé ;
     
  4. L’auteur des compositions musicales avec ou sans paroles spécialement réalisées pour l’œuvre ;
     
  5. Le réalisateur. […] »

Admettre une cession forfaitaire, pour des motifs précisément tirés de l’existence de ces contrats, reviendrait donc à valider un contournement des dispositions impératives du code de la propriété intellectuelle.

Une conclusion radicale s’impose : le seul contractant réel de l’auteur, dans le cadre de la production exécutive « de type buyout » par lequel le SMAD acquiert forfaitairement les droits – tous les droits – sur une œuvre est le SMAD lui-même, le producteur exécutif n’étant qu’un prestataire de celui-ci.

Ainsi, la clause susvisée agit comme un révélateur de l’impasse juridique dans laquelle se trouve la pratique dont elle découle.

Confrontée à cette situation, l’auteur(e) pourra d’abord demander au Juge de faire qualifier le SMAD, agissant dans le cadre précité, comme étant son contractant, le producteur exécutif ayant agi pour le compte et dans l’intérêt de celui-ci.

En toute hypothèse, l’Auteur pourra agir sur le terrain de la nullité de la rémunération forfaitaire ainsi indûment stipulée (son cocontractant ayant la charge de la preuve concernant l’impossibilité du recours à une rémunération proportionnelle),

Cette nullité pourrait affecter la validité du contrat.

En effet, même s’il a déjà été jugé que la nullité de la clause de rémunération de l’auteur(e) n’affectait pas la validité du contrat lui-même, les juges du fond résistent souvent à cette analyse5, en considération du fait que cette clause de rémunération est un élément essentiel du contrat pour l’Auteur(e).

Tel est bien le cas en l’espèce, l’exploitation en SMAD étant déterminante de la signature du contrat de production audiovisuelle.

Le producteur exécutif, comme son commanditaire, le SMAD, sont donc sous la menace d’une nullité du contrat ou, en toute hypothèse, de cette clause.

Face à une telle demande de nullité, il est douteux que les clauses limitatives de responsabilité contractuelle, qui figurent désormais les contrats d’auteur, soient efficaces, s’agissant d’un manquement à une obligation essentielle du contrat6.

Le respect des principes fondamentaux du droit d’auteur français, particulièrement dans le domaine de la production audiovisuelle, où ils sont régulièrement bafoués, apparaît particulièrement nécessaire dans le cadre de l’intervention des SMAD, alors que la question de la rémunération des auteurs par ceux-ci est une question brûlante, notamment outre-Atlantique7.

 

Notes

1. Pour une illustration récente, v. Paris, pôle 5-1, 17 nov. 2020, n° 19/01989.

2. Civ. 1re, 14 nov. 2012, n° 11-21.276, Dalloz actualité, 6 déc. 2012, obs. P. Allaeys ; Civ. 1re, 14 nov. 2012, n° 11-21.276, RTD com. 2012. 782, obs. F. Pollaud-Dulian

3. Civ. 1re, 16 juill.1997, nos 95-13.197 et 95-13.334 P, D. 1998. 194 , obs. C. Colombet .

4. U.S. Code, Titre 17 Chapitre 2, § 201, b : (b) Works Made for Hire. — « In the case of a work made for hire, the employer or other person for whom the work was prepared is considered the author for purposes of this title, and, unless the parties have expressly agreed otherwise in a written instrument signed by them, owns all of the rights comprised in the copyright ».

5. Paris, 9 oct. 1995, RIDA avr. 1996, p. 311 ; 25 juin 2003, RIDA janv. 2004, p. 181 et 246, plus récemment, TJ Lille, ch. 1, 26 mai 2020, cité par Legalis.net, 2 juill. 2020.

6. Dans un tout autre domaine, v. Aix-en-Provence, 8e ch. A, 7 juin 2018, nos 13/18867 et 12/22405.

7. V. The End of Ownership : Why the Battle Over Paying TV Creatives Is Only Getting Crazier, par Cynthia Littleton (Variety).