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Le droit en débats

Quel avenir pour les réclamations contre les amendes forfaitaires majorées ?

Par Michel Marque le 11 Avril 2019

Le Conseil constitutionnel dans sa décision du 8 juin 20181 a déclaré contraire à la constitution une disposition législative, en vigueur depuis le 24 décembre 1958, qui rendait l’opposition à un jugement par défaut recevable jusqu’à l’expiration de la prescription de la peine.

À titre liminaire, il sera rappelé que les dispositions concernant le tribunal correctionnel sont applicables au tribunal de police en application de l’article 545 du code de procédure pénale.

Au terme de l’article 492 du code de procédure pénale en vigueur jusqu’au 9 juin 2018 « Toutefois, s’il s’agit d’un jugement de condamnation et s’il ne résulte pas, soit de l’avis constatant remise de la lettre recommandée ou du récépissé prévus aux articles 557 et 558, soit d’un acte d’exécution quelconque, ou de l’avis donné conformément à l’article 560, que le prévenu a eu connaissance de la signification, l’opposition tant en ce qui concerne les intérêts civils que la condamnation pénale reste recevable jusqu’à l’expiration des délais de prescription de la peine. »

Dans le même sens, l’article 133-5 du code pénal en vigueur jusqu’au 9 juin 2018 énonçait  que « les condamnés par contumace ou par défaut dont la peine est prescrite ne sont pas admis à purger la contumace ou à former opposition. »

Ces articles permettaient de déclarer irrecevable toute opposition à un jugement rendu par défaut et pour lequel la prescription de la peine était acquise2.

À l’occasion du pourvoi formé contre un arrêt de la cour d’appel de Caen, chambre correctionnelle, en date du 3 juillet 2017, qui a déclaré irrecevable l’opposition à un jugement du tribunal correctionnel de Lisieux, en date du 11 décembre 1996, ayant condamné un prévenu pour blessures involontaires à deux mois d’emprisonnement et dix-huit mois de suspension du permis de conduire, et s’étant prononcé sur les intérêts civils, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) était soumise à la Cour de cassation par mémoire spécial le 30 janvier 2018 ainsi libellée :

« Les dispositions des articles 492 du code de procédure pénale et 133-5 du code pénal, dont il résulte que le condamné par défaut dont la peine est prescrite n’est plus admis à former opposition, et ce même s’il a eu connaissance de la signification du jugement de condamnation après prescription de la peine, et qui le privent ainsi de la possibilité de remettre en cause le principe même de sa culpabilité, bien qu’il n’ait jamais été mis en mesure de présenter ses moyens de défense pour contester le bien-fondé de l’accusation portée contre lui, méconnaissent-elles le droit à un recours juridictionnel effectif, les droits de la défense et le principe du contradictoire, tels qu’ils sont garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ? »

Par décision du 4 avril 20183  la Cour de cassation renvoyait la QPC au Conseil constitutionnel qui rendait sa décision le 8 juin 2018 :

« Attendu qu’aux termes de cette décision, en privant la personne condamnée par défaut de la possibilité, quand la peine est prescrite, de former opposition, lorsqu’elle n’a pas eu connaissance de sa condamnation avant cette prescription et alors que des conséquences restent attachées à une peine même prescrite, l’article 492 du code de procédure pénale et l’article 133-5 du code pénal portent une atteinte excessive aux droits de la défense et au droit à un recours juridictionnel effectif, de sorte que sont contraires à la Constitution les mots « jusqu’à l’expiration des délais de prescription de la peine » figurant au deuxième alinéa du premier de ces textes et les mots « ou par défaut » et « ou à former opposition » figurant au second ; que cette déclaration d’inconstitutionnalité intervient à compter de la date de publication de ladite décision, soit le 9 juin 2018 ».

En application de cette décision, le deuxième alinéa de l’article 492 du code de procédure pénale a été ainsi modifié : « Toutefois, s’il s’agit d’un jugement de condamnation et s’il ne résulte pas, soit de l’avis constatant remise de la lettre recommandée ou du récépissé prévus aux articles 557 et 558, soit d’un acte d’exécution quelconque, ou de l’avis donné conformément à l’article 560, que le prévenu a eu connaissance de la signification, l’opposition tant en ce qui concerne les intérêts civils que la condamnation pénale reste recevable. »

Ainsi que l’article 133-5 du code pénal comme suit « Les condamnés par contumace dont la peine est prescrite ne sont pas admis à purger la contumace. »

Les deux premières décisions ont été rendues récemment4  le 20 novembre 2018 et le 22 janvier 2019 ainsi libellées « mais attendu que par décision du Conseil constitutionnel QPC n° 2018-712 en date du 8 juin 2018, prenant effet à la date de publication au Journal officiel de la République française le 9 juin 2018, ont été déclarées contraires à la Constitution les dispositions figurant au deuxième alinéa de l’article 492 du code de procédure pénale n’autorisant l’opposition à un jugement par défaut que jusqu’à l’expiration des délais de prescription de la peine et la disposition de l’article 133-5 du code pénal interdisant aux condamnés par défaut, dont la peine est prescrite, de former opposition ».

Dès lors, les tribunaux de police doivent déclarer recevable l’opposition à un jugement rendu par défaut dès lors qu’il n’est pas prouvé que le prévenu ait eu connaissance de la décision conformément à l’article 492 du code de procédure pénale et cela quelle que soit la date du jugement concerné.

Dans le cadre d’une réflexion élargie sur les conséquences de cette décision, on ne peut faire l’économie d’y inclure le dispositif législatif qui organise la contestation de l’amende forfaitaire majorée.

Quel sort réserver à l’amende forfaitaire majorée ?

L’article 529-2 du code de procédure pénale énonce qu’« à défaut de paiement ou d’une requête présentée dans le délai de quarante-cinq jours, l’amende forfaitaire est majorée de plein droit et recouvrée au profit du Trésor public en vertu d’un titre rendu exécutoire par le ministère public. »

À ce titre, l’article 530 du code de procédure pénale précise que « Le titre mentionné au second alinéa de l’article 529-2, au second alinéa de l’article 529-5 ou au second alinéa du III de l’article 529-6 est exécuté suivant les règles prévues par le présent code pour l’exécution des jugements de police. La prescription de la peine commence à courir à compter de la signature par le ministère public du titre exécutoire, qui peut être individuel ou collectif.

Dans les trente jours de l’envoi de l’avis invitant le contrevenant à payer l’amende forfaitaire majorée, l’intéressé peut former auprès du ministère public une réclamation motivée qui a pour effet d’annuler le titre exécutoire en ce qui concerne l’amende contestée. Cette réclamation reste recevable tant que la peine n’est pas prescrite, s’il ne résulte pas d’un acte d’exécution ou de tout autre moyen de preuve que l’intéressé a eu connaissance de l’amende forfaitaire majorée. »

Il sera rappelé que la procédure forfaitisée prévue aux articles 529 à 530-3 du code de procédure pénale s’applique aux quatre premières classes de contraventions énumérées à l’article R. 48-1 du code de procédure pénale, dont les quatre premières classes de contraventions au code de la route qu’elles entraînent ou non retrait de point.

Le formalisme simplifié de cette procédure qui ne voit l’intervention d’aucun juge et éteint l’action publique par le simple paiement d’une amende donne cependant au contrevenant la possibilité d’un recours soit en formulant dans les quarante-cinq jours une requête en exonération (C. pr. pén., art. 529-2) soit en adressant à l’officier du ministère public dans un délai de trente jours suivant l’envoi de l’avis l’invitant à payer l’amende forfaitaire majorée une réclamation motivée (C. pr. pén., art. 530, al. 2) accompagnée des documents visés aux articles 529-10 et 530, dernier alinéa, du code de procédure pénale.

Ainsi, en application de l’article 530 du Code de procédure pénale, le délai de réclamation reste ouvert tant que rien ne permet d’établir que le contrevenant a eu connaissance de l’amende forfaitaire majorée et la réclamation reste recevable tant que la prescription de la peine n’est pas acquise, soit un délai de trois ans suivant l’émission de l’amende forfaitaire majorée, si aucun acte interruptif du délai de prescription n’est effectué tel qu’un acte de recouvrement de la créance par exemple qui interrompt la prescription de la peine.

Enfin, au stade de l’exécution, l’article 530-2 du code de procédure pénale donne encore au contrevenant au visa des articles 710 et 711 du même code la possibilité de saisir le juge des incidents relatifs à l’exécution du titre exécutoire et à la rectification des erreurs purement matérielles qu’il peut comporter.

Aussi, les incidents contentieux relatifs à l’exécution d’un titre exécutoire, consécutifs à un rejet de la réclamation formée par le contrevenant et régis par les articles 530-2, 710 et 711 du code de procédure pénale sont-ils soumis au délai de la prescription de la peine prévue à l’article 530 du code de procédure pénale ou peut-on considérer que la décision du Conseil constitutionnel du 8 juin 2018 pourrait s’appliquer au titre exécutoire de l’amende forfaitaire majorée ?

Comme le souligne dans plusieurs décisions le Conseil constitutionnel, le droit à un recours juridictionnel effectif est susceptible d’être restreint au nom de l’objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice, sans que ces restrictions puissent priver le justiciable de toute garantie. Les restrictions ne sauraient ainsi aller jusqu’à une privation complète de tout recours contre une décision défavorable, ce qui est le cas à ce jour puisque si aucun acte d’exécution n’a permis d’informer le justiciable de l’émission d’un titre exécutoire à son encontre, tout recours au-delà du délai de trois ans après l’émission de ce titre est voué à l’échec.

S’il est admis que le droit d’accès à un tribunal puisse se prêter à des limitations implicites, notamment en ce qui concerne les conditions de recevabilité d’un recours, elles doivent tendre toutefois à un but légitime fondé sur un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

Pour rendre sa décision du 8 juin 2018 le Conseil constitutionnel, « a cherché à déterminer si une condamnation par défaut peut, alors même que la peine est prescrite, porter préjudice à la personne condamnée et justifier que celle-ci doive bénéficier, au regard des exigences constitutionnelles, d’un droit à une nouvelle procédure. »

C’est ainsi que pour fonder la censure des termes « jusqu’à l’expiration des délais de prescription de la peine » le Conseil a considéré que « dès lors, en privant la personne condamnée par défaut de la possibilité, lorsque la peine est prescrite, de former opposition, lorsqu’elle n’a pas eu connaissance de sa condamnation avant cette prescription et alors que des conséquences restent attachées à une peine même prescrite, les dispositions contestées portent une atteinte excessive aux droits de la défense et au droit à un recours juridictionnel effectif. »

Certaines amendes forfaitaires majorées n’emportent pas seulement une sanction pécuniaire mais ont aussi pour conséquence une sanction administrative de retrait de points résultant de plein droit de l’émission du titre exécutoire.

Aussi, en cheminant sur les pas du Conseil constitutionnel qui constate qu’une peine prescrite peut conserver des conséquences ce qui est le cas pour le retrait de point, peut-on considérer que ces retraits de points, qui peuvent avoir pour effet une invalidation du permis de conduire et avec elle son cortège de conséquences sur la vie sociale et professionnelle du condamné, ne présentent-ils pas une gravité telle que le législateur ne puisse priver ce justiciable d’un recours juridictionnel effectif ?

Pour être exhaustif sur ce sujet il sera rappelé que la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt Maligne c/ France5 a considéré « que le retrait de points peut entraîner à terme la perte de la validité du permis de conduire. Or il est incontestable que le droit de conduire un véhicule à moteur se révèle de grande utilité pour la vie courante et l’exercice d’une activité professionnelle. La Cour, avec la commission, en déduit que si la mesure de retrait présente un caractère préventif, elle revêt également un caractère punitif et dissuasif et s’apparente donc à une peine accessoire ».

Alors pourquoi ce qui va dans le sens d’un procès équitable pour un jugement rendu par défaut pour des contraventions ayant fait l’objet d’un traitement suivant la procédure ordinaire, ne serait pas applicable pour les amendes forfaitaires majorées relevant de la procédure simplifiée dès lors que l’infraction emporte un retrait de point ?

L’article 530 du code de procédure pénale dans sa rédaction actuelle résistera t-il à cette évolution constitutionnelle ?

La question est posée.

 

 

 

1. Cons. const. 8 juin 2018, n° 2018-712 QPC, D. 2018. 1209, et les obs. ; AJ pénal 2018. 424, obs. A. Oudoul ; Constitutions 2018. 338, Décision .
2. Crim. 13 janv. 2016, n° 15-82.085.
3. Crim. 4 avr. 2018, n° 17-85.164 (arrêt n° 869).
4. Crim. 20 nov. 2018, n° 17-85.164 ; 22 janv. 2019, n° 17-87.113.
5. CEDH 23 sept. 1998, n° 27812/95, Malige c/ France, AJDA 1998. 984, chron. J.-F. Flauss ; D. 1999. 154 , obs. B. de Lamy ; ibid. 267, obs. J.-F. Renucci ; RFDA 1999. 1004, étude C. Mamontoff ; RSC 1999. 145, obs. F. Massias ; ibid. 384, obs. R. Koering-Joulin