Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Le droit en débats

Article 121-6 du code de la route : suite et fin

Par Michel Marque le 07 Janvier 2019

Une précédente contribution intitulée « Article L. 121-6 du code de la route : un parcours bien tortueux », parue le 23 octobre dernier, faisait le point sur cet article créé par la loi du 18 novembre 2016, qui dispose que, « lorsqu’une infraction constatée selon les modalités prévues à l’article L. 130-9 a été commise avec un véhicule dont le titulaire du certificat d’immatriculation est une personne morale ou qui est détenu par une personne morale, le représentant légal de cette personne morale doit indiquer, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou de façon dématérialisée, selon des modalités précisées par arrêté, dans un délai de quarante-cinq jours à compter de l’envoi ou de la remise de l’avis de contravention, à l’autorité mentionnée sur cet avis, l’identité et l’adresse de la personne physique qui conduisait ce véhicule, à moins qu’il n’établisse l’existence d’un vol, d’une usurpation de plaque d’immatriculation ou de tout autre événement de force majeure. Le fait de contrevenir au présent article est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe ».

L’application de cette disposition législative génère un important contentieux et la Cour de cassation a eu à répondre à sept questions prioritaires de constitutionnalité (QPC). Si les six premières QPC avaient apporté des précisions sur le contour général de cette nouvelle incrimination, la dernière QPC portait sur le dernier alinéa de l’article susvisé. Dans son arrêt du 3 octobre 2018, la Cour de cassation avait considéré que cette question n’appelait pas de réponse de sa part car ne relevant pas d’une disposition légale mais de l’interprétation de l’article L. 121-6 du code de la route, qu’elle se réservait d’examiner dans le cadre normal d’un recours.

Cette attente est enfin récompensée puisque, le 11 décembre 2018, la chambre criminelle a rendu quatre arrêts1 de cassation à la suite de pourvois sur des décisions de relaxe prononcées au profit de personnes morales.

Ces décisions ont été rendues au motif que :

« Vu l’article L. 121-6 du code de la route, ensemble l’article 121-2 du code pénal ;

Attendu que le premier de ces textes, sur le fondement duquel le représentant légal d’une personne morale peut être poursuivi pour n’avoir pas satisfait, dans le délai qu’il prévoit, à l’obligation de communiquer l’identité et l’adresse de la personne physique qui, lors de la commission d’une infraction constatée selon les modalités prévues à l’article L. 130-9 du code de la route, conduisait le véhicule détenu par cette personne morale, n’exclut pas qu’en application du second, la responsabilité pénale de la personne morale soit aussi recherchée pour cette infraction, commise pour son compte, par ce représentant ;

Attendu que, pour renvoyer la société X…. des fins de la poursuite, le tribunal énonce que les faits ne peuvent être imputés à la personne morale mais à son représentant légal ;

Mais attendu qu’en statuant ainsi, le tribunal de police a méconnu les textes susvisés et le principe précédemment rappelé. »

Les protestations des spécialistes du droit routier avaient un socle commun : seul le représentant légal de la personne morale pouvait être poursuivi au titre de l’article 121-6 du code de la route en raison de l’obligation qui lui était imposée de dénoncer le conducteur de véhicule fautif.

Cette approche se justifiait en raison des difficultés d’apprécier l’une des deux conditions nécessaires à la reconnaissance de la responsabilité pénale de la personne morale à savoir que l’infraction commise par le représentant légal doit l’être pour le compte et dans l’intérêt de la personne morale.

Pour certains auteurs, ce n’est pas l’intérêt de la société que de taire l’identité et l’adresse du conducteur ayant commis l’infraction puisque cette décision ne relève pas de son objet social et surtout la protection de l’auteur de l’infraction par le représentant légal porte un préjudice évident et important à la personne morale.

Cette position n’a pas été retenue par la Cour de cassation qui va plus loin encore dans la recherche des responsables puisqu’elle prévoit que le responsable légal de la personne morale mais également la société elle-même peuvent être poursuivies simultanément. Ce choix appartient donc au ministère public dans le cadre de la politique pénale définie par le Centre national de traitement des infractions routières (CACIR) ou des officiers du ministère public localement compétents en cas de contestation.

Il sera rappelé toutefois que la Cour de cassation avait considéré en 2008 que « la responsabilité de la personne morale n’est pas engagée si l’auteur de l’infraction n’a agi que dans son intérêt exclusif, pour son propre compte, même s’il a agi dans le cadre de ses fonctions, même à l’encontre des intérêts de la personne morale »2.

À ce titre, qu’en sera-t-il du responsable légal d’une société, ayant à sa disposition un véhicule de fonction utilisé pour ses déplacements professionnels mais également personnels, quand il commettra une infraction prévue à l’article 130-9 du code de la route. En revenant à la jurisprudence précitée, comment ne pas faire supporter à la personne morale les conséquences d’une faute personnelle, sauf à s’en remettre à l’honnêteté du représentant légal.

Le ministère de la justice, lors d’une question écrite d’un parlementaire, déclarait : « Ce choix permet également un levier dissuasif plus efficace, par la possibilité d’infliger une amende quintuplée, la loi du 18 novembre 2016 ayant pris le soin de préciser à l’article 530-3 du code de procédure pénale, que ce quintuplement s’appliquait aux amendes forfaitaires »3. Ce choix de sanctionner la personne morale qui relèverait donc d’une stratégie incitative peut être efficace pour les petites structures ne pouvant pas se permettre d’assumer une telle dépense, mais je doute fort que les sociétés plus importantes entendent ce message.

Finalement, la reconnaissance systématique de la responsabilité de la société par le CACIR ne répond pas à la motivation principale du comité interministériel qui, lors de sa réunion du 2 octobre 2015, justifiait la création de cette infraction car, « trop souvent, une infraction commise par un usager au volant d’un véhicule mis à sa disposition par son employeur n’aboutit pas au paiement de l’amende ni au retrait des points. Ceci provoque le sentiment que tous ne sont pas égaux devant la sanction. […] Empêcher que les règles soient éludées est donc à ce titre également une mesure de sécurité routière indispensable ».

Ces quatre arrêts coupent court aux arguments développés par les conseils des sociétés fondés sur l’impossibilité juridique de poursuivre la personne morale.

Il convient donc de poursuivre la formation et l’information des représentants légaux des personnes morales pour que la désignation de l’auteur d’une infraction routière prévue à l’article 130-9 du code de la route devienne un acte de gestion favorable tant à la société qu’ils représentent qu’à la sécurité routière qui œuvre pour le bien de tous.

 

 

1. Crim. 11 déc. 2018, nos 18-90.020, 18-81.320, 18.82.820, 18.82.631, Dalloz jurisprudence.
2. Crim. 28 janv. 2008, n° 07-80.264, Dalloz jurisprudence.
3. Question écrite n° 01091 de M. Jean Louis Masson, réponse du ministère de la justice publiée au JO Sénat du 15 févr. 2018, p. 679.