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Le droit en débats

Réforme constitutionnelle et changements institutionnels en outre-mer : quelle voie emprunter ?

Le président de la République a récemment fait des annonces remarquées sur les aspirations d’autonomie et d’évolutions institutionnelles. Si une réforme constitutionnelle est envisagée, elle devra répondre à des demandes divergentes : les revendications de l’outre-mer pluriel diffèrent nécessairement de celles de la Corse. 

Par Patrick Lingibé le 23 Novembre 2023

Le président de la République a récemment fait deux déclarations remarquées à propos d’une réforme constitutionnelle pour répondre aux aspirations d’autonomie et de reconnaissance d’identités territoriales. En Corse, le président indique dans son discours le 28 septembre 2023 : « Pour ancrer pleinement la Corse dans la République et reconnaître la singularité, son insularité méditerranéenne, ce rapport au monde et son rôle dans l’espace qui est le sien, nous devons avancer. Et il faut pour cela l’entrée de la Corse dans notre Constitution, c’est votre souhait, je le partage et je le fais mien, car je respecte et je reconnais l’histoire, la culture, les spécificités corses dans la République. Ce lien entre cette terre, cette mer, cette ambition enracinée. La vocation de la Corse ne peut pas s’enfermer dans un texte, mais l’inscription dans un texte, et en particulier celui de notre Constitution, désormais la plus vieille et la plus durable de notre histoire. Et ce geste de reconnaissance indispensable et de la construction d’un cadre respectueux de la singularité insulaire et méditerranéenne. (…) Ce ne sera pas une autonomie contre l’État, ni une autonomie sans l’État, mais une autonomie pour la Corse et dans la République. » Devant les interrogations d’élus ultramarins, le président précise lors d’un discours prononcé le 4 octobre 2023 pour les soixante 65e anniversaire de notre Constitution : « L’avenir de la Nouvelle-Calédonie exige un cheminement commun qui nécessitera à coup sûr une révision constitutionnelle. C’est un sujet en soi. La Corse, par sa singularité insulaire et méditerranéenne, compte tenu, il faut bien le dire, des insuffisances de la mise en œuvre de la loi organique existante et à la lumière de la situation politique de la dernière décennie, ouvre la voie à une forme d’autonomie dans la République en fonction de ce que les forces politiques sauront faire cheminer. Indivisible, en effet, ne signifie pas uniforme. L’idéal républicain est assez fort pour accueillir les adaptations, les spécificités, les particularités. L’unité de la France, après tant de siècles de centralisation, dont chacun aujourd’hui perçoit la limite et les impasses, supportera cette répartition nouvelle des pouvoirs. Mieux, je le crois profondément, notre unité sera plus forte. Et à ce titre, tout particulièrement, l’ensemble de nos outre-mer doit pouvoir être mieux reconnu dans nos constitutions et, si le consensus se dégage en ce sens, donner lieu aussi à des évolutions du texte constitutionnel. » Ce discours a été suivi, le 20 octobre 2023 d’un déjeuner de travail avec les présidents et exécutifs des collectivités majeures et parlementaires d’outre-mer auxquels a été demandé un projet issu d’un consensus politique au sein de leurs territoires respectifs, au-delà de l’appel de Fort-de-France à une évolution des rapports entre l’État et les collectivités d’outre-mer. Il ne faut pas également oublier le discours prononcé le 28 septembre 2023 par le président du Sénat, Gérard Larcher, lors du congrès des régions de France à Saint-Malo où il a demandé une grande loi de décentralisation et a stigmatisé une « gouvernance trop verticale ». Il a précisé très clairement : « Il en est ainsi de la Corse (…), de même pour les outre-mer (…), il est important (…) de rénover le cadre institutionnel qui leur est applicable pour dépasser l’opposition entre assimilation et spécialisation législative et adapter ainsi les facultés de différenciation au besoin de chaque territoire s’ils le souhaitent (…). Je vous rappelle que le Sénat sera toujours garant de l’unité de la République. », se référant sur ce point aux quinze propositions formulées le 6 juillet 2023 dans le rapport le groupe de travail du Sénat sur la décentralisation intitulé Libre administration, simplification, libertés locales : 15 propositions pour rendre aux élus locaux leur « pouvoir d’agir ».

Au-delà de ces discours, cet article a pour objet de faire un point sur cette réforme constitutionnelle confrontée à des demandes d’évolution institutionnelle diverses. En effet, l’outre-mer pluriel a une demande nécessairement plurielle au contraire de la Corse, liée aux histoires et aux itinéraires de chaque territoire, de chaque population qui le compose, de chaque bassin de vie et des difficultés qui lui sont propres. Si tout le monde se retrouve pour évoluer, les propositions divergent nécessairement dans les projets et même sur la notion d’autonomie avancée ici et là.

Pourquoi réviser la Constitution ?

Ce point a été selon nous totalement perdu de vue. En indiquant lors de sa rencontre avec notamment les élus ultramarins que la réforme constitutionnelle sera en priorité consacrée à la Nouvelle-Calédonie, Emmanuel Macron n’a fait que rappeler une réalité originelle. En effet, cela a toujours été le scénario de départ et il n’y a jamais eu de réelle volonté initialement de réformer le cadre constitutionnel pour l’outre-mer.

Et pour cause : la révision constitutionnelle calédonienne n’est pas une option pour le gouvernement mais une obligation juridique. En effet, il faut rappeler que ce territoire était inscrit dans une trajectoire d’une potentielle accession à la souveraineté pleine et entière par voie référendaire de sa population. L’accord de Nouméa disposait expressément que : « La consultation portera sur le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l’accès à un statut international de pleine responsabilité et l’organisation de la citoyenneté en nationalité ». Il faut savoir que trois référendums devaient être organisés en cas de victoire du non pour respecter les engagements des accords de Matignon, même si juridiquement ce dispositif mis en place pouvait juridiquement interroger. Le premier référendum s’est tenu le 4 novembre 2018, le deuxième référendum a eu lieu le 4 octobre 2020 et le troisième et dernier référendum le 12 décembre 2021 avec une victoire du non, avec un scrutin caractérisé par une non-participation des indépendantistes qui souhaitaient un report de ce scrutin en raison notamment de la crise sanitaire. La question touchant aux conditions de l’organisation de ce référendum et de la non-participation d’une partie du corps électoral ne change rien à la situation juridique actuelle. Les résultats de ce dernier référendum ont d’ailleurs été validés par le Conseil d’État dans son arrêt rendu le 3 juin 2022, Consultation du 12 décembre 2021 relative à l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie, en précisant notamment dans son considérant n° 7 que « ni les dispositions constitutionnelles, ni les dispositions de la loi organique statutaire citées au point 2 ne subordonnent la validité du scrutin référendaire à un taux de participation minimal. Le niveau d’abstention n’est, par lui-même, pas de nature à remettre en cause les résultats d’un scrutin s’il n’a pas altéré, dans les circonstances de l’espèce, sa sincérité. Le niveau d’abstention constaté en l’espèce ne saurait être regardé comme ayant altéré la sincérité de la consultation électorale sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie alors que les partis et groupements indépendantistes ont appelé les électeurs à ne pas prendre part au scrutin. ». Le non à l’indépendance formulé par le corps électoral ayant voté sur le Caillou impose donc de réviser la Constitution afin de faire entrer la Nouvelle-Calédonie dans un cadre normal de la République. En effet, il convient de rappeler que la Nouvelle-Calédonie est actuellement régie au sein de la Constitution par un Titre XIII - DISPOSITIONS TRANSITOIRES RELATIVES A LA NOUVELLE-CALÉDONIE comportant les articles 76 et 77, ce titre ayant été créé dans la perspective d’une potentielle accession à l’indépendance de ce territoire de l’indopacifique.

En conséquence, la modification de la Constitution pour exclusivement la Nouvelle-Calédonie a toujours été au prévue que ce territoire accède à sa pleine souveraineté ou qu’il reste au sein de la République, son statut actuel n’étant que transitoire au sein de l’architecture constitutionnelle française. Ce n’est donc qu’accessoirement que s’est profilée l’éventuelle possibilité, qu’à l’occasion de cette réforme ré intégrative de la Nouvelle-Calédonie au sein de l’architecture constitutionnelle française, d’avoir un nouveau cadre institutionnel pour l’outre-mer et la Corse.

Il faut donc en conclure sans dérobade que si la réforme constitutionnelle ne porte que sur la Nouvelle-Calédonie, une réforme constitutionnelle postérieure sera en tout état de cause peu envisageable pour l’outre-mer en raison de la configuration politique parlementaire qui s’impose au chef de l’État, quelle que soit la volonté de ce dernier de réformer. On a donc oublié que la modification constitutionnelle pour l’outre-mer n’est en réalité qu’un accident de parcours qui se greffe sur l’équation calédonienne. C’est au final la Nouvelle-Calédonie qui donnera le tempo de la révision constitutionnelle par nécessité et accessoirement pour le reste qui s’y raccrochera : d’où l’intérêt de suivre les accords entre le gouvernement et les parties calédonienne quant à un accord pour le contenu de la révision constitutionnelle de leur territoire.

Une majorité parlementaire autour d’une réforme d’envergure et disruptive ?

Il convient de rappeler les termes de l’article 89 de la Constitution qui s’imposent au gouvernement pour réviser la Constitution :

« L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement.
Le projet ou la proposition de révision doit être examiné dans les conditions de délai fixées au troisième alinéa de l’article 42 et voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum.
Toutefois, le projet de révision n’est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ; dans ce cas, le projet de révision n’est approuvé que s’il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le bureau du Congrès est celui de l’Assemblée nationale.
Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire.
La forme républicaine du gouvernement ne peut faire l’objet d’une révision. »

C’est un formalisme lourd. En premier lieu, le projet ou la proposition de révision doit être voté par les deux assemblées en termes identiques, soit un texte unique adopté tant par l’Assemblée nationale et le Sénat. En second lieu, sauf recours au référendum peu envisageable en l’état car très risqué, le président de la République devrait faire le choix de soumettre cette réforme constitutionnelle au Parlement convoqué à cet effet en Congrès. Dans ce cas, le projet de révision n’est approuvé que s’il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés.

Or, il convient d’analyser les rapports politiques existant actuellement au sein du Parlement. À l’Assemblée nationale, sur un effectif légal de députés de 577, les formations politiques favorables au président de la République, soit les groupes politiques Renaissance (170 membres avec les membres apparentés), Démocrate Modem et Indépendants (51 membres) et Horizons (30 membres avec les membres apparentés) réunissent à eux trois environs 251 députés, représentant soit 43,50 % de la majorité des députés. Au Sénat, sur un effectif de légal de 348 sénateurs, la formation politique favorable au chef de l’État, soit le groupe Rassemblement Démocratiques Progressistes et Indépendants RDPI ne dispose que de 22 membres, représentant soit 6,32 % de la majorité sénatoriale. Si on ajoute à ce groupe minoritaire des groupes politiques sénatoriaux qui pourraient être favorables au président de la République (ce qui n’est pas du tout acquis), on arriverait à un chiffre d’environ 96 membres, soit 27,58 % de l’assemblée sénatoriale.

Il s’évince qu’en l’état actuel, la majorité lato sensu qui serait acquise stricto sensu au président de la République serait de 273 parlementaires, représentant soit 29,51 % de l’effectif des membres du Congrès versaillais. Si on agrandit cette base parlementaire initiale en y ajoutant des groupes sénatoriaux pouvant venir au soutien au chef de l’État, cela donnerait une représentation à 37,51 %. Or, pour qu’un projet de réforme constitutionnelle puisse aboutir il faudrait que le Congrès de Versailles, constitué en l’occurrence des 577 députés et 348 sénateurs, soit 925 membres, adopte ledit projet avec un vote au minimum 617 voix favorables (projection faite sur la base de tous les parlementaires présents et représentés).

Il est clair que même en augmentant les chiffres des groupes politiques, le président de la République ne dispose pas en l’état actuel d’une majorité acquise pour adopter un projet modifiant fortement la Constitution, quels que soient les engagements qu’il pourrait prendre à ce niveau envers les élus territoriaux concernés et de la bonne volonté dont il peut faire preuve.

En conséquence, aucune modification, même a minima, ne pourra passer sans l’adhésion donc d’autres formations politiques de l’Assemblée nationale et surtout du Sénat où le poids de l’opposition est écrasant. Avec moins de 30 % du corps électoral parlementaire, la majorité présidentielle ne pourra pas aller très loin dans une réforme constitutionnelle.

Distinguer nécessairement la révision constitutionnelle et les schémas d’évolution institutionnelle territoriaux

Il y a selon nous à l’évidence une confusion souvent faite qui mélange d’une part, la réforme constitutionnelle stricto sensu et d’autre part, les évolutions institutionnelles qui naissent au sein de certains territoires ultramarins et qui sont des histoires individuelles propres à chaque territoire.

Or, en réalité, le texte constitutionnel n’a pas vocation à s’intéresser directement aux évolutions institutionnelles des territoires qui sont le fait en réalité d’une loi ordinaire ou d’une loi organique. La Constitution n’a pour objet que de poser une base, un socle juridique sur lequel le législateur interviendra par la suite pour revêtir un habillage institutionnel pour une collectivité territoriale ultramarine ou autre d’ailleurs. Il convient également de rappeler des contraintes conceptuelles que beaucoup ont perdu de vue en s’égarant dans des projets ayant peu de chance d’aboutir au regard de ce qu’est la tradition constitutionnelle française.

Il convient de préciser ainsi la nature organisationnelle de la France. C’est historiquement un État unitaire qui se caractérise par l’existence d’un seul pouvoir politique détenu au niveau national exerçant seule la souveraineté et dont les décisions s’appliquent sur l’ensemble du territoire national avec une citoyenneté unique. La France pratique un double tempérament de cette unité étatique : d’une part, par une déconcentration avec au niveau local des représentants de l’État et d’autre part, par une décentralisation avec des autorités administratives au niveau local distinctes de l’État. Cependant ces autorités ou collectivités ne sont que des démembrements de l’État et ne sont pas dans une relation de souveraineté avec lui mais de contrôle ou tutelle administrative. En sens contraire, l’État régional est une forme d’État intermédiaire entre l’État unitaire et un État fédéral. Il se caractérise par la reconnaissance à des entités régionales d’une réelle autonomie politique et institutionnelle, notamment un pouvoir normatif autonome. L’Espagne ou l’Italie sont des exemples d’États régionaux avec dix-sept communautés autonomes pour le premier et vingt régions pour le deuxième. L’État fédéral se définit lui par l’existence d’un État fédéral souverain se superposant à des entités autonomes fédérées nommés États fédérés qui sont dotées de leur propre gouvernement. Le statut de ces entités est ordinairement garanti par la Constitution, et ne peut être remis en cause par une décision unilatérale du gouvernement central fédéral. L’Allemagne avec ses seize länder et la Belgique avec ses trois communautés et ses régions sont des exemples d’États fédéraux.

Ce rappel est important car la révision constitutionnelle envisagée ne sera pas de nature à remettre en cause les fondements et les fondamentaux de la Constitution du 4 octobre 1958 et son caractère unitaire, héritage de plus de 1 000 ans d’histoire d’une conception d’un État centralisé et centralisateur, même si l’article 1er de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République a modifié l’article 1er de notre Constitution en y faisant entrer « l’organisation de la République est décentralisée ». Pour autant, le Parlement ne transformera pas d’un trait de plume la France, État unitaire, en un état régional ou encore plus fédéral, même si nous pouvons le regretter. Pour cela, il faudrait changer radicalement de régime constitutionnel et opérer une véritable novation conceptuelle qui n’est nullement d’actualité. Il est donc peu vraisemblable que la France ne modifie pas son paradigme constitutionnel et se transformant en un État régional, créant à cet effet des titres constitutionnels pour les territoires ultramarins et autres qui souhaiteraient que leur soit reconnue une autonomie renforcée au niveau de la Loi fondamentale. Un consensus politique à ce niveau, outre les obstacles juridiques, pourrait difficilement se trouver notamment avec la Chambre haute. Ce qui doit donc amener à relativiser beaucoup de choses.

Il convient donc selon nous de rechercher une voie médiane qui puisse permettre d’assurer à l’outre-mer de s’arrimer de façon certes limitée mais surement à l’occasion de la révision constitutionnelle calédonienne.

Emprunter une voie médiane pour une évolution en faveur de l’outre-mer pluriel

Deux constats doivent être intégrés au regard de ce qui a été exposé ci-dessus.

Le premier est qu’il faut nécessairement que notamment l’outre-mer se rattache au mouvement de réforme constitutionnelle calédonienne. En effet, on ne modifie pas la Constitution tous les jours et certainement pas deux fois au cours d’un même quinquennat confronté à des difficultés récurrente de trouver une majorité parlementaire stable dans un contexte politique qui n’est par ailleurs pas apaisé.

Le deuxième impose que pour être adopté les projets de révision doivent être partagés et acceptés par une majorité qualifiée acquise des parlementaires des deux assemblées. Ce ne peut être donc qu’un projet de loi constitutionnelle dépouillé de tous ses éléments bloquants et clivants qui réunira un consensus. Ce qui veut dire claire que ce projet devra comporter des dispositions constitutionnelles consensuelles qui permettront aux élus et populations ultramarins de pouvoir élaborer des projets d’évolution institutionnelle par la voie législative.

Dès lors, il est impératif à cet effet de détacher la réforme constitutionnelle stricto sensu permettant de créer potentiellement des évolutions institutionnelles des projets d’évolution institutionnels eux-mêmes souhaités par chaque territoire pour évoluer séparément.

Il nous semble que la voie médiane pourrait être trouvée à notre sens dans les travaux menés par la Délégation sénatoriale aux outre-mer. On peut citer le rapport d’information sur la différenciation territoriale en outre-mer « Quel cadre pour le sur-mesure ? établi le 21 septembre 2020 par son président Michel Magras. Ces travaux ont été poursuivis par cette délégation et donné lieu le 16 février 2023 à un nouveau rapport d’information sur l’évolution institutionnelle des outre-mer présenté par Stéphane Artano et Micheline Jacques. Ce projet vise essentiellement à faire sauter le verrou artificiel selon nous entre d’une part, un article 73 fondé sur une identité législative que les réalités de terrain mettent à mal et d’autre part, un article 74 perçu à tort par la grande majorité des populations ultramarines comme synonyme de l’aventure vers l’indépendance. L’idée serait de basculer sur un nouveau paradigme constitutionnel au-delà de ces deux articles.

Trois modifications constitutionnelles feraient ainsi leur entrée dans la Constitution. En premier lieu, après le deuxième alinéa de l’article 72-3 de la Constitution, il serait inséré un alinéa ainsi rédigé avec la dénomination commune « Pays d’Outre-mer ». En deuxième lieu, un nouvel article 72-4 serait consacré à la consultation des populations. En troisième lieu, deux articles font leur apparition : d’une part, l’article 72-5 relatif au statut particulier de chaque Pays d’Outre-mer qui doit tenir compte de ses intérêts propres au sein de la République et d’autre part, l’article 72-6 consacré aux compétences régaliennes et à leur exercice.

L’objectif ces propositions est de permettre de manière simple d’avoir un dispositif constitutionnel fort et souple qui permet par la suite à chaque territoire d’évoluer avec des lois organiques, modulées en fonction des aspirations différentes manifestées les populations ultramarines. La majorité sénatoriale ne serait a priori pas hostile à cette modification constitutionnelle puisqu’il y est fait référence dans les quinze propositions précitées, ce qui constitue un atout majeur pour entreprendre une modification pour l’outre-mer. Cela ne répond certes pas aux projets ambitieux souhaités par certains mais au regard des difficultés mises en exergue, c’est la voie qui nous parait en l’état de la situation actuellement complexe la plus sure.

Il est indiqué qu’un amendement de réécriture des dispositions constitutionnelles relatives aux outre-mer a été présenté le 20 octobre 2020 notamment par la sénatrice Micheline Jacques, nouvelle présidente de la délégation sénatoriale aux outre-mer, à l’occasion du dépôt d’une proposition de loi constitutionnelle pour le plein exercice des libertés locales (PPLC). Ce texte reprend l’essentiel des travaux précités et donc le dispositif qui pose un cadre commun permettant ainsi à chaque collectivité ultramarine de se retrouver par la suite avec une loi organique fixant l’organisation de la collectivité concernée suivant le choix de l’évolution que sa population en fera. Le contenu de cet amendement pourrait ainsi être intégré dans la grande loi constitutionnelle sur la décentralisation proposée par le président du Sénat Gérard Larcher, provoquant ainsi un choc de simplification face à un corpus de textes devenu indigeste, peu intelligible et compréhensible, déconnectés des réalités singulièrement en outre-mer.

En conclusion, la réforme constitutionnelle envisagée devrait s’illustrer avec trois projets de loi constitutionnelle essentiels :

La première est dirimante car elle a trait à la Nouvelle-Calédonie et sa réintégration dans l’architecture constitutionnelle normale française, tout en conservant certaines particularités acquises pour lesquelles il serait difficile de revenir en arrière en tout état de cause.

La deuxième concernerait l’inscription de l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution. Nous préconisons de constitutionaliser également à cette occasion également l’abolition de la peine de mort qui résulte, comme l’IVG, d’une simple loi ordinaire.

La troisième porterait sur la grande réforme de la décentralisation dans laquelle s’insérerait le changement de paradigme constitutionnel proposé initialement par la délégation présidée à l’époque par Michel Magras. Ce changement permettrait à chaque territoire de se projeter à terme au travers d’une loi organique fixant son organisation, notamment son degré d’autonomie, sachant que les demandes à ce niveau sont différentes pour les départements et régions d’outre-mer. Cela permettrait également d’adapter dans une telle organisation les compétences régaliennes afin de répondre à des problématiques de souveraineté hors normes liées aux bassins de vie radicalement différents des standards hexagonaux et européens.

Trouver une base constitutionnelle commune qui rassemble tous les territoires ultramarins et fait consensus afin de permettre à chaque outre-mer par la suite de créer les conditions de son organisation en accord avec sa population, tel est l’enjeu essentiel pour aboutir à une modification constitutionnelle réussie.