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Le droit en débats

Vertu des bonnes pratiques

Par Thomas Cassuto le 15 Juin 2021

Dans le contexte des polémiques parfois poussées à l’extrême et du vote de la loi « confiance dans l’institution judiciaire » (adopté le 26 mai 2021 en première lecteur par l’Assemblée nationale) ainsi que l’annonce pour la rentrée de l’organisation d’États généraux de la justice, une dépêche conjointe du directeur général de la police national, du directeur général de la gendarmerie national et du directeur des affaires criminelles et des grâces datée du 31 mai 2021 sera sans doute passée inaperçue tant par sa brièveté, que par la discrétion de ses rédacteurs, de ses destinataires ou encore de la diffusion relativement confidentielle qui l’a accompagnée. Et pourtant… Sous l’objet « traitement des procédures judiciaires dans les services de police et les unités de gendarmerie » elle met en avant la nécessité d’évaluer et de résorber les stocks de procédures dans les services et unités d’enquête afin de réduire les encours et de proposer des méthodes destinées à « parvenir à davantage d’efficience ».

Au-delà de l’approche statistique qui peut sembler une charge administrative supplémentaire, cette démarche vise à offrir aux parquets, compétents pour donner une suite à ces procédures, un outil de décision fort utile permettant de piloter chaque procédure en acquérant la capacité d’une perception d’ensemble de l’activité de ces services et unités, c’est-à-dire de leurs capacités globales d’action et de leurs marges de manœuvre au quotidien.

La dépêche préconise la désignation d’un référent, même si on peut supposer que chaque magistrat du parquet devrait disposer de ces informations afin d’utiliser à bon escient les ressources humaines et matérielles services de police et de gendarmerie ; ainsi que des déplacements de magistrats et des réunions permettant de s’assurer de la mise en œuvre de mesure destinées à résorber les stocks. Jusque-là rien de très nouveau pourrait-on penser.

Mais la dépêche annonce également la mise en ligne de fiches de bonnes pratiques destinées à parvenir à cet objectif louable et largement attendue par nos concitoyens. C’est là que réside l’innovation et, combinée à la procédure pénale numérique, se révèle son potentiel remarquable.

La lecture de ces quatre fiches (atteintes aux biens, infractions routières, atteintes aux personnes et disparitions inquiétantes de majeurs, divers) qui constituent autant d’annexes à la dépêche met en évidence une rationalisation de la mise en œuvre des actes d’investigation par thématiques et des délais (inférieurs de 6 à 24 mois) dans lesquels ces investigations doivent être conduites avant orientation de la procédure par le parquet.

On peut rappeler que l’innovation du traitement en temps réel, innovation majeure du début des années 90, avait permis de réduire considérablement le temps de traitement des procédures en substituant la transmission par courrier aux fins de décision par le compte rendu téléphonique et la prise de décision concomitante avec, la possibilité de recourir à la Convocation par officier de police judiciaire (COPJ), c’est-à-dire à une convocation contradictoire devant le tribunal correctionnel. Cette révolution était née d’une expérimentation locale rapidement reconnue et diffusée à l’échelle nationale.

La rationalisation des enquêtes types par l’élaboration de protocoles de réponses appliqués par les services de police judiciaire constitue une source « d’efficience » qui doit pouvoir être optimisée par la mise en œuvre de la procédure pénale numérique qui peut permettre à la fois de vérifier le contenu formel de ces procédures, notamment l’accomplissement des formalités essentielles et nécessaires à la mise en état de ces procédures, mais également d’en apprécier la qualité par exemple en permettant une consultation de clichés photographiques représentant les lésions subies par une victime, et de constituer une véritable aide à la décision pour le magistrat du parquet en charge d’orienter les procédures.

On observe ainsi que la plupart des enquêtes pourra être traitée dans des temps beaucoup plus réduits ce qui optimisera la réponse pénale en la rapprochant de l’événement, de prévenir les risques de réitération pendant le délai de traitement et in fine de réduire les risques de récidive si l’on se réfère au principe selon lequel l’effet dissuasif de la loi pénale réside plus dans le risque d’être appréhendé et condamné que dans la peine théoriquement encourue. Le tout, pour une très grande majorité d’enquête dans un délai contraint inférieur à vingt-quatre mois, c’est-à-dire en deçà des dispositions prévues par le projet de loi sur la confiance dans l’institution judiciaire en ce qui concerne les enquêtes préliminaires.

À l’évidence, il s’agit d’un progrès que la pratique semble vouloir consacrer avant l’adoption définitive de la loi ou, à tout le moins, en s’assurant d’anticiper efficacement les effets de la loi.

Le respect d’une telle ambition visant à assurer un traitement diligent des enquêtes, qui donne lieu à un consensus général, peut et même doit s’appuyer sur la généralisation de la procédure pénale numérique (PPN).

La PPN doit permettre d’améliorer la qualité et la fiabilité des procédures notamment en garantissant le respect des droits des parties et le formalisme particulier qui accompagne la procédure pénale. La PPN constituera certainement un facteur clé de l’amélioration du traitement des procédures sous réserve d’une part que les architectures des réseaux soient adaptées et d’autre part que la PPN et les outils qui l’alimentent soient définis autour des besoins des magistrats, des enquêteurs, des professionnels du droit et des citoyens et d’autre part de sa sécurité. Vaste défi.

Il demeure que pour les procédures les plus complexes, quoique moins nombreuses, la question du délai de vingt-quatre mois impliquera une prise de décision : un classement, une orientation vers un mode alternatif aux poursuites, une CRPC, la saisine d’une juridiction de jugement, une ouverture d’information ou une décision autorisant la poursuite de l’enquête en préliminaire, le cas échéant moyennant quelques aménagements procéduraux destinés à assurer le respect du contradictoire et des droits de la défense des personnes suspectes.

La complexité de telles affaires risque de se heurter à la rigidité d’un délai butoir fixé à deux ans, singulièrement lorsque le nombre de mis en cause nécessite de très nombreuses investigations ou vérifications, lorsqu’il s’agit de procédure impliquant une dimension transnationale ou encore lorsque la nature des infractions nécessite des investigations techniques préalables complexes pour orienter la décision du parquet (terrorisme, santé publique, accidents collectifs, atteintes à l’environnement, infractions économiques et financières, trafics internationaux) à savoir nombre d’affaires qui intéressent particulièrement l’opinion publique et qui présentent de « forts enjeux procéduraux ».

Pour autant, la dépêche du 31 mai 2021 démontre les vertus de l’élaboration et du partage de bonnes pratiques comme mode d’action dans la conduite de réformes structurelles nécessaires à la modernisation des institutions.

Bien au-delà de la coopération entre services d’enquête et magistrats exprimée par le partage de bonnes pratiques, il conviendra de renforcer le rôle des parties pour contribuer à la mise en état des procédures pénales et de développer des outils professionnels qui permettent se simplifier, de rationaliser et d’optimiser la prise de décision. Il restera encore à espérer que le suivi post-sententiel, comme l’intendance, suivra.