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Le droit en débats

Mesdames les Bâtonniers, soyez des Bâtonnières !

Par Étienne Madranges le 04 Avril 2018

Vous plaidez devant des présidentes, des conseillères et des procureures. Vos propos sont consignés par des greffières. Vous citez des auteures et des professeures. Certaines, parmi vous, deviennent écrivaines. Parfois élues à la tête d’une municipalité, on vous appelle Madame le Maire, et vous devenez amères lorsqu’on vous donne du Madame la Maire. Vous n’êtes pas légion. Mais il vous arrive d’être mises à l’honneur. Par un petit ruban rouge. Vous êtes alors des bâtonnières avec un ruban à la boutonnière. La nitescence de la fonction provoque souvent la reconnaissance de la nation !

Dans le passé, l’usage exigeait impérativement que l’on vous appelât Madame le Bâtonnier. Or l’usage change avec l’évolution sociétale. La justice demeure vertu cardinale, et l’instance ordinale que vous dirigez fait de vous une femme peu banale.

Pourtant, certaines, parmi vous, privilégient un langage uxoricide. Celui qui, prétendant respecter un académisme hors d’âge en ignorant toute féminisation des titres, attente à la féminité, écorche l’égalité des rapports hommes-femmes, égratigne la dignité. Le langage mâle dominant et dominateur qui tue son épouse, la mise au féminin de lui-même.

A-t-on jamais vu et entendu un président français appeler Angela Merkel Madame le Chancelier ? au prétexte qu’elle occupe le poste historique et politique de chancelier d’Allemagne fédérale ? Certes, ambassadeurs et ambassadrices se livrent parfois encore à d’amusantes querelles linguistiques picrocholines sur leur titre officiel.

La République est une femme, Marianne. Les allégories de la justice, de la force, de la vérité sont toujours des femmes, porteuses d’une balance, d’un glaive, d’une massue, d’un miroir. Que vous dit-il, ce miroir, celui de la vérité et du renvoi à la conscience la plus intime ? Que vous pouvez bâtonner en pantalon, car il n’est pas nécessaire de porter une jupe pour être une femme de robe. Que vous pouvez bastonner les projets de la garde des Sceaux. Et bétonner les vôtres. Mais aussi que vous êtes des femmes, auxiliaires de la justice, interlocutrices de la juridiction. Et cheffes de la profession. Vous voulez vraiment en être son bâtonnier ?

Bien sûr, avant de devenir bâtonnières, vous étiez simplement avocates. Et vous avez dialogué, de façon surréaliste, avec d’autres avocates, enracinant singulièrement la masculinisation de votre fonction. À l’audience en effet, vous vous êtes, entre femmes, donné mutuellement du « mon cher confrère »… Le mot « cher » témoigne certes d’une forme d’affection sans être pour autant hypocoristique, et n’a rien à voir avec le montant des honoraires rarement fantastiques. Mais femmes confrères ? Pourquoi pas des hommes consœurs ! Les farouches tenants du terme unique « confrère » rappellent que les avocats appartiennent à une confrérie et que, dans une confrérie, il n’y a que des confrères. Un terme univoque qui encourage l’équivoque. On peut se demander comment, lorsqu’ils se trouvent dans leur jardin, ils tentent de masculiniser le mâle de la grenouille : ils doivent rester bredouilles. Le mâle de la tortue ? Ils doivent être abattus. Le mâle de la libellule ? Ils deviennent ridicules. Il y a des mots qui n’ont pas de sexe opposé. Histoire de faire genre, sans doute ! Un homme avocat qui devient une vedette restera une vedette. Il y a peu de mots réellement neutres. Quoi ou rien par exemple. Du coup, n’importe quoi et trois fois rien demeurent asexués. Mais la féminité, ce n’est pas rien, et encore moins n’importe quoi ! La féminité ne saurait être neutre.

Un avocat talentueux devient un ténor, même lorsqu’il a une voix de baryton. Une avocate talentueuse qui a une tessiture de soprano devient… elle aussi un ténor ou une ténor du barreau. Pas une soprano du barreau. Sauf si, accompagnée au piano, elle se révèle être une excellente cantatrice.

Mais il y a des mots qui ont un sexe opposé (doit-on dire différent ?). Des masculins qui ont un féminin paternaliste (gendarme et gendarmette), des masculins qui ont un féminin québécois (chef et cheffe), des masculins qui ont un féminin au sens incertain (entraîneur et entraîneure ou entraîneuse), des masculins qui ont un féminin parfaitement homologué (instituteur et institutrice).

Le présent marronnier n’aura jamais de marronnière. Mais un tonnelier a sa tonnelière, un cartonnier sa cartonnière. Un bâtonnier a donc sa bâtonnière… qui n’est pas la femme du bâtonnier mais la femme élue à la fonction traditionnellement intitulée bâtonnier, et qui aura son nom sur la liste des bâtonniers après son mandat de bâtonnière.

Il est vrai que le féminisme authentique passe par le respect de la volonté de chacune de se faire appeler comme elle l’entend. Il n’empêche. Les droits des femmes passent aussi par l’exemplarité dans la pratique. Pas par l’application de la règle grammaticale antique.

Lorsque la première femme avocate en France, Olga Balachowsky-Petit, prête serment le 6 décembre 1900, le Figaro relate l’événement. Qu’apprend-on ? Que l’impétrante a les cheveux ébouriffés, qu’elle est mignonne, gracieuse et… qu’elle a confectionné sa robe elle-même ! L’histoire ne dit pas si elle était bonne cuisinière. Ni si elle était une épouse modèle. Un récit de journaliste masculin. Près de cent vingt ans plus tard, une femme serait bâtonnier ? porterait un titre masculin devenu neutre ? au risque de rendre amphibole sa personnalité ?

Mesdames les bâtonnières, pensez à la chancelière. Soyez femmes jusqu’au bout. Jusqu’au titre. Le genre grammatical peut admettre le neutre. Le genre humain n’est jamais neutre.