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Le droit en débats

Réforme du droit des obligations : loi de ratification, saison 2

Par Gaël Chantepie et Mathias Latina le 01 Décembre 2017

La discussion sur la loi de ratification de l’ordonnance portant réforme du droit des obligations tient décidément ses promesses. Le 17 octobre dernier, le Sénat a adopté une petite loi modifiant largement le texte de l’ordonnance. Le contrat d’adhésion, le déséquilibre significatif, la réticence dolosive, la révision pour imprévision, l’abus d’un état de dépendance comptaient parmi les mesures emblématiques de la réforme, modifiées ou écartées dans le texte transmis à l’Assemblée nationale. Autant dire qu’un tel cliffhanger, que n’auraient pas renié les meilleurs scénaristes de séries, était de nature à susciter l’attente de la discussion devant l’Assemblée nationale. Sa commission des lois en a débattu mercredi 29 novembre, adoptant un projet de loi de ratification qui revient largement sur le texte sénatorial.

Même si la discussion est amenée à se poursuivre, la physionomie de la réforme du droit des contrats est désormais plus claire.

Sur le plan technique, les modifications sont limitées. Ce ne sera pas le grand soir de la cause, en dépit du soutien inattendu des députés de la France insoumise. Gageons que les débats en séance plénière donneront une nouvelle occasion de sourire à ce running gag, chaque discussion donnant l’occasion de nouveaux arguments à son soutien. Au titre des changements, il faut relever la nouvelle rédaction de l’article 1223 du code civil, destinée à lever certaines incertitudes nées du texte actuel, en distinguant plus nettement la situation du créancier suivant qu’il a ou non réglé l’intégralité du prix. Par ailleurs, la cession de dette serait soumise à la rédaction d’un écrit, solennité déjà requise dans les cessions de créance et de contrat.

Le premier sentiment qui domine, à la lecture du texte de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, est le soulagement.

En effet, les députés ont su résister à l’offensive libérale qui, depuis que le Sénat a eu à connaître de la loi de ratification, s’est déchaînée. Les textes querellés, à savoir l’article 1195 du code civil, qui autorise, in fine, la révision judiciaire pour imprévision, et l’article 1143, qui sanctionne l’abus d’un état de dépendance, dès lors au moins qu’il a entraîné un « avantage manifestement excessif », avaient fait l’objet d’un certain consensus en doctrine. Il faut dire que ces mécanismes sont particulièrement bien encadrés.

La révision judiciaire en cas d’imprévision ne peut être demandée qu’en cas d’échec des négociations préalables, à condition qu’il soit démontré qu’un changement imprévisible du contrat a entraîné une onérosité excessive et que les parties n’aient pas accepté de faire leur affaire du risque d’imprévision. Autrement dit, l’intervention judiciaire est conçue comme un épouvantail, censé pousser les parties à régler leur problème d’un commun accord.

Quant à l’abus d’un état de dépendance, il n’est sanctionné que s’il a entraîné un « avantage manifestement excessif ». Que l’on se rassure – ou qu’on le déplore –, il sera donc toujours possible de faire de bonnes ou de mauvaises affaires en France, y compris en abusant d’une partie en situation de dépendance, pourvu que l’avantage obtenu, même excessif, ne soit pas « manifeste ».

Connus de nombreux droits étrangers et consacrés, notamment, dans les principes du droit européen des contrats, ces mécanismes sont loin d’empêcher le fonctionnement d’une économie de marché.

Pourtant, et de manière presque grotesque, certains « observateurs » de la réforme du droit des contrats ont ressuscité des arguments vieillis, promettant l’enfer aux entreprises soumises au droit français, fustigeant la perte d’attractivité que le droit français connaîtrait, déplorant la mise à mort de la force obligatoire du contrat, le tout entraînant un affaiblissement de « la place financière de Paris ». Le rapporteur du texte, peu à l’aise sur les aspects techniques, a d’ailleurs repris cette antienne, tentant de raccrocher la loi de ratification à la nécessité de rendre le droit français attractif à l’heure du Brexit et du transfert à Paris de l’Agence bancaire européenne

Et peu importe si les systèmes juridiques cités en modèle, comme le droit suisse, se montrent en réalité aussi protecteurs que le nouveau droit français des contrats. Le droit suisse connaît en effet la révision judiciaire pour imprévision et énonce, dans l’article 21 du code des obligations, qu’« en cas de disproportion évidente entre la prestation promise par l’une des parties et la contre-prestation de l’autre, la partie lésée peut, dans le délai d’un an, déclarer qu’elle résilie le contrat et répéter ce qu’elle a payé, si la lésion a été déterminée par l’exploitation de sa gêne, de sa légèreté ou de son inexpérience »…

Il faut donc se réjouir, et non s’inquiéter, de ce que la commission des lois ait décidé de rétablir la révision judiciaire pour imprévision, au prix d’une exclusion à l’égard des opérations sur les titres et des contrats financiers. Puisqu’il semblait de la plus haute importance que soit écartée toute menace sur la spéculation financière, l’exception aura au moins le bon goût d’être inscrite dans le code monétaire et financier, sans figurer dans le droit commun. On s’étonnera tout de même de cette limitation puisque l’article 1195 réserve déjà expressément les contrats dans lesquels les parties ont assumé le risque d’un bouleversement des circonstances économiques.

De même peut-on se féliciter que la commission ait choisi de restaurer la portée initiale de l’article 1143, en permettant qu’il s’applique à l’ensemble des situations de dépendance, contrairement au texte adopté par le Sénat. L’intention des députés semble d’ailleurs rejoindre l’interprétation donnée par la garde des Sceaux lors de la discussion au Sénat, en faveur d’une acception large de la dépendance, entendue comme fragilité. Il n’y a pas lieu de s’en inquiéter outre mesure, cette fragilité ne suffisant pas, seule, à obtenir la nullité du contrat. La sanction est en effet attachée au double constat d’un abus de l’état de dépendance et d’un avantage manifestement excessif. De fait, les contrats de vente ou de crédit n’ont pas perdu leur efficacité lorsque le juge s’est vu reconnaître, en 1975, le pouvoir de réviser le montant d’une clause pénale manifestement excessive (C. civ., art. 1231-5), pas plus que le cautionnement aurait cessé d’être utilisé par les banques à l’égard de personnes physiques depuis que le législateur, en 2003, leur a interdit de s’en prévaloir lorsque l’engagement était manifestement disproportionné à leurs biens et revenus (C. consom., art. L. 341-4).

La modification principale du texte de la commission concerne ainsi, une fois encore, la définition du contrat d’adhésion. Le critère des conditions générales, supprimé par le Sénat, a été rétabli dans l’article 1110, alinéa 2, l’article 1119 ayant par ailleurs été enrichi d’une définition de ces dernières : « Les conditions générales sont un ensemble de stipulations non négociable, déterminé à l’avance par l’une des parties, destiné à s’appliquer à une multitude de personnes ou de contrats ».

L’intention est ici limpide : limiter le contrat d’adhésion à une partie seulement des contrats non négociables afin, corrélativement, de restreindre le pouvoir judiciaire de suppression des clauses abusives (C. civ., art. 1171).

Seuls les « contrats de masse » seraient ainsi des contrats d’adhésion. La nouvelle définition présente à première vue un double intérêt. D’une part, en rattachant le contrat d’adhésion aux conditions générales, nouvellement définies, elle crée un ordonnancement rationnel qui séduira les amateurs d’élégance. Le déséquilibre significatif ne peut être sanctionné que dans les contrats d’adhésion, lesquels nécessitent des conditions générales. D’autre part, la définition des conditions générales semble permettre d’écarter plus nettement de la qualification de contrat d’adhésion les contrats conclus par l’intermédiaire d’un rédacteur d’actes, notamment un notaire. Ce n’est pourtant pas certain, la difficulté principale résidant dans l’existence de contrats dont le contenu a été prédéterminé par l’une des parties, sans que l’intervention du rédacteur d’actes conduise à des modifications. On songe ici aux contrats de promotion immobilière ou aux baux commerciaux proposés par de gros bailleurs. Dans ce cas, rien n’empêcherait de considérer que le contrat a été déterminé par avance par l’une des parties.

De là, le sentiment que cette nouvelle définition n’est toujours pas convaincante. On y ajoutera deux raisons complémentaires.

D’une part, en l’état du texte, il existe des contrats qui ne peuvent être classés, ni dans la catégorie des contrats d’adhésion ni dans la catégorie des contrats de gré à gré. Un contrat, non négociable, qui ne contient pas de conditions générales au sens de l’article 1119 modifié, est orphelin de qualification… Que feront les juges à leur sujet ?

D’autre part, le critère de la « multitude », connu en droit allemand et en droit japonais, serait intégré en droit français. Il n’y a de « conditions générales » que si les stipulations sont « destiné[es] à s’appliquer à une multitude de personnes ou de contrats ». Mais où commence donc la multitude ? En droit allemand, la multitude commence à trois (C. Delangle, Le nouveau dispositif du code civil consacré au contrat d’adhésion, JCP E 2017. 1452, n° 7), ce qui limite drastiquement la portée pratique de ce critère. Ainsi, par exemple, un particulier utilisant à plusieurs reprises un modèle de contrat de bail saisonnier, fourni par une association de propriétaires, devra sans doute être considéré comme ayant déterminé par avance le contenu destiné à s’appliquer à une multitude de personnes. De sorte que la restriction apparente n’aurait guère d’effet. Que décider, par ailleurs, si les stipulations sont utilisées dans plusieurs contrats, sans qu’il y ait eu initialement d’intention de le proposer à une « multitude » ? Sur qui reposera la preuve de cette intention ?

Autant dire que la nouvelle articulation des articles 1110, 1119 et 1171 du code civil ne semble pas de nature à restreindre considérablement le champ d’application du déséquilibre significatif. On ne voit guère que l’hypothèse des pactes d’actionnaires qui devrait être écartée de la nouvelle définition. Alors que la jurisprudence semble se diriger vers une exclusion du droit des sociétés du champ d’application de l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce (Com. 11 mai 2017, n° 14-29.717, Dalloz actualité, 18 mai 2017, obs. E. Chevrier isset(node/184908) ? node/184908 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>184908), le législateur ne permettrait pas plus que soient contrôlées les clauses abusives au sein des groupements, sur le terrain du droit commun.

Rien n’empêche évidemment de nouveaux changements par voie d’amendements en séance, proposés par les groupes parlementaires ou le gouvernement. Il est en outre probable que le passage en Commission mixte paritaire aboutisse à des compromis entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Si les intrigues secondaires (retour de la cause ? des bonnes mœurs ? de la convention ?) divertiront les observateurs du processus, nul doute que l’enjeu principal réside dans les mesures les plus controversées de l’ordonnance. Au-delà du texte, le législateur doit donner une ligne directrice au droit commun des obligations, qui ne saurait être réduit à un banal instrument de compétitivité des droits.