Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Relaxe requise pour le directeur de la prison de Nancy

Vendredi 13 septembre, l’ancien directeur de la maison d’arrêt de Nancy, Stéphane S., comparaissait devant le tribunal correctionnel de la ville pour homicide involontaire à la suite du décès de Johnny A., assassiné dans sa cellule par un codétenu en 2004.

par Marine Babonneaule 16 septembre 2013

Une seule journée d’audience, dans une chambre correctionnelle inondée de néons et froide comme ses marbres, aura suffi à démontrer une fois de plus que le système pénitentiaire français et sa misère banalisée peuvent conduire au pire, sans qu’il soit possible de leur désigner un auteur principal, un coupable idéal. Stéphane S., 43 ans, dont sa hiérarchie ne dit que du bien – il est d’ailleurs aujourd’hui directeur de Fresnes -, pouvait-il être tenu responsable de la mort du jeune Johnny A., « primo-incarcéré », alors âgé de 26 ans ? A-t-il commis une erreur fatale en le plaçant dans la cellule 118 aux côtés, notamment de Sébastien. S, un détenu qui, outre un casier judiciaire violent, attendait d’être jugé aux assises pour de précédents actes de torture et de barbarie, également commis sur l’un de ses codétenus à Nancy ? Il aurait dû, selon la chambre de l’instruction, mettre en place une surveillance spéciale et veiller à l’équilibre de cette cellule. Dans une maison d’arrêt surpeuplée et vétuste, cet objectif était-il réalisable ?

Stéphane S., dont on ne verra que l’arrière d’un costume trop large et dont on ne retiendra que l’accent chantant de ses origines marseillaises, estime qu’il n’a pas failli à sa mission. Mieux, il se félicite de ses méthodes d’organisation, à l’époque « avant-gardistes » et « proactives », comme les carnets de notes consignant chaque incident en cellule ou ailleurs. Pire, il est très logique. « Plus il y a de surveillance spéciale, moins il y en a (…) Il convient d’être mesuré ». Dans le contexte précis, avec la présence d’un homme de toute évidence dangereux, « doit-on s’assurer qu’à chaque contrôle, environ six fois par nuit, une personne est vivante ? Est-ce qu’il faut réveiller les détenus toutes les deux heures en moyenne ? La réponse de bon sens, c’est non. D’abord, parce qu’aucune règle ne l’impose et parce qu’au bout de trois jours, c’est l’émeute », débite-t-il d’un trait, sur un ton monocorde époustouflant. Et d’ailleurs, le jeune Johnny A. ne s’est jamais plaint, et « non, il n’y avait pas d’indications qui suggéraient l’affectation de J. A dans une cellule différente de celle-ci. Il n’y avait aucune vulnérabilité mentionnée, il n’y avait pas de difficultés de vécu signalées ». Et comme si l’on n’avait pas bien saisi, Stéphane S. enfonce le clou, dans un sabir savamment administratif. « On ne peut pas systématiser que le primo incarcéré soit facteur de vulnérabilité, même s’il doit y avoir un suivi attentif concernant le choc de l’incarcération ».

« Nous devons composer avec la réalité »

« Qu’avez-vous fait en votre qualité de maître à bord ? », tente l’un des avocats de la partie civile, Xavier Iochum. « Je n’ai jamais fait mystère qu’il n’était pas satisfaisant de travailler dans un établissement vétuste et surencombré », répond le chef d’établissement. « Oui, mais, jusqu’à quel degré de dégradation acceptez-vous de travailler ? », insiste l’avocat messin. « Je vais vous répondre que le confort de la question que vous vous posez est hors de portée d’un directeur de prison. La question est très sympathique lorsqu’on est extérieur (…), mais nous devons composer avec la réalité ». Stéphane S. a fait son travail et son avocat parisien, Patrick Maisonneuve, n’a plus grand chose à faire, lui.

On en oublierait presque qu’un homme est mort dans des conditions effroyables. L’autopsie avait noté « la présence sur le corps de très nombreuses lésions disséminées sur tout le corps. Le décès, par syndrome asphyxique, était consécutif à l’accumulation des violences subies ». Quelques jours avant de mourir, Johnny A., s’était rendu dans le cabinet d’un juge d’instruction en présence de sa mère. Tous deux avaient remarqué la présence de marques sur le visage et le cou. Or, le gardien de la maison d’arrêt, qui avait procédé à la fouille intégrale, n’avait, lui, rien noté. « Je ne suis pas en mesure de vous expliquer pourquoi ça n’a pas été consigné. Manifestement, un manque de reporting », se défausse Stéphane S. Les réponses du chef d’établissement agacent les avocats de la partie civile, qui tenteront, tout au long des dix heures d’audience, de révéler les failles humaines, les failles personnelles, ayant mené à la tragédie. « Nous sommes tous d’accord sur la responsabilité de l’administration pénitentiaire ! (…) Mais Monsieur S. est poursuivi car dans le contexte décrit, on a identifié des fautes personnelles susceptibles de lui être reprochées. (…) Il a commis une faute caractérisée, compte tenu des circonstances, en exposant Johnny A. à un risque qu’un chef d’établissement ne pouvait pas, ne devait pas ignorer : c’est évidemment le profil du futur meurtrier », lance, exaspéré, l’avocat nancéien Alain Behr pour qui Stéphane Scotto aurait dû dire « Surveillez ! », « Regardez ! », « Ayez une attention particulière sur cette cellule ». « Comment peut-on prétendre que la présence d’un tel psychopathe sadique puisse rester sans que le directeur d’une maison d’arrêt ne donne des consigne particulières ? » conclut l’avocat avant de laisser la parole à son confrère Xavier Iochum, qui pointe lui, « l’indifférence du quotidien » malgré « la grenade dégoupillée ». « Ici, on savait que ça pouvait chauffer, la lumière rouge s’est allumée mais de toute évidence pas sur le bureau de Monsieur S. ».

Tout cela rend « sceptique » et « dubitatif » le procureur Yvon Calvet. Selon lui, le lien de causalité n’est pas établi. Il demande la relaxe car ce serait « une grande injustice, alors qu’il y a les preuves de tout ce que Stéphane S. a mis en place comme pratiques innovantes. Ce serait faire peser sur les épaules d’un homme les carences d’une administration ».

Depuis les faits, la maison d’arrêt a été rasée. Délibéré le 30 septembre.