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Au procès du « financement libyen », des prévenus d’exception (de procédure)

La semaine dernière s’ouvrait devant la 32e chambre correctionnelle parisienne le procès dit du « financement libyen » de la campagne présidentielle de 2007. Aux côtés de Nicolas Sarkozy, comparaissent notamment Brice Hortefeux, Claude Guéant et Éric Woerth. Outre une question prioritaire de constitutionnalité non transmise, les exceptions diverses ont occupé les deux premières journées d’audience, avant d’être jointes au fond. Le procès se poursuit donc, pour douze semaines de plus.

par Antoine Bloch, Journalistele 14 janvier 2025

L’affaire prend sa source dans une retentissante interview de Saïf al-Islam Kadhafi (en mars 2011), au cours de laquelle le fils du « guide suprême » Mouammar Kadhafi avait laissé entendre qu’un fonds souverain libyen aurait contribué au financement (à hauteur de plusieurs dizaines de millions d’euros) de la campagne présidentielle 2007 de Nicolas Sarkozy. Un soupçon ensuite entretenu, notamment, par l’homme d’affaires franco-libanais Ziad Takieddine, aux déclarations à géométrie variable, et désormais qualifié à l’audience par la défense de « revanchard mythomane ». Dans ce dossier, plus d’une décennie (et 22 arrêts de la chambre de l’instruction) séparent « l’ouverture d’info » de l’ordonnance de renvoi (ORTC), laquelle vise treize prévenus (pour certains en fuite), pour un total de soixante-huit chefs de prévention. Ce document d’un bon demi-millier de pages décortique d’acrobatiques montages financiers, mis au jour grâce à des demandes d’entraide et des commissions rogatoires internationales (CRI) adressées à une vingtaine d’États.

C’est la défense de Brice Hortefeux qui entame le bal, avec une exception d’incompétence du tribunal correctionnel : il était alors membre du gouvernement (comme ministre délégué aux collectivités territoriales), ce qui entraînerait donc (Const., art. 68-1) la compétence de la Cour de justice de la République (CJR). Son avocat précise que c’est « au cours d’un voyage officiel, sur invitation officielle, qu’il rencontre un personnage officiel [le chef du renseignement libyen]. On lui reproche [donc] d’avoir commis un délit […] qui se situerait dans l’exercice direct et précis de ses fonctions ministérielles ». Il nie que la commission d’un délit constitue en soi un acte détachable, puisque si c’était le cas, cet article de la Constitution serait vidé de toute substance. À l’appui de sa démonstration, il invoque le précédent de l’affaire dite « Karachi », dans laquelle les magistrats instructeurs avaient rendu une ordonnance de dessaisissement, qui avait conduit Édouard Balladur et François Léotard à comparaître devant ladite CJR.

Dans l’ORTC, les deux magistrates instructrices avaient abordé cette question, et considéré qu’Hortefeux avait en fait participé, en marge de cette visite, « en dehors de la connaissance des autorités diplomatiques françaises, de l’interprète et de son officier de sécurité, […] à une rencontre imprévue […] dont il n’aurait relaté le contenu à aucun membre de son cabinet, ni à son ministre de tutelle », de sorte que ladite rencontre « s’inscrivait nécessairement hors du cadre de ses fonctions ». L’un des trois procureurs financiers (PRF) reprend le même raisonnement : « Il se déduit de ses propres déclarations que cette rencontre s’inscrivait en dehors de la conduite de relations diplomatiques normales, [mais aussi] de ses attributions et de la conduite de la politique de la nation ». Au travers d’une sorte de subsidiaire, il souligne qu’il est en tout cas « nécessaire d’aborder le fond pour apprécier si les faits relevaient ou non de ses fonctions de ministre ».

« L’instrumentalisation d’une immunité pour nourrir une impunité...

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