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Autonomisation de l’enfant à l’égard de son nom de famille

La loi n° 2022-301 du 2 mars 2022 relative au choix du nom issu de la filiation entrera en vigueur le 1er juillet 2022. Elle permet à toute personne majeure de modifier son nom, définitivement ou à titre d’usage, en exerçant elle-même le choix offert à sa naissance à ses parents par l’article 311-21 du code civil : « soit le nom du père, soit le nom de la mère, soit leurs deux noms accolés dans l’ordre choisi par eux dans la limite d’un nom de famille pour chacun d’eux ». 

« Il est juste que l’enfant se voit reconnaître, après sa majorité, une liberté de choix de nom équivalente à celle dont ses parents ont pu faire usage lors de sa naissance ». Le motif est invoqué au soutien des nouvelles règles relatives au changement de nom introduites par la loi du 2 mars 2022, mais il ne peut que conforter également les dispositions relatives à l’usage du nom reconnu aux enfants que la loi fait entrer dans le code civil.

Le nom d’usage revalorisé pour les enfants

Sur ce point, la loi du 2 mars 2022 fait moins œuvre de création que de valorisation de la possibilité offerte aux enfants de porter à titre d’usage le nom de celui de ses parents qui ne le lui a pas transmis. La possibilité existe depuis la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 relative à l’égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et dans l’exercice de l’autorité parentale, dont l’article 43 disposait « Toute personne majeure peut ajouter à son nom, à titre d’usage, le nom de celui de ses parents qui ne lui a pas transmis le sien. À l’égard des enfants mineurs, cette faculté est mise en œuvre par les titulaires de l’exercice de l’autorité parentale ». Cette faculté était néanmoins soumise à l’accord de l’autre parent et, à défaut d’accord, à l’autorisation du juge (v. par ex., Civ. 1re, 3 mars 2009, n° 05-17.163, D. 2009. 1385 , note M. Malaurie-Vignal ; ibid. 803, obs. V. Egéa ; ibid. 1918, obs. A. Gouttenoire et P. Bonfils ; ibid. 2010. 1442, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2009. 177, obs. F. Chénedé ; RTD civ. 2009. 294, obs. J. Hauser ).

Désormais, outre la possibilité d’adjonction déjà prévue dans la loi de 85, il sera possible à toute personne d’exercer, à titre d’usage, le choix ouvert à ses parents au moment de sa naissance pour la détermination de son nom. Il sera donc possible soit d’adjoindre le nom du parent qui n’a pas été inscrit à l’état civil à celui qui a été inscrit, soit de porter à titre d’usage le nom du parent qui n’a pas été inscrit à l’état civil. La loi précise en outre que lorsque ce recours au nom d’usage est exercé par les titulaires de l’autorité parentale, le consentement personnel du mineur de treize ans est requis. La cohérence avec les dispositions relatives au changement de nom du mineur dans d’autres circonstances, comme l’adoption par exemple, est ainsi maintenue.

L’exposé des motifs révèle que l’intention du législateur quant à ces dispositions était « en particulier de faciliter la vie des mères qui élèvent seule un enfant qui a reçu à la naissance le nom de son père ». « Pour de nombreuses femmes qui élèvent seule un enfant ou qui en assument à titre principal la responsabilité, le fait que l’enfant porte le plus souvent le nom du père peut [en effet] être une source de complication dans la réalisation des démarches administratives ». Cette considération se matérialise par une modification des conditions de mise en œuvre du nom d’usage : là où la jurisprudence avait affirmé la nécessité d’un accord des deux parents pour la mobilisation de la loi de 1985, les nouvelles dispositions prévoient la possibilité pour un parent de décider unilatéralement de l’adjonction de son nom à celui de l’enfant mineur. Ainsi, le parent ne se retrouve pas bloqué par l’inertie ou l’absence de l’autre parent. Cela n’exclut cependant pas cet autre parent qui doit être informé « préalablement et en temps utile » (éléments qui mériteront certainement d’être précisés, le cas échéant par la jurisprudence). Cette information lui permettra, s’il le souhaite, de s’opposer à cette initiative en saisissant le juge aux affaires familiales. Outre ces aménagements, l’intégration de ces dispositions dans le code civil est très certainement de nature à les rendre plus accessibles et plus connues et donc à favoriser leur utilisation.

Mais la principale innovation de la loi du 2 mars 2022 réside bien davantage dans la nouvelle procédure de changement de nom ouverte à toute personne pour le choix du nom issu de la filiation.

Le changement de nom facilité pour les enfants

Pour l’heure, la possibilité de changement de nom est ouverte selon deux procédures distinctes. Une première procédure, ouverte à toute personne qui justifie d’un intérêt légitime, conditionne le changement de nom à une autorisation par décret (C. civ., art. 61). Marque des principes d’indisponibilité et d’immutabilité de l’état des personnes, la procédure est à la fois lourde et lente et son issue n’est pas garantie. C’est néanmoins la seule ouverte à une personne qui souhaiterait changer de nom pour pouvoir substituer au nom de naissance, le nom de l’autre parent ou pour l’y adjoindre et nombreuses sont les personnes à s’en saisir. En effet, l’exposé des motifs de la loi révèle qu’« en 2020, le ministère de la Justice a été saisi de 4 293 demandes de changement de nom. Près d’une demande sur deux tend à une modification consistant soit dans une substitution du nom du parent qui n’a pas été transmis, soit en une adjonction de ce nom. 44 % des décisions faisant droit à la demande de changement de nom sont fondées sur ce motif. Dans la très grande majorité des cas (38 %), il s’agit d’une demande de substitution au profit du nom maternel ».

Or, il existe en droit français une seconde procédure, simplifiée. Jusqu’à la loi 2 mars 2022, cette procédure était réservée aux personnes qui justifiaient disposer à l’état civil d’un pays étranger d’un nom différent de celui inscrit à son état civil français. Ici, la demande est présentée à l’officier de l’état civil qui, s’il autorise le changement de nom, le consigne dans le registre de naissance de la personne. Ce n’est qu’en cas de difficulté que l’officier d’état civil va pouvoir saisir le procureur de la République, lequel peut s’opposer à la demande (C. civ., art. 61-3-1).

C’est cette procédure qui, à compter du 1er juillet 2022, sera ouverte aux enfants pour leur permettre d’exercer à leur majorité le choix qui avait été dévolu à leurs parents au moment de leur naissance. Ce choix est reconnu comme une action strictement personnelle pour laquelle le majeur protégé n’a pas besoin d’être représenté. La procédure ne peut être exercée au profit d’un mineur, mais celui-ci subira les changements opérés pour son compte par l’un de ses parents, sous réserve de son consentement s’il a plus de treize ans. Autrement dit, le changement de nom se répercute sur le nom des enfants du bénéficiaire. L’acte étant grave et irréversible (la procédure ne peut être utilisée qu’une fois, tout autre changement étant soumis aux dispositions de l’art. 61 c. civ.), un délai de réflexion est imposé, la personne devant confirmer son choix au plus tôt un mois après réception de sa demande.

In fine, toute personne va désormais être en mesure de choisir son nom de famille dans la limite des possibilités offertes par les noms de ses parents, conformément à l’article 311-21 du code civil. L’identité n’est plus donnée, elle est choisie. La personne n’est plus instituée, elle s’autodétermine.