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Des hommes, de A. Odiot et J.-R. Viallet, 2020

L’acte de juger est souvent interrogé par le documentaire, celui précisément de condamner, et des suites qui en résultent, l’est en réalité beaucoup moins en France. La prison croule pourtant sous les analyses juridiques et notamment de par l’activité de l’autorité administrative indépendante qu’est le contrôleur général des lieux de privation de liberté, dont Adeline Hazan en est actuellement l’incarnation. 

par Marie-Odile Diemerle 12 juin 2020

Le documentaire Des hommes, sorti sur les écrans le 19 février 2020 dernier se présente comme une mise en image bienvenue à l’heure où les condamnations juridiques, sociétales et morales à l’égard des établissements pénitentiaires se succèdent.

La thématique de l’impérieux respect des droits fondamentaux concernant les personnes privées de liberté n’est – malheureusement – pas nouvelle. D’un point de vue jurisprudentiel, c’est particulièrement l’activité de la Cour européenne des droits de l’homme qui est observée. La condamnation de la France pour les conditions inhumaines et dégradantes de ses établissements pénitentiaires et le non-respect du droit à un recours effectif pour faire cesser ces atteintes n’est d’ailleurs pas passée inaperçue (CEDH 30 janv. 2020, n° 9671/15, J.M.B et autres c/ France, AJ pénal 2020. 122, étude J.-P. Céré . Le rapport d’activité du CGLPL publié le 3 juin dernier, couplé de ses « Recommandations minimales pour le respect de la dignité́ et des droits fondamentaux des personnes privées de liberté » et de la lettre ouverte sur l’initiative de l’Observatoire Internationale des prisons adressée au président de la République afin de l’alarmer sur la surpopulation carcérale du même jour, conduisent à rappeler la nécessité de mettre des images sur les maux dont souffrent les détenus et l’administration pénitentiaire en France.

C’est ce que propose le documentaire Des hommes sorti au cinéma en février dernier en proposant une incursion à la prison des Baumettes située à Marseille dans laquelle les réalisateurs font le bilan de vingt-cinq jours d’immersion.

On serait immédiatement tentés d’accoler un qualificatif au titre en regardant le documentaire : Des hommes jeunes, des hommes perdus, des hommes reclus, parqués ou alors tout simplement de rappeler que ces hommes sont enfermés. Dès le titre, et de par sa simplicité soigneusement choisie, les réalisateurs ne veulent finalement pas ôter l’humanité des détenus et même souhaitent certainement la mettre en exergue, même si leurs conditions de détention peuvent en faire douter.

L’angle du documentaire au cinéma est rare sur ce sujet. Les documentaires sont en effet souvent l’apanage de la télévision (V. Müller, Danser sa peine, 2019 ; G. Beauché, De la prison à l’Odéon, 2020). C’est surtout la fiction qui se complait particulièrement à plonger ses caméras dans les enceintes des maisons d’arrêt. Pléthore de films se sont ainsi consacrés au sujet, et les immanquables séries se sont également pliées à l’exercice comme les célèbres Prison Break, Oz ou Orange is the new black.

De toutes ces oeuvres, c’est souvent la colère, le désespoir, la violence (S. McQueen, Hunger, 2008 ; A. Clarke, Scum, 1979), la rage de s’évader (J. Becker, Le trou, 1960 ; A. Parker, Midnight express, 1978), et bien rarement celle de s’amender qui ressortent (J. Audiard, Un prophète, 2009 ; S. Cazes, Ombline, 2012). Le cinéma se présente ainsi comme l’incarnation d’un plaidoyer contre l’inutilité de l’incarcération ou la nécessité de réformer ses modalités d’exercice (S. Rosenberg, Brubaker, 1980).

Le prisonnier est ainsi souvent marqué, et cette empreinte indélébile semble le condamner éternellement que ce soit moralement ou socialement (J. Giovanni, Deux hommes dans la ville, 1972) à être exclu.

Loin de considérations politiques, c’est aussi l’occasion pour les scénaristes de tenir en haleine le spectateur pour permettre à ses protagonistes de s’évader ou du moins de leur promettre cette évasion, avec des titres aussi qu’évocateurs que sont de La grande évasion (J. Sturges, 1963), Les évadés (F. Darabont, 1994), Un condamné à mort s’est échappé (R. Bresson, 1956) ou encore Papillon (F. Schaffner, 1973).

Le documentaire Des hommes, de Alice Odiot et Jean-Robert Viallet n’a pourtant pas besoin de mots ou de grandes envolées cinématographiques pour aboutir au même constat de délabrement moral, intellectuel et structurel des prisonniers et des prisons. La violence et la vétusté de la prison des Baumettes affleurent en effet à chaque image.

Le documentaire se veut pourtant sobre, aucune voix-off ne vient souligner et expliquer une situation ou un comportement. L’image est parfois fixe, donnant, dans un élan artistique peut-être inconscient, un certain esthétisme paradoxal à des barbelés, une cour ou un couloir. Ces plans fixes qui évoquent des photographies d’art sont aussi l’occasion de souligner et de constater la monotonie de la vie en cellule ou de figurer l’allégorie du temps qui ne passe pas. On pourra pourtant reprocher certaines facilités au documentaire comme les plans des discussions entre détenus, cadrés en dessous de la taille, laissant entrevoir une main avec une cigarette entre les doigts, mille fois vus dans des reportages à la télévision. Cette répétition du plan que l’on pourrait qualifier de caricatural est aussi une manière de rappeler l’absence de changement des prisons et surtout la difficulté de filmer la prison autrement. Dans tous ces plans, c’est ainsi l’image de la prison en tant qu’institution structurellement figée à travers les décennies qui ressort. « Non rien n’a changé » semble nous souffler les réalisateurs. Les différents rapports du CGLPL ou les recours de la section française de l’Observatoire international des prisons ne les démentiront d’ailleurs pas.

Les discussions entre prisonniers sont colorées de la même banalité : elles concernent souvent leur quotidien et la logistique de la prison – qui familiarise le spectateur avec un vocabulaire particulier comme « cantiner » – ou concernant l’évènement que représente souvent le parloir, rare connexion avec l’extérieur. Sont aussi évoqués et filmés, le temps des douches, des promenades et des séances de sports ou encore le cas du travail de certains. Une routine teintée d’un certain ennui lorsque la caméra se pose dans l’exiguïté des cellules avec l’inévitable et indispensable télévision toujours allumée, en fond. Les visages sont souvent marqués, les regards parfois vides. Les détenus se parlent à travers les fenêtres de leurs cellules, ou crient aussi. Des fragments de vie ou de survie répétés à l’infini.

Mais l’ordinaire de la prison c’est aussi la violence : une violence presque inconsciente, devenue un réflexe pour de nombreux détenus. « Tous les détenus savent fabriquer un couteau » ou encore « c’est la jungle ici », sont des phrases de détenus qui ne peuvent qu’interpeller. Les échanges entre l’administration pénitentiaire (exclusivement féminine) et les détenus, peuvent d’ailleurs nous sembler ubuesques tant sur le fond (puisque les violences aboutissent parfois au décès de certains détenus, racontés avec neutralité) que sur la forme : leur échanges s’analysent comme un rapport de parents à enfants ou de professeurs à ses élèves. Il faut sans cesse pour les surveillantes expliquer et rappeler à l’ordre sur des comportements qui semblent pour le spectateur pourtant relever de l’évidence. La violence devient banalité. Au final, la collectivité en prison semble se présenter comme néfaste, les détenus devant se protéger et s’armer contre eux-mêmes. À cet égard, un détenu qui s’entretient avec un travailleur social explique qu’il doit se détacher des autres pour pouvoir s’en sortir. Cette micro société figée dans le temps et dans l’espace semble coincée dans un cercle vicieux impossible à briser.

Les nouvelles technologies s’immiscent pourtant dans la prison par l’intermédiaire des audiences en visioconférence, mais qui loin d’être un progrès, renvoient encore le détenu à son enfermement et son isolement puisque seul dans une pièce avec face à lui magistrats et avocats par écran interposé.

Le documentaire renvoie le juriste ou le sociologue à des multiples problématiques qui continuent d’innerver le fonctionnement pénitentiaire : l’hygiène, l’ensemble des conditions matérielles de détention, la prise en charge de la réinsertion, l’éducation et le travail en prison, l’utilité même de l’isolement mais également le développement aberrant de la visioconférence.

En définitive l’on pourrait même aller jusqu’à se demander si l’on apprend quelque chose avec ce documentaire. Le spectateur lambda se rendra en effet compte que tout l’imaginaire, les clichés et les idées qu’il peut se faire de ce qu’est le quotidien d’un détenu, sont en réalité en totale adéquation avec les images réelles. Le juriste aura cette évidence en tête qu’il faut sans cesse marteler : « Les droits fondamentaux n’ont de réalité que si leur effectivité est assurée ».

Si le cadre n’évolue pas, il est logique que les premiers concernés, à savoir les détenus, ne peuvent pas non plus évoluer.

Lors des dernières minutes du documentaire, un avocat précise « ce qu’il reste c’est de la souffrance » tentant bien évidemment de défendre son client détenu. Ce qu’il restera au spectateur c’est aussi beaucoup d’incompréhension sur ce système qui se présente comme sclérosé. Le nom du documentaire aurait aussi pu être désigné par « des hommes et des murs », non pas pour matérialiser l’enceinte de la prison, mais pour matérialiser l’opacité et la surdité constante des pouvoirs publics à l’égard de cette dernière.