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Devoir de vigilance européen : le contenu de la proposition de directive

Le texte proposé par l’exécutif européen pourrait instaurer une obligation de vigilance au spectre large imposée à de très nombreuses entreprises. La démarche européenne reste toutefois pragmatique et connaît de nombreuses exceptions.

La proposition de directive européenne imposant un devoir de diligence aux entreprises a été présentée ce mercredi 23 février 2022 par la Commission européenne. Le texte est riche de trente et un articles, nous vous en détaillons les grandes lignes. Il pourrait imposer aux États membres de transposer ses dispositions d’ici deux ans (à compter de l’entrée en vigueur de la directive finalement adoptée). Il s’inspire tant du droit français que de la législation allemande. La directive aura donc probablement une incidence sur le devoir de vigilance instauré en droit national en mars 2017. Explications.

Qui est concerné ?

Le champ d’application est extrêmement large même si des exceptions sont prévues (art. 2). Il devrait s’agir des sociétés établies au sein de l’Union européenne qui emploient plus de 500 salariés et qui réalisent un chiffre d’affaires net de plus de 150 millions d’euros (chiffre d’affaires réalisé sur le dernier exercice clos). Elles seront concernées par les dispositions de la directive – telles que transposées dans leur droit national – deux ans après l’entrée en vigueur du texte final.

Attention toutefois, les sociétés qui ont plus de 250 salariés et qui réalisent plus de 40 millions d’euros net de chiffre d’affaires seront également concernées dès lors qu’elles réalisent plus de 50 % de leur chiffre d’affaires dans certains secteurs listés par le texte. On retrouve, entre autres, l’industrie textile et de la chaussure, l’agriculture, la pêche, l’agroalimentaire, l’extraction de ressources minérales (pétrole, gaz, charbon), la production de métal, etc. Ces sociétés devraient avoir deux années de plus pour se mettre en règle.

Les sociétés établies dans des états tiers sont également concernées lorsqu’elles dépassent des seuils en termes de chiffre d’affaires net (150 millions d’euros durant l’année précédant celle du dernier exercice clos ou 40 millions d’euros si elles évoluent dans les secteurs cités plus haut).

Qu’impose le devoir de vigilance européen ?

Tout d’abord, le texte précise que les législations des États membres peuvent aller plus loin que le futur droit européen (art. 1). Le droit français actuel pourrait-il alors perdurer ? Rien n’est moins sûr car le champ d’application et les obligations imposées ne sont pas véritablement les mêmes.

La directive demande aux États de prévoir une série d’obligations à imposer aux entreprises concernées. Elles devront prévenir toutes atteintes graves envers les droits humains et l’environnement générées par leur activité, celles de leurs filiales ou d’opérateurs de leur chaîne de valeur avec lesquels une relation économique établie est entretenue (fournisseurs directs ou indirects).

Le texte impose aussi aux États membres de prévoir la responsabilité civile des entreprises défaillantes. De nombreuses exceptions sont toutefois prévues en la matière.

Quelles sont les différentes obligations prévues ?

Le texte liste six grandes obligations à assurer par les entreprises concernées. Tout d’abord d’intégrer le devoir de vigilance dans leurs politiques internes et dans leur gouvernance (art. 5). À ce titre, les États membres devront s’assurer que les entreprises sont transparentes. La description de l’approche à long terme de l’entreprise sur ce sujet, de ses process internes ainsi que la publication de son code de conduite seront imposés tous les ans.

Les sociétés concernées auront également à mettre en place des mesures appropriées pour identifier les atteintes graves – actuelles ou potentielles – aux droits humains ou à l’environnement (art. 6). De telles mesures seront aussi imposées pour prévenir ou minimiser ces atteintes (art. 7). Il pourra alors être demandé aux entreprises – lorsque c’est nécessaire – de mettre en place un plan d’action avec des objectifs à atteindre selon un calendrier et définis via des indicateurs qualitatifs et quantitatifs. Mais également de prévoir la signature de clauses contractuelles avec un partenaire commercial, afin de faire respecter le code de conduite de l’entreprise, voire de mettre en place des plans d’action avec différents opérateurs pour faire progresser l’ensemble de la chaîne de valeur. Les États membres seront aussi susceptibles de demander des investissements (en termes de management ou d’infrastructures) aux entreprises concernées. Le texte de la proposition est toutefois pragmatique car il envisage les cas où une société ne serait pas susceptible de prévenir ou de minimiser les risques d’atteintes mentionnées. Il donne alors des pistes aux États membres pour imposer aux sociétés de suspendre une relation commerciale ou d’y mettre un terme.

Dans la même veine, les sociétés auront aussi à prendre des mesures appropriées – listées par le texte – pour mettre un terme aux atteintes qu’elles seraient susceptibles d’avoir commises (art. 8).

Les entreprises auront encore à donner la possibilité à des personnes victimes, aux syndicats ou aux représentants du personnel ainsi qu’aux ONG de faire remonter une atteinte (art. 9).

Il faudra encore être en mesure d’évaluer régulièrement son dispositif interne (article 10) et d’assurer un reporting annuel sur ce sujet (art. 11).

Qu’en est-il de la responsabilité civile ?

Les États membres devront assurer l’engagement de la responsabilité civile des entreprises défaillantes uniquement si elles ne respectent pas les obligations prévues aux articles 7 et 8 de la directive. Et des exceptions sont également prévues (selon l’art. 22).

Plus généralement, les États seront libres de fixer des sanctions pour les entreprises contrevenantes – notamment pécuniaires – et, dans ce cas, elles devront être basées sur un pourcentage en termes de chiffre d’affaires réalisé par une société. Le texte n’est pas précis sur ce point qui reste à l’appréciation des États membres (art. 20).

Enfin, une autorité de supervision devra être mise en place au sein de chaque États membres (art. 17). C’est elle qui pourra imposer à une entreprise de mettre un terme à un comportement non diligent ou qui pourra – éventuellement – la sanctionner.

Il appartient désormais aux députés européens et aux représentants des États membres, au sein du Conseil de l’Union européenne, d’amender ce texte présenté par l’exécutif européen.

 

ActuEL Direction juridique, 23 févr. 2022