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Droit de visite médiatisé des grands-parents et office du juge : pas d’analogie avec le droit de visite des parents

La Cour de cassation affirme que l’article 1180-5 du code de procédure civile, qui oblige le juge à déterminer la durée des rencontres quand il prévoit un droit de visite médiatisé pour l’un des parents, n’est pas applicable au droit de visite accordé dans les mêmes conditions à des grands-parents sur le fondement de l’article 371-4 du code civil.

par Laurence Gareil-Sutterle 1 juillet 2019

L’arrêt sous commentaire se prononce, pour la première fois à notre connaissance (v. toutefois Civ. 1re, 20 avr. 2017, n° 16-10.878, Dalloz jurisprudence, dans lequel la question avait été soulevée par le pourvoi mais où le moyen avait été jugé irrecevable comme nouveau et mélangé de faits), sur l’office du juge lorsqu’il fixe un droit de visite médiatisé en faveur de grands-parents.

En l’espèce, une grand-mère maternelle avait demandé en justice à pouvoir maintenir des relations avec ses trois petits-enfants (un garçon âgé de 15 ans et des jumelles âgées de 6 ans au moment de l’arrêt d’appel). Les juges du fond lui ont accordé un droit de visite et d’hébergement sur l’aîné et un droit de visite médiatisé sur les demi-sœurs de celui-ci. Les parents des petites filles, fermement opposés à la mise en place d’un tel droit de visite, ont alors formé un pourvoi en cassation et, faisant feu de tout bois, ont développé différents arguments fondés notamment sur la violation des articles 6, § 1, de Convention européenne des droits de l’homme et 16 du code de procédure civile, ainsi qu’à divers titres, sur la violation de l’article 371-4 du code civil. Le pourvoi est rejeté.

Nous laisserons aux spécialistes du droit processuel la question de la violation des articles 6, § 1, de la Convention européenne et 16 du code de procédure civile. Nous préciserons simplement que, pour rejeter le pourvoi sur ce point, la Cour de cassation affirme ici que, lorsque le ministère public indique par écrit s’en rapporter à la décision de la cour, cet avis n’a pas à être communiqué aux parties puisqu’il est « sans influence sur la solution du litige ».

Nous nous attarderons en revanche sur les griefs fondés sur l’article 371-4 du code civil. Pour rappel, cet article dispose que « l’enfant a le droit d’entretenir des relations personnelles avec ses ascendants. Seul l’intérêt de l’enfant peut faire obstacle à l’exercice de ce droit ». En ce qui concerne le non-respect de cet article, les parents avançaient deux séries d’arguments. D’une part, ils reprochaient aux juges du fond de ne pas avoir recherché et/ou correctement apprécié l’intérêt des enfants qui aurait dû, selon eux, faire obstacle à la reconnaissance du droit de visite de la grand-mère et, d’autre part, subsidiairement, ils reprochaient aux juges du fond de ne pas avoir fixé la durée des rencontres accordées à la grand-mère.

Sur l’intérêt de l’enfant, les parents remettaient simplement en cause, comme souvent en matière d’autorité parentale, l’appréciation de cet intérêt par les juges du fond. L’arrêt n’apporte donc rien de nouveau et on peut simplement noter le soin avec lequel la cour d’appel avait analysé cet intérêt, distinguant la situation de l’aîné, que la grand-mère avait déjà pris en charge et avec lequel elle avait continué d’échanger et d’entretenir des liens d’affection, et les jumelles, qui ne la connaissaient pas mais à l’égard desquelles elle ne ménageait pas ses efforts pour créer un lien. Cela explique que la Cour de cassation, qui, en la matière, exerce un contrôle de motivation (en ce sens, v. Rép. civ., Autorité parentale, par A. Gouttenoire, n° 329), ait considéré que la cour d’appel s’était déterminée en considération de l’intérêt des enfants et avait ainsi légalement justifié sa décision au regard de l’article 371-4 du code civil.

L’intérêt de l’arrêt réside donc surtout dans la réponse de la Cour de cassation à la question soulevée par le pourvoi concernant l’office du juge quand il prévoit un droit de visite médiatisé pour les grands-parents. Dans les faits sous examen, compte tenu des circonstances, les juges de la cour d’appel avaient décidé « qu’en l’absence d’un accord amiable entre les parties, Mme Girard [la grand-mère] rencontrera ses petites-filles, pendant une première période de cinq mois, au point rencontre de l’association Écoute-moi grandir, le troisième samedi des mois de janvier, février, mars et mai, en présence des accueillants et selon les modalités concrètes définies par ceux-ci ». Or le pourvoi soutenait qu’en prononçant un droit de visite médiatisé sans fixer la durée des rencontres, les juges du fond avaient violé l’article 371-4 du code civil par excès de pouvoir, à la fois en refusant de statuer sur ce point et en déléguant son pouvoir au secrétariat du point de rencontre.

Ces arguments constituaient une allusion à peine voilée à l’article 1180-5 du code de procédure civile, qui prévoit que, « lorsque le juge décide que le droit de visite de l’un des parents s’exercera dans un espace de rencontre, en application des articles 373-2-1 ou 373-2-9 du code civil, il fixe la durée de la mesure et détermine la périodicité et la durée des rencontres » et à la jurisprudence récurrente rendue sur son fondement. On sait en effet que la Cour de cassation est très attachée à ce que les juges du fond ne délèguent pas leur pouvoir de fixation des modalités du droit de visite et d’hébergement des parents à un tiers. Concernant le droit de visite médiatisé, les arrêts sont nombreux qui sanctionnent l’absence de l’un ou l’autre des éléments visés par l’article 1180-5 du code de procédure civile (pour des ex. sur la durée de la mesure, v. Civ. 1re, 28 janv. 2015, n° 13-27.983, Dalloz actualité, 2 mars 2015, obs. F. Mélin ; ibid. 2016. 674, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2015. 162, obs. S. Thouret ; RTD civ. 2015. 369, obs. J. Hauser ; Dr. fam. 2015, n° 71, obs. C. Neirinck ; sur la périodicité, v. Civ. 1re, 10 juin 2015, n° 14-12.592, Dalloz actualité, 19 juin 2015, obs. R. Mésa ; AJ fam. 2015. 398, obs. S. Thouret ; RTD civ. 2015. 600, obs. J. Hauser ; Dr. famille 2015. Comm. 164, obs. C. Neirinck ; 4 mai 2017, n° 16-16.709, Dalloz actualité, 23 mai 2017, obs. P. Guiomard ; AJ fam. 2017. 351, obs. M. Saulier ; RTD civ. 2017. 625, obs. J. Hauser ) et notamment le silence des juges du fond sur la durée des rencontres (v., par ex., Civ. 1re, 4 mai 2017, n° 16-16.709, préc.). La Cour de cassation a également dû casser récemment un arrêt qui avait fixé toutes les modalités pour une certaine période mais avait laissé le renouvellement même de la mesure à l’appréciation du point de rencontre (Civ. 1re, 15 mai 2018, n° 17-15.831, AJ fam. 2018. 395, obs. M. Saulier ; Dr. Famille 2018. Comm. 182, H. Fulchiron)… On notera en outre que la Cour de cassation est tout aussi sévère lorsque, lors de la fixation d’un droit de visite et d’hébergement « normal », les juges du fond, pragmatiques, s’aventurent à laisser le droit de visite à l’appréciation de l’enfant, généralement grand adolescent en conflit avec le parent demandant le droit de visite (v. par ex. Civ. 1re, 28 mai 2015, n° 14-16.511, Dalloz actualité, 11 juin 2015, obs. R. Mésa ; ibid. 2016. 674, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2015. 399, obs. S. Thouret ; RTD civ. 2015. 600, obs. J. Hauser ; Dr. fam. 2015, n°165, obs. C. Neirinck ; 23 sept. 2015, n° 14-22.636, Dalloz jurisprudence).

En l’espèce, même si les griefs étaient fondés sur l’article 371-4 du code civil, c’est bien à toute la rigueur de la jurisprudence rendue sur le fondement de l’article 1180-5 du code de procédure civile que semblait faire allusion le pourvoi. La Cour de cassation ne s’y trompe pas, citant elle-même l’article in extenso pour affirmer que celui-ci « n’est pas applicable aux relations entre les enfants et leurs grands-parents ». Elle en conclut que, dès lors que la cour d’appel a fixé la durée de la mesure, le lieu et la périodicité des rencontres, elle n’a pas méconnu l’étendue de ses pouvoirs.

Que penser de la solution retenue ? Concernant la lettre du texte, elle est difficilement contestable. L’article 1180-5 du code de procédure civile prend bien soin de préciser les hypothèses qu’il vise : celles des articles 373-2-1 et 373-2-9 du code civil, c’est-à-dire des droits de visite accordés au père ou la mère de l’enfant. Cet article ne vise nullement l’article 371-4 du code civil. Concernant l’esprit de la loi, les difficultés d’organisation des points de rencontre sont connues et, bien souvent, si les juges « délèguent » une partie des modalités des rencontres qu’ils fixent, c’est moins par facilité ou par oubli que parce qu’ils ont conscience des difficultés de ces établissements (v., sur ce point, le riche dossier consacré aux points de rencontre par l’AJ famille en 2015, p. 518  s. et, not., A. Karila-Danziger et I. Copé-Bessis, Espaces de rencontre : sur le terrain, AJ fam. 2015. 530 ). À titre d’illustration, la lecture de l’un des moyens du pourvoi permet de comprendre qu’initialement le droit de visite médiatisé avait été prévu les deuxièmes samedis des mois concernés mais qu’une rectification a dû intervenir car le point de rencontre était fermé à ces dates… On peut donc considérer que la Cour de cassation a fait preuve de sagesse et d’un certain pragmatisme en refusant d’étendre la rigidité de l’article 1180-5 du code de procédure civile au droit de visite médiatisé des grands-parents.