Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Extension d’une convention collective et compétence du juge administratif

Le juge administratif peut prononcer la nullité d’un arrêté portant extension d’un avenant à une convention collective lorsque ce dernier comporte des stipulations illicites dont l’examen lui revient si l’illicéité ressort manifestement d’une jurisprudence établie par la Cour de cassation.

par Bertrand Inesle 9 juin 2015

Afin que ses effets s’étendent au-delà de ses seuls signataires et adhérents, une convention ou accord collectif de travail peut être étendu par arrêté du ministre chargé du travail (C. trav., art. L. 2261-15) ainsi que ses avenants et annexes (C. trav., art. L. 2261-16). Cette procédure soulève néanmoins des problèmes quant à la répartition des compétences entre les juridictions des ordres administratif et judiciaire pour connaître des litiges y afférents puisque l’arrêté, à l’origine de l’extension, est un acte administratif et qu’il a pour objet un acte juridique bilatéral de droit privé.

Par le présent arrêt, le Conseil État prononce l’annulation d’un arrêté d’extension pour trois motifs dont les deux derniers sont les témoins d’une évolution du droit positif en la matière.

Le premier motif d’annulation de l’arrêté d’extension ressort des dispositions de l’article L. 2261-16 du code du travail. Le texte précité n’envisage l’extension de l’avenant qu’à la condition que la convention qu’il vient compléter ait, au préalable, fait l’objet d’une extension. En l’espèce, il s’agissait d’étendre, par un arrêté du 24 décembre 2013, les effets d’un avenant à la convention collective nationale de la production cinématographique du 19 janvier 2012 qui avait elle-même été étendue par un arrêté du 1er juillet 2013. Or ce dernier arrêté, qui fut le premier, a été annulé par le Conseil État il y a peu (V. CE 24 févr. 2015, req. n° 370629, au Lebon ). Le second arrêté d’extension pouvait-il lui survivre ? Non, répond le Conseil. Celui-ci estime, en effet, qu’en raison des effets qui s’y attachent, l’annulation pour excès de pouvoir d’un acte administratif, qu’il soit ou non réglementaire, emporte, lorsque le juge est saisi de conclusions recevables, l’annulation par voie de conséquence des décisions administratives consécutives qui n’auraient pu légalement être prises en l’absence de l’acte annulé ou qui sont en l’espèce intervenues en raison de l’acte annulé. Le juge de l’excès de pouvoir est alors tenu de prononcer la nullité par voie de conséquence. Le Conseil en conclut que, comme nous l’avons souligné, l’arrêté d’extension d’un avenant est subordonné à l’extension valablement opérée de la convention collective qu’il complète. D’où, en l’espèce, l’annulation par voie de conséquence de l’arrêté du 24 décembre 2013. Il s’agit là de l’application d’une théorie que le Conseil avait, dernièrement, mis en œuvre en matière d’admission au séjour d’étrangers sur le territoire français au titre de l’asile (V. CE 30 déc. 2013, req. n° 367615, Mme Okosun, au Lebon p. 342 avec les conclusions ; AJDA 2014. 7 ; ibid. 222 , chron. A. Bretonneau et J. Lessi ; RFDA 2014. 76, concl. X. Domino ; RTD eur. 2014. 952-8, obs. D. Ritleng ).

Mais le principal intérêt du présent arrêt réside dans les deux autres motifs qui concourent à prononcer la nullité de l’arrêté d’extension de l’avenant. Ces motifs reposent sur l’idée qu’il ne peut y avoir d’arrêté d’extension que si celui-ci a pour objet une convention ou accord collectif de travail valide et licite. L’illicéité de l’accord fait obstacle à ce que l’arrêté soit émis par le ministre compétent ou conduit à ce que cet arrêté, s’il a été émis, soit également affecté d’illégalité (V. not. CE 3 mai 2004, n° 252926, La coordination rurale Union nationale, au Lebon ; D. 2004. 3030 , obs. X. Prétot et D. Chelle ; 23 juill. 2010, n° 316588, Syndicat national des techniciens et travailleurs de la production cinématographique et de télévision, au Lebon ). Si une contestation sérieuse s’élève toutefois sur la validité ou la licéité de l’accord collectif, il est constant que le caractère de droit privé de cet accord empêche, en principe, la juridiction administrative, saisie d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre l’arrêté d’extension, de se prononcer directement sur cette question et l’oblige à surseoir à statuer afin que le juge judiciaire procède à son examen (V. CE 4 mars 1960, req. n° 39554, Lebon p. 168 ; Dr. soc. 1960. 274, concl. P. Nicolaÿ ; 7 mars 1986, req. n° 48455 ; D. 1988. Somm. 78, obs. D. Chelle et X. Prétot ; 3 mai 1993, req. n° 111691 ; 26 juill. 1996, n° 165041, Association de défense des cadres retraités, au Lebon ; Dr. soc. 1996. 1071, concl. C. Maugüé ; ibid. 1077, obs. P. Laigre ). Le Conseil d’État et le Tribunal des conflits y ont néanmoins apporté trois exceptions. Le juge administratif peut connaître de l’acte de droit privé, dont une convention ou accord collectif de travail, d’une part, lorsqu’il apparaît manifestement, au vu d’une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal, d’autre part, lorsque l’acte de droit privé suscite une difficulté d’interprétation du droit de l’Union européenne ou que sa conformité à ce droit est en cause, enfin, lorsque le législateur a prévu que les mesures prises pour l’application de la loi seront définies par un acte de droit privé et, plus particulièrement, par un accord collectif conclu entre les partenaires sociaux, dont l’entrée en vigueur est subordonnée à l’intervention d’un arrêt ministériel d’extension ou d’agrément (V. T. confl., 17 oct. 2011, n° C3828, SCEA du Chéneau c/ INAPORC c/ Cherel c/ CNIEL, au Lebon ; AJDA 2012. 27 , chron. M. Guyomar et X. Domino ; ibid. 2011. 2041 ; D. 2011. 3046, et les obs. , note F. Donnat ; ibid. 2012. 244, obs. N. Fricero ; RFDA 2011. 1122, concl. J.-D. Sarcelet ; ibid. 1129, note B. Seiller ; ibid. 1136, note A. Roblot-Troizier ; ibid. 2012. 339, étude J.-L. Mestre ; ibid. 377, chron. L. Clément-Wilz, F. Martucci et C. Mayeur-Carpentier ; Constitutions 2012. 294, obs. A. Levade ; RTD civ. 2011. 735, obs. P. Remy-Corlay ; RTD eur. 2012. 135, étude D. Ritleng ; CE 23 mars 2012, req. n° 331805, Fédération Sud Santé Sociaux, au Lebon p. 858 avec les conclusions ; AJDA 2012. 620 ; ibid. 1583 , note E. Marc ; D. 2012. 1012, obs. S. Brondel ; Just. & cass. 2013. 118, concl. C. Landais ; RDT 2012. 376, obs. H. Tissandier ; RFDA 2012. 429,...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :