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Hervé Leuwers, Camille et Lucile Desmoulins

En étudiant la figure du révolutionnaire Camille Desmoulins, Hervé Leuwers s’intéresse, au travers de sources inexploitées, à son parcours d’avocat avant, mais également pendant, la Révolution. Dans cette excellente biographie, le spécialiste des événements de 1789 rappelle ainsi que de nombreux acteurs importants de l’époque ont été des hommes de loi, permettant d’approfondir la connaissance du système judiciaire de cette époque.

par Thibault de Ravel d’Esclaponle 6 novembre 2018

Au premier abord, la présence d’Hervé Leuwers, dans les colonnes de Dalloz actualité, ne devrait pas étonner ses lecteurs juristes. Ce spécialiste de la Révolution française, professeur d’histoire à l’Université de Lille, est aussi l’un des grands connaisseurs de la justice d’Ancien Régime. Par exemple, ses travaux sur l’histoire du barreau font autorité (L’invention du barreau français 1660-1830. La construction nationale d’un groupe professionnel, éditions EHESS, 2006). Ceci étant, sa connaissance du monde judiciaire – et de ses us et coutumes – ne se limite pas à la période antérieure à 1789, étant donné que son entrée en carrière avait été marquée par une brillante biographie de Merlin de Douai (Un Juriste en Politique. Merlin de Douai (1754-1838), Artois Presses Université, 1996). En bref, Hervé Leuwers participe incontestablement à la construction progressive de l’histoire du monde judiciaire, dont il reste encore tant de choses à apprendre. Il demeure que l’on pourrait être perplexe, cette fois-ci, en découvrant le sujet de cette biographie qui n’a pas beaucoup égard au droit : il s’agit des époux Desmoulins, Camille et Lucile. Pourtant, Hervé Leuwers poursuit une voie déjà largement explorée dans son excellente biographie de Robespierre (Fayard, 2014) : étudier, avec minutie, la carrière d’avocat de ces révolutionnaires qui ont bien souvent eu, avant d’avoir un parcours en Révolution, une trajectoire au barreau. Pour l’Incorruptible, la démarche était passionnante, tout autant que les causes qu’il plaidait. Pour Camille Desmoulins, emprunter la même voie se révèle tout aussi intéressant.

La figure de Desmoulins n’est peut-être pas aussi connue que celle de Robespierre. Mais la vision romantique de ce personnage, haranguant les foules du Palais-Royal au mois de juillet 1789 (Le grand homme du 12 juillet, p. 102), s’est imposée. Le visage de Patrice Chéreau, à la faveur du fameux Danton de Wajda (1983), s’est installée dans l’imaginaire collectif. L’un des grands mérites de cet ouvrage est de donner une épaisseur nouvelle à cet homme qui fut l’un des grands acteurs du moment révolutionnaire. Hervé Leuwers restitue toutes les facettes de sa vie et de sa pensée, celle d’« un pur républicain bien avant la république » (p. 66). Des ambiguïtés sont levées, ce qui permet de porter un regard neuf sur Desmoulins. De ce point de vue, l’analyse exhaustive du fameux discours de la Lanterne est éclairante (p. 113-114), permettant de mieux cerner la relation du révolutionnaire avec la violence de l’époque. Enfin, l’éclairage que fournit la biographie de son épouse, au destin si tragiquement lié avec le sien, donne à cette étude d’ampleur une originalité remarquable.

Comme nombre de ses amis, Desmoulins a été un avocat. D’ailleurs, son contexte de naissance s’y prêtait. Son père est lieutenant général civil et criminel du bailliage ducal de Guise. Fort intéressé par les travaux de doctrine, il est persuadé d’écrire prochainement un nouveau Denisart (p. 21), une occupation que lui reproche parfois son fils. Camille est attiré par « le goût du barreau », lequel est certainement « lié à l’exceptionnelle médiatisation de causes célèbres » (p. 29). Le 7 mars 1785, il prête serment prononçant un discours resté, jusqu’à cette biographie, inédit. Ce n’était pas forcément simple pour le jeune Desmoulins : on ne se souvient pas toujours qu’il éprouvait une certaine gêne de prononciation. Mais il débute sa carrière – ou du moins sa période probatoire – sous les auspices de deux parrains illustres : Linguet et Target. Dès lors, les choses commencent bien.

Hervé Leuwers s’est intéressé à la pratique de Camille Desmoulins, approfondissant ainsi la documentation sur l’histoire judiciaire de cette époque. L’auteur fait état d’une singulière affaire, qui a tous les atours de ce qui est susceptible de devenir une grande affaire. Celle-ci « n’a jamais été étudiée, et éclaire d’un jour nouveau le parcours de l’avocat » (p. 67 s.). Le 5 septembre 1787, l’abbé Lebée de Bélicourt est déclaré coupable pour avoir inventé un vol et causé lui-même un incendie pour mieux accuser et calomnier des habitants de la ville dont il occupait la paroisse. Desmoulins est persuadé d’avoir son affaire Calas. Il s’agite, rédige un mémoire, conformément aux habitudes de l’époque. Il se démène et tente de faire annuler la sentence. Il reste que ses efforts ne provoqueront pas le réveil de l’opinion publique comme il l’attendait.

Nombre de carrières d’avocats engagés par la suite en Révolution ont été stoppées net par les événements de l’été 1789. C’est partiellement le cas de Camille. Juillet 1789 on le trouve encore occupé aux affaires judiciaires. Mais progressivement, la politique et le journalisme prennent toute la place dans sa vie, parce qu’« écrire signifie combattre » (p. 124). Du reste, et c’est encore l’une des originalités de la vie de Camille Desmoulins, en décembre 1791, voilà qu’il renoue avec la défense en justice (p. 211). Il plaide et consulte. Ainsi se retrouve-t-il à défendre la société des Amis de la Constitution de Marseille, accusée de calomnie. Mais surtout, il s’implique dans l’affaire Dithurbide et Beffroy, tous deux poursuivis et condamnés en raison de l’organisation de jeux d’argent. C’est assez rare pour être noté, Camille Desmoulins pratique la « consultation en placard », c’est-à-dire « une affiche-consultation ». Le peuple est pris à partie, non plus seulement les juges. En cela, le révolutionnaire innove. Pour cela, il sera critiqué.

À l’origine homme de loi, Camille Desmoulins ne s’est jamais complètement détaché de sa formation initiale. La tradition juridique, par ses enseignements, et sa fascination pour cette éloquence toute cicéronienne du siècle, ont été des marqueurs importants dans la construction de sa pensée révolutionnaire. Et plus généralement, en dressant le portrait délicat de Desmoulins et de son épouse, Hervé Leuwers démontre, une fois encore, que l’histoire judiciaire s’écrit aussi à partir de l’histoire de la Révolution française.

 

H. Leuwers, Camille et Lucile Desmoulins, Fayard, 2018