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« Les ordonnances Macron sont le fruit d’une lutte entre le législateur et le juge »

La neutralisation des pouvoirs du juge judiciaire constitue le cœur des ordonnances Macron. Tel est le constat qu’ont partagé Rachid Brihi et Pierre Henri d’Ornano lors d’une rencontre organisée le 6 décembre 2017 par ASTREES. S’agissant en revanche de la légitimité de cette limitation de l’accès à la justice, les avis des deux experts divergent largement.

par Julien Françoisle 18 décembre 2017

Dans les locaux de la maison de la Chimie à Paris, le think tank social Association travail emploi Europe société (ASTREES) a organisé ce mercredi 6 décembre un débat sur les ordonnances Macron. L’occasion pour cette association de demander à deux avocats, Rachid Brihi, dédié à la défense des salariés et de leurs représentants, et Pierre Henri d’Ornano, conseil auprès des employeurs, de rechercher, à travers l’analyse des nouveaux textes, le véritable sens politique de cette réforme majeure.

Une opposition entre le législateur et le juge

Quels sont alors les objectifs des ordonnances du 22 septembre 2017 ? « Répondre à cette question n’est pas simple car le gouvernement se revendique d’un travail de "désidéologisation", qui en apparence laisse penser que cette réforme se cantonne à de la technique juridique, afin de transformer le droit du travail en marché du travail, affirme Rachid Brihi, avocat associé du cabinet Brihi Koskas. Mais la forme empruntée pour réformer, c’est-à-dire la voie de l’ordonnance, n’est pas neutre. C’est peut-être même le fil rouge de tout ce processus. Puisque l’on n’est que dans la technique et que tout le monde s’accorde à dire qu’il faut réformer, pourquoi en effet organiser un débat démocratique au sein du Parlement ? », ironise l’avocat.

« Quand mon confrère dit qu’il y a un problème de démocratie, je suis totalement d’accord, avance Pierre Henri d’Ornano. Mais, pour moi, le problème n’est pas au même endroit, complète immédiatement l’avocat patronal. Cette réforme du droit du travail est le fruit d’une lutte entre le législateur, qui vote la loi, et le juge, qui lui aussi produit beaucoup de normes sociales. Or qui détient la plus grande légitimité démocratique, le juge ou les élus de la République ?, interroge-t-il. Il en résulte un phénomène de ressac, une réaction législative à la création jurisprudentielle. » Il ne s’agirait donc que d’une simple démarche de neutralisation des excès du juge : « si l’on prend l’exemple de l’obligation pour l’employeur de rechercher un reclassement à l’international, les ordonnances mettent fin pour l’essentiel aux règles développées au fil du temps par la Cour de cassation, illustre Pierre Henri d’Ornano. On génère simplement un peu plus de visibilité pour les entreprises et moins d’hypocrisie car on sait que les salariés français sont en réalité peu mobiles à l’international ».

« Réduire l’accès au juge, c’est de l’idéologie »

Cette opposition entre le pouvoir politique et l’ordre judiciaire trouve plusieurs autres illustrations : « Savez-vous qu’en quelques années, on est passé en droit du travail de la prescription trentenaire à une prescription annuelle ? En 2008, la prescription de trente ans a été réduire à cinq ans, puis à deux ans en 2013 et, maintenant, on arrive à seulement un an !, s’insurge Rachid Brihi. Cette tendance lourde à réduire l’accès au juge du contrat de travail, pour l’employeur et surtout les salariés, c’est de l’idéologie. Le choix est tout sauf innocent ».

Cette obsession d’éviter le juge, poursuit l’avocat auprès des salariés, on la retrouve dans tous les discours de l’exécutif relatif à la « sécurisation de la vie de l’entreprise » : « C’est là encore tout l’objet du barème d’indemnités aux prud’hommes en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. L’employeur sait maintenant à quel prix il peut sans motif se séparer de son salarié, et on interdit au juge de juger. Quand on met toutes les mesures bout à bout, il n’y a plus de droit du travail », déplore-t-il. « Le vrai problème de sécurité juridique, c’est quand le salarié et son conseil se réveillent plusieurs années après la rupture du contrat parce que la Cour de cassation vient d’opérer un revirement de jurisprudence et qu’il faut, par exemple, maintenant verser une indemnité financière en contrepartie du respect de l’obligation prévue par la clause de non-concurrence, rétorque Pierre Henri d’Ornano. L’employeur, qui ne pouvait avoir connaissance de cette règle du juge au moment de la rupture de la relation de travail, est dans un tel cas victime d’une véritable injustice »

Pas de cogestion sans coresponsabilité des élus ?

Rachid Brihi reproche enfin à Emmanuel Macron d’ignorer la spécificité du droit du travail, c’est-à-dire la nécessité de protéger le salarié : « En faisant l’impasse sur les questions relatives au travail et aux conditions de travail, le gouvernement fait comme si la relation de travail était apaisée, sans conflit, sans aucun lien de subordination. En entreprise on ne parle plus de salariés mais de collaborateurs ».

Et ce dernier de regretter que le législateur ne soit pas allé jusqu’au bout de cette logique : « Pourquoi ne pas avoir traité la question de la codétermination, cogestion, codécision ou quel que soit le terme qu’aurait pu trouver le ministère du travail ? Cela aurait au moins eu du sens ». « Reste que l’employeur est le seul détenteur du pouvoir de direction et qu’il est seul responsable devant le juge, réagit Pierre Henri d’Ornano. Seul, insiste-t-il. Ce n’est que le jour où l’on me parlera de coresponsabilité et de cocondamnation que j’accepterai de parler de cogestion. Le législateur ne poursuit pas d’objectif caché. »