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Personnes intersexuées : la binarité des sexes confortée par les actes d’état civil

Une circulaire relative à l’état civil des personnes intersexuées présente les dispositions permettant de différer dans le temps l’inscription du sexe dans l’acte de naissance et de rendre possible la rectification postérieure du sexe dans l’acte de naissance sans laisser de trace sur la copie de l’acte intégral.

La question de l’état civil des personnes intersexuées, non envisagée au moment du dépôt du projet de loi relative à la bioéthique et écartée en première lecture alors que leur prise en charge médicale y avait été ajoutée, a été introduite en seconde lecture. Jean-François Eliaou, rapporteur sur cet amendement à l’Assemblée nationale estimait alors que « la déclaration à l’état civil du sexe de ces enfants […] fait intégralement partie de leur prise en charge » (Rapp. AN, n° 3181, 3 juill. 2020). L’article adopté permet, en cas de « variation du développement génital », de différer la déclaration de trois mois et de rectifier l’acte intégral sans laisser de trace. Le paradigme de la définition médicale du sexe demeure alors même que le législateur prétend dissocier la question civile de la question médicale. L’amendement introduit fait ainsi pour la première fois état dans le code civil de l’existence de « variations du développement génital ». Mais cette existence est affirmée pour être immédiatement niée. La circulaire du 8 septembre 2023 de présentation des dispositions relatives à l’état civil des personnes présentant une variation du développement génital précise les modalités de mise en œuvre des deux alinéas de l’article adopté, le premier ayant pour objet de permettre de différer dans le temps l’inscription du sexe dans l’acte de naissance, le second de rendre possible la rectification postérieure du sexe dans l’acte de naissance sans laisser de trace sur la copie de l’acte intégral. Dans les deux cas, la circulaire présente les formules qui devront figurer sur les actes d’état civil et les manières de les faire apparaître.

Différer la déclaration

Différer et compléter dans les trois mois, une procédure purement administrative

Le législateur prévoit, à l’article 57 du code civil, la possibilité de déroger à la déclaration du sexe dans les cinq jours. Le paragraphe 55 de la circulaire du 28 octobre 2011 relative aux règles particulières à divers actes de l’état civil relatifs à la naissance et à la filiation prévoyait cette possibilité pendant deux ans en cas d’intersexuation, et liait le sexe déclaré aux traitements médicaux administrés. Le Conseil d’État, dans son rapport du 28 juin 2018 relatif à la loi de bioéthique, avait estimé que les dispositions prévoyant la possibilité de ne rien inscrire dans le délai d’un ou deux ans, alors que l’article 57 impose l’inscription du sexe au moment de la déclaration « pourraient être regardées […] comme entachées d’illégalité ».

Remarque : cela nous semble relever de l’euphémisme, dans la mesure où l’article 57 impose la mention d’un sexe dans l’acte de naissance et que la circulaire prévoit la possibilité de ne rien inscrire.

L’amendement reprend cette possibilité et réduit le délai prévu par la circulaire. Le législateur prévoit ainsi qu’« En cas d’impossibilité médicalement constatée de déterminer le sexe de l’enfant au jour de l’établissement de l’acte, le procureur de la République peut autoriser l’officier de l’état civil à ne pas faire figurer immédiatement le sexe sur l’acte de naissance. L’inscription du sexe médicalement constaté intervient à la demande des représentants légaux de l’enfant ou du procureur de la République dans un délai qui ne peut être supérieur à trois mois à compter du jour de la déclaration de naissance. Le procureur de la République ordonne de porter la mention du sexe en marge de l’acte de naissance et, à la demande des représentants légaux, de rectifier l’un des ou les prénoms de l’enfant. »

La procédure est ainsi purement administrative, associant procureur et officier d’état civil, médecins et représentants légaux.

Un sexe « médicalement constaté » ou constaté sur la base d’éléments médicaux

L’article 57 emploie à deux reprises l’expression « médicalement constatée ». Concernant la première occurrence, la circulaire précise qu’un « certificat médical constatant l’impossibilité médicale de déterminer le sexe de l’enfant » permettra au procureur de la République du lieu de naissance de l’enfant, saisi par les représentants légaux ou l’officier d’état civil, d’autoriser ce dernier à dresser l’acte sans « aucune mention relative au sexe » dont la rubrique disparaît de l’acte rédigé. La circulaire présente ainsi la manière dont l’acte initial omettra la case « sexe ». Le texte reproduit ainsi le choix politique opéré par le législateur qui relève de la négation délibérée des personnes intersexuées dont le rapporteur à l’Assemblée nationale expliquait pourtant qu’on « accept[ait] leur survenue » (JOAN, 31 juill. 2020, p. 5997). Le monopole médical de détermination d’un sexe est maintenu, et il est exclusivement binaire : s’il y a une impossibilité « médicalement constatée de déterminer le sexe », c’est parce qu’il n’est pas médicalement constaté que l’enfant est intersexué, mais à l’inverse, que toute personne est supposée être, sur le plan biologique, soit de sexe masculin soit de féminin. La circulaire reproduit ce cadre, tout en rappelant que cette situation est liée au choix éminemment politique opéré par la Cour de cassation dans sa décision du 4 mai 2017 confirmé par la Cour...

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