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Reportage 

Justice des mineurs. L’enfance en danger sacrifiée

Depuis des années, partout en France, les juges des enfants s’alarment de voir leurs décisions de placement de mineurs de plus en plus souvent inexécutées, malgré des tribunes, rapports et commissions parlementaires. À Nantes, la juge des enfants Marie Le Verre nous a reçu pour une matinée d’audiences durant laquelle se sont succédé des parents absents, déconnectés ou au contraire, résilients, entourés d’avocats et d’éducateurs engagés.

par Anaïs Coignac, Journalistele 11 juillet 2025

La politique du compromis

Assise sur une chaise aux côtés de son avocate, une adolescente tripote machinalement sa feuille de convocation. « Est-ce que tu sais pourquoi je t’ai demandé de venir aujourd’hui ? », l’interroge Marie Le Verre, juge des enfants à Nantes, derrière son immense bureau. « Pour parler de ma situation parce que ça fait longtemps qu’on s’est pas vues », murmure la jeune fille de quinze ans, qui s’élance : « Je demande toujours la même chose : rentrer à la maison. Et si c’est pas possible, revenir un week-end sur deux, du vendredi au dimanche pour rester deux nuits ». La juge suit la famille depuis douze ans. Salomé (tous les prénoms ont été changés) a été placée en maison d’accueil voilà six ans. Sa sœur aînée a fugué de sa structure voilà trois mois, pour retourner chez leur père, alcoolique – la mère est décédée deux ans plus tôt. L’avocate de Salomé craint que cette dernière, « influençable », l’imite. Elle a déjà séché une partie du dernier trimestre avec d’autres enfants de son centre et ses résultats scolaires ont chuté. La juge interroge la mineure sur sa situation globale – plus conflictuelle avec l’adolescence –, ses demandes – fêter les dix-huit ans de sa sœur chez leur père –, et le refus de soins de ce dernier, qui les a mises en danger à Noël, mais qu’elle essaie de minimiser. Celui-ci a prévenu qu’il ne viendrait pas à l’audience parce qu’il travaille. « Et si je fugue, il se passe quoi ? », tente-t-elle. « On demandera au commissariat de venir te chercher parce que tes conditions de sécurité ne sont pas assurées à la maison », rétorque la juge qui n’a pas réussi à faire revenir l’aînée bientôt majeure. Salomé est invitée à sortir de la pièce. La juge et le conseil cherchent une solution sous le regard de la greffière, Mme Gélineau. Faut-il la changer de centre et l’éloigner davantage du foyer familial ? Ou au contraire, accepter son retour à la maison avec une assistance éducative ? Rien ne semble satisfaisant. L’avocate plaide pour « un compromis » : augmenter les visites. « Elle vit son placement comme une punition. Si elle continue de voir si peu son père et sa sœur, on risque de la perdre ». La juge rendra sa décision dans dix jours.

Des alertes restées vaines

Salomé sera la seule mineure présente de la matinée, les autres enfants, tous âgés de moins de huit ans, n’étant pas en âge d’être auditionnés avec leurs parents. Elle a pu bénéficier d’un placement effectif, à une époque où la situation n’était pas aussi critique. En avril dernier, une commission d’enquête dirigée par la députée socialiste Isabelle Santiago a dénoncé les graves manquements de l’Etat à la protection de l’enfance et pointé « un système qui craque de toutes parts » avec « une gouvernance défaillante » face à l’augmentation « continue » des mesures de l’aide sociale à l’enfance. Parmi les témoignages sur lesquels s’appuie la rapporteure, les propos de la Défenseure des droits, Claire Hédon, dont l’institution a également émis divers rapports, sont éclairants sur l’état d’urgence de la justice des mineurs. « Nous avons été alertés, pour la première fois dans l’histoire de l’institution, par des juges des enfants sur la situation catastrophique de la protection de l’enfance dans leur département », affirme-t-elle, constatant « une forte dégradation de la situation au cours des dernières années ». Elle cite ainsi les « levées de placement sans que le...

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