Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Saisine d’une juridiction non spécialisée en droit des pratiques restrictives : l’incompétence plutôt que l’irrecevabilité - Les certitudes

La règle découlant de l’application combinée des articles L. 442-6, III (devenu art. L. 442-4, III) et D. 442-3 (devenu art. D. 442-2) du code de commerce, désignant les seules juridictions indiquées par ce dernier pour connaître de l’application des dispositions du I et du II de l’article L. 442-6 précité (devenues l’art. L. 442-1) institue une règle de compétence d’attribution exclusive et non une fin de non-recevoir.

Dès lors, lorsqu’un défendeur à une action fondée sur le droit commun présente une demande reconventionnelle en invoquant les dispositions de l’article L. 442-6 précité (devenues art. L. 442-1), la juridiction saisie non-spécialisée doit, si son incompétence est soulevée, selon les circonstances et l’interdépendance des demandes : soit se déclarer incompétente au profit de la juridiction désignée par ce texte et surseoir à statuer dans l’attente que cette juridiction spécialisée ait statué sur la demande ; soit renvoyer l’affaire pour le tout devant cette juridiction spécialisée.

1. C’est peu dire que ce revirement était espéré. La doctrine a inlassablement critiqué la jurisprudence antérieure, tant du point de vue des concepts qu’elle malmenait que des effets qu’elle engendrait. D’ailleurs, la chambre commerciale de la Cour de cassation éprouva elle-même les plus grandes difficultés à se dépêtrer du guêpier dans lequel elle s’était initialement fourrée en sanctionnant la saisine d’une juridiction non spécialisée en matière concurrentielle par une fin de non-recevoir tirée du défaut de pouvoir juridictionnel, en lieu et place d’une incompétence. Le revirement est donc salutaire ; il y avait des signes annonciateurs (v. en procédures collectives et contentieux des marques, Com. 17 nov. 2021, n° 19-50.067, Dalloz actualité, 9 déc. 2021, obs. B. Ferrari ; D. 2021. 2084 ; ibid. 2262, chron. S. Barbot, C. Bellino et C. de Cabarrus ; ibid. 2022. 625, obs. N. Fricero ; Rev. sociétés 2022. 185, obs. L. C. Henry ; RTD civ. 2022. 191, obs. P. Théry ; Gaz. Pal. 18 janv. 2022, note M. Guez ; 26 mars 2008, n° 07-10.803 ; 16 févr. 2016, n° 14-24.295, D. 2016. 478 ; AJCA 2016. 204, obs. A. Lecourt ; Dalloz IP/IT 2016. 255, obs. J. Daleau ; rapp. Com. 1er févr. 2023, n° 21-22.225, Dalloz actualité, 22 févr. 2023, obs. M. Barba ; D. 2023. 772 , note M. Dhenne ; Dalloz IP/IT 2023. 142, obs. Ekaterina Berezkina ; ibid. 523, obs. O. de Maison Rouge ; RTD com. 2023. 82, obs. J.-C. Galloux ; ibid. 323, obs. J. Passa ). La Cour de cassation aurait pu persévérer dans sa jurisprudence antérieure ainsi qu’en témoigne sa jurisprudence intéressant la relativité de la faute contractuelle, maintes fois réitérée malgré les critiques unanimes de la doctrine. Elle a plutôt fait le choix d’y mettre un terme et il convient de le mettre à son crédit.

2. L’affaire est d’une remarquable banalité. La société Airmargali conclut avec la société HML un contrat de fourniture de luminaires et de maintenance de ces derniers. Le matériel fait parallèlement l’objet d’un contrat de location financière conclu par la société Airmargali et la société Locam. Le montage est classique. La société HML tombe en liquidation et n’assure en conséquence plus la maintenance promise. La société Airmargali cesse par la suite de payer les loyers à la Locam, laquelle l’assigne en paiement de diverses sommes devant le Tribunal de commerce de Saint-Étienne en application d’une clause attributive de compétence stipulée au contrat de location financière. La société Airmargali invoque à titre reconventionnel les dispositions de l’article L. 442-6 du code de commerce (devenues art. L. 442-1 ensuite de l’ord. n° 2019-359 du 24 avr. 2019). Elle sollicite du juge stéphanois qu’il se déclare incompétent au profit de la juridiction marseillaise, spécialement désignée dans l’annexe visée à l’article D. 442-3 du code de commerce (devenu art. D. 442-2). Le juge stéphanois l’entend et renvoie l’affaire, mais plutôt devant le Tribunal de commerce de Lyon, juridiction également spécialisée. La Locam interjette appel. La Cour d’appel de Lyon infirme le jugement et rend une solution conforme à la jurisprudence antérieure : elle déclare irrecevable la demande reconventionnelle formée par la société Airmargali fondée sur l’article L. 442-6 du code de commerce, pour n’avoir pas été formée devant une juridiction spécialisée de première instance.

Pourvoi est formé contre cet arrêt, qui donne incidemment l’occasion à la Cour de cassation de rappeler que le droit des pratiques restrictives ne s’applique pas à la location financière ainsi qu’elle l’avait déjà redit dans son célèbre arrêt Green Day (Com. 26 janv. 2022, n° 20-16.782, Dalloz actualité, 1er févr. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 539 , note S. Tisseyre ; ibid. 725, obs. N. Ferrier ; ibid. 1419, chron. S. Barbot, C. Bellino, C. de Cabarrus et S. Kass-Danno ; ibid. 2255, obs. Centre de droit économique et du développement Yves Serra (EA n° 4216) ; ibid. 2023. 254, obs. R. Boffa et M. Mekki ; RTD civ. 2022. 124, obs. H. Barbier ; RLDA, n° 79, 1er mars 2022, p. 37, note M. Barba).

3. Surtout, la chambre commerciale appréhende frontalement la question du maintien de sa jurisprudence antérieure, qui voit dans la saisine d’une juridiction non spécialisée en matière concurrentielle un cas de défaut de pouvoir juridictionnel, synonyme d’irrecevabilité de la demande (initiale ou incidente). La réponse est aussi remarquable au fond qu’en la forme.

4. Après le rappel synthétique de sa jurisprudence antérieure d’allure sinusoïdale, la chambre commerciale assène :

« 13. Cette construction jurisprudentielle complexe, qui ne correspond pas à la terminologie des articles D. 442-3 et D. 442-4 du code de commerce, devenus depuis, respectivement, les articles D. 442-2 et D. 442-3 du même code, lesquels se réfèrent à la compétence de ces juridictions et non à leur pouvoir juridictionnel, aboutit à des solutions confuses et génératrices, pour les parties, d’une insécurité juridique quant à la détermination de la juridiction ou de la cour d’appel pouvant connaître de leurs actions, de leurs prétentions ou de leurs recours. Elle donne lieu, en outre, à des solutions procédurales rigoureuses pour les plaideurs qui, à la suite d’une erreur dans le choix de la juridiction saisie, peuvent se heurter à ce que certaines de leurs demandes ne puissent être examinées, en raison soit de l’intervention de la prescription soit de l’expiration du délai de recours. Au surplus, sa complexité de mise en œuvre ne répond pas aux objectifs de bonne administration de la justice ».

La chambre commerciale ajoute, dans un exercice d’auto-flagellation décidément impressionnant, que cette construction jurisprudentielle « est en contradiction avec l’article 33 du code de procédure civile dont il résulte que la désignation d’une juridiction en raison de la matière par les règles relatives à l’organisation judiciaire et par des dispositions particulières relève de la compétence d’attribution » (§ 14). Ces multiples constats la conduisent à reconsidérer sa jurisprudence.

5. L’énoncé de la solution nouvelle tient en deux paragraphes. Tout d’abord, la règle découlant de l’application combinée des articles L. 442-6, III (devenu art. L. 442-4, III) et D. 442-3 (devenu art. D. 442-2) du code de commerce, désignant les juridictions spécialisées pour connaître de l’application des dispositions des I et II de l’article L. 442-6 précité (devenues art. L. 442-I) institue désormais une règle de compétence d’attribution exclusive et non une fin de non-recevoir (§ 16). La sanction est donc renversée.

Une précision de régime suit : lorsqu’un défendeur à une action fondée sur le droit commun présente...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :