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Un haut fonctionnaire jugé pour agressions sexuelles dans le métro : « Le piédestal qu’il s’est construit vacille »

La semaine dernière, un grand commis de l’État comparaissait devant le tribunal correctionnel de Paris pour une série d’agressions sexuelles. Outre un certain nombre de points procéduraux, c’est le choc des cultures et des générations qui a marqué l’audience.

par Antoine Bloch, Journalistele 28 octobre 2022

Assis face à la barre, en raison de son état de santé, Jean C. explique qu’il a « beaucoup plus appris sur la justice depuis deux ans » que dans sa carrière. Face à lui dans le prétoire, deux jeunes femmes d’une vingtaine d’années : une blonde, impassible, et une brune, qui secoue nerveusement les jambes. Au printemps 2020, la première avait dénoncé une agression sexuelle subie dans une rame bondée de la ligne 7 du métro. Un individu, « entre soixante et soixante-dix ans », s’était « pressé contre elle » avant de lui « poser une main au niveau du sexe ». Elle était « restée tétanisée et incapable de crier ». Et quand elle s’était finalement « décollée » de lui, l’homme avait continué « à la fixer du regard, en se léchant les lèvres ».

Les enquêteurs avaient alors fait le rapprochement avec trois autres procédures, dont deux dénotaient un mode opératoire comparable. Ainsi, un an plus tôt, la brune avait fait le récit suivant : alors qu’elle était assise sur un strapontin, dans une rame de la même ligne, un homme « âgé d’environ soixante ans » s’était collé à elle, et elle avait senti « une pression sur sa cuisse, puis au niveau de son sexe ». Une enquête de voisinage, menée autour de l’une des stations de métro, a permis de remonter jusqu’à Jean C., reconnu successivement par son opticien, un libraire du quartier et la gardienne de son immeuble.

« Ces tremblements me provoquent des mouvements involontaires »

« Je fais partie de ces hommes qui se sont toujours réjouis de la libération de la parole des femmes », entame Jean C. après avoir tordu le micro vers le bas et s’être redressé sur sa chaise, « mais je déplore extrêmement vivement […] que cela puisse se transformer en guerre des sexes, les uns étant toujours présumés coupables, et les autres toujours présumées victimes ». Il avait dans un premier temps contesté avoir été présent dans le métro, voire à Paris, lors des agressions. Jusqu’au moment où il a été confronté aux « bornages » de son portable. À l’audience, il maintient que, « dans cette affaire, tout a été conduit en l’absence de preuves ». Et glisse qu’on devrait installer des caméras dans les rames de métro : « J’en parlerai à Jean Castex ».

L’un des points saillants du dossier est que Jean C. affirme souffrir d’un syndrome parkinsonien. Il tremble effectivement comme une feuille, même si son trouble peut sembler lui laisser quelque répit. « Ce que je peux dire », lance-t-il, « c’est que ces tremblements me provoquent des mouvements involontaires. […] Si ça a pu être perçu comme un attouchement pendant deux secondes, je serais bien incapable de démontrer le contraire ». En procédure, la brune avait d’ailleurs spontanément évoqué une main tremblante. Et c’est ce même détail qui avait dissipé ses doutes lors de la confrontation. « Les mains, c’est les mêmes », maintient-elle aujourd’hui : « Depuis le début de l’audience, je les regarde ».

Un autre point tout aussi saillant est l’évident choc de générations. Les jambes des deux parties civiles sont ainsi prises de la même agitation que celles du prévenu lorsque ce dernier lance que « je suis un vieil homme blanc hétérosexuel, père de famille, de surcroît bourgeois, sur lequel peuvent peser toutes les suspicions, et qui se retrouve cloué au pilori par une balle perdue du mouvement #metoo ». Ou lorsque l’une de ses réponses à la juge d’instruction est citée à l’audience : « mes filles ont toutes fait l’objet de mains aux fesses et ça ne leur a pas effleuré l’esprit d’aller au commissariat, sinon elle y seraient tous les quinze jours ».

« Si on commence à évoquer les fantasmes de tous les gens qui sont dans la salle… »

Dans son portable, on a retrouvé des photos et vidéos de jeunes femmes, prises à la sauvette dans la rue ou les transports, et il ne voit pas le problème : « Dans les musées, on voit des nus de femmes dans toutes les positions. […] Ça fait partie pour un homme hétérosexuel des plaisirs de la vie ». Voire de très jeunes filles : « Un charmant spectacle ». Jean C. s’agace : « Si on commence à évoquer la vie privée, la psyché et les fantasmes de tous les gens qui sont dans la salle… ». La présidente le coupe : « Tous les gens qui sont dans la salle […] ne sont pas prévenus. C’est ça, la différence ! ».

On passe justement à la conséquente expertise psychiatrique : quarante-six pages, faisant suite à près de neuf heures d’entretien. Il y est question d’une « pulsionnalité déviante », à base de « paraphilies polymorphes », et d’une « personnalité marquée par une grande immaturation du Moi » en lien avec « la figure d’une mère archaïque toute-puissante ».

« Ma mère, hormis le fait qu’elle était magistrat, n’était pas archaïque », objecte peu adroitement Jean C., avant de dénoncer des « divagations » et « élucubrations psychiatriques ». L’expertise écarte abolition et altération du discernement, mais souligne une « fragilisation psychologique » ayant « amoindri les résistances auparavant mises en place contre sa pulsionnalité et entravé le contrôle de ses actes ».

Quant à l’expertise psychologique, elle souligne « l’absence d’empathie à l’égard de l’ensemble des victimes ». Ajoute qu’une « condamnation le déshonorerait, lui et sa famille », et qu’un « fort sentiment de honte » l’empêcherait de « reconnaître les faits reprochés s’il en était bien l’auteur ». En fait, techniquement, Jean C. les a plus ou moins reconnus. C’est un autre aspect tout à fait particulier de ce dossier : « la mort dans l’âme », il a sollicité en fin d’information une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). « Je suis prêt à reconnaître ces agressions sachant de je ne sais pas de qui il s’agit », formulait-il alors.

Refus de la juge d’instruction, en raison de la « nature des faits », de la circonstance que « le mis en examen n’a jamais détaillé précisément les infractions qu’il admettait avoir commises », et de la nécessité d’un débat contradictoire « au regard de la complexité de sa personnalité […] et de son positionnement ». La tentative avortée est donc débattue à l’audience, ce qui n’aurait pas été le cas si une CRPC avait échoué plus loin dans le circuit.

« J’ai l’impression d’un individu dérouté par sa propre personnalité »

« Il se sent suffisamment persécuté, je n’irai pas dans le sens de ce sentiment de persécution », entame l’avocate de la brune. Elle explique que, dans le dossier, « rempli de preuves », on trouve « des pages et des pages de victimisation de ce monsieur. […] Je n’ai jamais assisté un client mis en examen capable de me faire trois pages de dépositions sur la violence que c’est pour lui ». Insiste aussi sur l’expertise psychiatrique : « Ce n’est pas courant d’avoir des conclusions aussi inquiétantes sur le danger que monsieur peut constituer dans le déni qui est le sien ». Glisse que « la vie de ce monsieur ne vaut pas mieux que [celles de] toutes les personnes qui se présentent à ce pupitre ou dans ce box ». Elle réclame 10 000 € de dommages-intérêts.

« Pourquoi elles vont porter plainte, être entendues [et] être devant vous aujourd’hui ? », enchaîne sa consœur assistant la blonde : « Pour ne plus que ça arrive. Parce que ça a dû arriver des dizaines ou des centaines de fois ». Elle ajoute que, « voir quelqu’un d’intelligent, très à l’aise, dans son monde, nier l’évidence […] alors qu’il était prêt à reconnaître pour que ça s’arrête, c’est une deuxième violence ». Puis demande un euro pour chaque trajet que sa cliente devra faire en métro dans les quarante prochaines années.

« Il n’y a pas de hasard, il n’y a pas de frôlement involontaire, il n’y a en aucune manière quelque-chose qui pourrait ressembler à autre chose qu’une agression », enchaîne le procureur, pointant « une surprise recherchée par […] une personne qui prend plaisir à susciter la sidération ». « J’ai l’impression d’un individu [qui est] peut-être dérouté par sa propre personnalité », poursuit-il : « Dérouté parce que le piédestal qu’il s’est construit vacille. ». Il déplore la posture de Jean C. : « Son discours revient à dire qu’il y aurait des gens dont l’honneur ferait qu’ils ne pourraient bénéficier de la même procédure que tout le monde ». Bref, « c’est quelqu’un qui a le profil d’un honnête homme, qui bascule, et qui n’arrive pas à franchir le pas d’assumer sa responsabilité ». Il requiert douze mois, assortis du sursis probatoire (soins et stage) pendant trois ans.

« Cet homme ne se ressemble pas beaucoup d’un dossier à l’autre »

« Il n’a pas besoin de se suicider, il est déjà mort », entame l’avocat de la défense, alors que « c’est un type formidable ». Se tournant vers les parties civiles, il précise que « c’est évident que […] vous avez été victimes d’un homme […] et d’une paraphilie se nommant le frotteurisme. […] Je ne veux pas que […] les dénégations de Jean C. laissent planer un doute quelconque sur ce que vous avez vécu ». Mais il indique que les descriptions ne coïncident pas : « Il a les cheveux courts ou longs, une corpulence mince ou forte, des lunettes ou pas. […] Cet homme ne se ressemble tout de même pas beaucoup d’un dossier à l’autre ». Il rappelle également que, dans un premier temps, aucune des plaignantes n’a formellement reconnu Jean C. sur planche photographique.

Il embraye sur la téléphonie : « Je veux bien qu’on me dise que les bornages démontrent qu’il était dans le métro, […] mais pas dans la rame, pas dans le wagon. […] D’ailleurs, dans l’un des dossiers, il a fait quatre stations en trente-cinq secondes ». Sa ligne de défense tient en quatre mots, qu’il martèle : « in dubio pro reo ». Autrement dit, le doute doit profiter au prévenu. Sur la CRPC, il précise qu’il était contre l’idée, mais « on y était presque, et c’eût été de bonne justice ». On l’aura compris, il plaide la relaxe : « Vous prendrez cette décision difficile. Difficile parce que vous aurez peur qu’elle soit interprétée comme une protection de l’un des vôtres ».

Délibéré le 9 novembre.