La définition du contrat de location, qui ouvre les dispositions de l’avant-projet de réforme consacrées à ce contrat, est susceptible d’être améliorée. En effet, si la définition de ce contrat a été rectifiée dans la version de l’avant-projet soumise à consultation, elle reste à parfaire. Par ailleurs, nombreuses sont les dispositions consacrées à la formation du contrat de location qui sont superflues. Elles se contentent en effet, pour l’essentiel, de reproduire des règles du droit commun des contrats.
Art. 1709 : La location, aussi dénommée bail, est le contrat par lequel le bailleur met une chose à disposition du locataire afin qu’il puisse en jouir, pendant un certain temps et moyennant un certain loyer.
Art. 1710 : Le loyer consiste en une somme d’argent. Il peut être complété par la fourniture d’un bien ou d’un service. En ces cas, les règles prescrites en matière de vente ou d’entreprise s’appliquent en tant que de raison.
Art. 1711 : Le locataire fait les fruits siens, sauf clause contraire ou sous-location interdite.
Art. 1712 : On peut louer toutes sortes de choses qui sont dans le commerce, mobilières ou immobilières, corporelles ou incorporelles, sous réserve des dispositions particulières s’y appliquant.
Lorsque la location porte sur une chose incorporelle, et que les parties ont manqué à y adapter les modalités d’exécution du contrat, notamment quant à la délivrance, l’usage et la restitution, les règles du présent titre s’appliquent autant qu’elles sont compatibles avec la nature de la chose louée.
Chapitre 1 : Dispositions communes à toutes les locations
Section 1 : De la formation de la location
Art. 1713 : Le contrat de location est consensuel. Il est formé dès que les parties sont convenues de la chose et du loyer.
Art. 1714 : Le loyer est librement convenu entre les parties, à moins que la loi n’en dispose autrement. Les dispositions des articles 1603 à 1607 lui sont applicables.
Art. 1715 : Le contrat de location peut être conclu pour une durée déterminée ou indéterminée, selon les règles posées aux articles 1210 et suivants.
Art. 1716 : Quand le contrat de location est conclu avec plusieurs locataires ou plusieurs bailleurs, il n’y a de solidarité entre eux qu’autant qu’elle est convenue, à moins qu’elle ne découle de la loi ou des usages.
Analyse
Définition de la location
Les textes relatifs au contrat de location débutent, dans l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux, par des dispositions liminaires placées dans un chapeau introductif précédant les deux chapitres respectivement intitulés « dispositions communes à toutes les locations » et « dispositions propres aux locations d’immeuble ». Ces dispositions liminaires commencent, comme dans la vente, par une définition du contrat de location qui se démarque tant du droit positif1 que de l’avant-projet Catala2. Plusieurs remarques peuvent être formulées à l’endroit de la définition proposée.
D’abord, si le maintien de la double appellation, location ou bail, est une bonne chose, on s’étonne toutefois que la définition de la location mette en regard le locataire et le bailleur, plutôt que le locataire et le loueur, d’une part, ou le preneur et le bailleur, d’autre part. La commission s’en explique en disant que le terme preneur est « trop connoté par la matière immobilière » et que le terme « loueur » fait « trop référence à la profession exercée (loueur de voitures, loueur de costumes, etc.) »3. Reste que mélanger les terminologies nuit à l’accessibilité des dispositions et à la précision du vocabulaire juridique, auquel la commission a pourtant semblé marquer son attachement puisqu’elle a réinstauré le terme de « commodat ».
Ensuite, la définition du contrat de location peut être améliorée, l’obligation principale du loueur étant assez mal mise en valeur. L’article 1709 de l’avant-projet, dans sa version initiale, se contentait de dire que le loueur devait « mettre une chose à disposition du locataire », sans mentionner l’obligation qu’a ce dernier d’assurer la jouissance paisible de la chose. Cette définition n’était donc pas en cohérence avec les textes suivants. En effet, la mise à disposition de la chose est la définition que donne l’article 1721 de l’avant-projet de l’obligation de délivrance4, laquelle n’est, aux termes mêmes de l’avant-projet, qu’une des facettes de l’obligation d’assurer la jouissance paisible de la chose qui pèse sur le bailleur5. Autrement dit, c’est l’obligation d’assurer la jouissance paisible de la chose, obligation principale du bailleur, qui doit figurer dans la définition de la location, en regard de celle de payer le loyer, qui pèse sur le locataire. Certes, dans la version soumise à consultation, une référence à l’obligation de jouissance paisible a été ajoutée in extremis, sans que la commission fournisse d’explication sur l’omission initiale. Toutefois, la formulation de la définition est imparfaite qui fait de la jouissance une simple conséquence de la mise à disposition, alors que la mise à disposition est une composante de la jouissance.
Enfin, par fidélité au texte de 1804, la définition proposée mentionne toujours l’obligation de fournir la chose « pendant un certain temps ». Cette mention est inutile, sachant que l’obligation d’assurer la jouissance paisible d’une chose, archétype de la prestation à utilité continue6, ne se conçoit que dans la durée. C’est dire qu’il est quasiment tautologique de préciser que le contrat de location suppose une « certaine durée », la location à exécution instantanée n’ayant pas de sens. Cette référence au « temps » a été insérée, aux dires de la commission, pour permettre de requalifier en convention d’occupation précaire les contrats dans lesquels le locataire n’a « aucune certitude quant à la stabilité de sa jouissance »7. Cette explication peut ne pas convaincre. Une convention d’occupation, quoique précaire, permet bien d’obtenir la jouissance « pendant un certain temps » de sorte que le texte proposé n’a pas l’intérêt que la commission lui prête.
Autres dispositions liminaires
Après la définition du contrat de la location, l’avant-projet précise que le loyer doit prendre la forme d’une somme d’argent, qui peut éventuellement être complétée par la « fourniture » d’un bien ou d’un service. Dans cette hypothèse, il y aura alors une application distributive des règles de la vente ou de l’entreprise. Ce n’est donc pas la « fourniture d’un bien » que le texte devrait viser, mais directement sa vente. Pour le reste, cette disposition n’appelle pas de commentaire. De même, l’article 1711 de l’avant-projet reprend, en substance, une proposition de l’avant-projet Catala. Il énonce que le locataire profite des fruits, sauf stipulation contraire ou sous-location prohibée. La référence à la sous-location prohibée a pour objet de consacrer la jurisprudence de la Cour de cassation qui a condamné le locataire à restituer au propriétaire les fruits civils obtenus par le biais de sous-locations non autorisées8. Quant à l’article 1712, il précise que la chose louée peut être de toute nature, mobilière/immobilière ou corporelle/incorporelle. Cette disposition n’est pas sans intérêt puisqu’elle a vocation à permettre l’application des dispositions du contrat de location à toutes les choses, indépendamment de l’existence de statuts spéciaux et sous réserve évidemment de dispositions plus spéciales incompatibles.
Dispositions superflues
S’agissant, enfin, des dispositions consacrées à la formation du contrat de location, elles sont, pour l’essentiel, superflues. Excepté l’article 1712 de l’avant-projet, qui précise que les éléments essentiels du contrat de location (chose et loyer), au sens de l’article 1114 du code civil, tous les autres articles sont inutiles9. Que le loyer soit librement convenu entre les parties va de soi en raison de la liberté contractuelle. Le renvoi aux dispositions relatives au prix dans la vente est, en revanche, nécessaire. Ce renvoi démontre toutefois que les dispositions en question avaient leur place, non pas tant dans le droit spécial de la vente, que dans les dispositions relatives au prix situé dans le droit commun des contrats. Las, puisqu’elles n’y figurent pas formellement, un renvoi exprès au droit de la vente est alors nécessaire10. Pour le reste, il va de soi qu’un contrat de location peut être à durée déterminée ou indéterminée et que les règles du droit commun relatives à la durée s’appliquent à lui. L’article 1715 proposé, en ce qu’il énonce une règle qui découle déjà du droit commun, n’a donc pas d’intérêt.
Solidarité par usage ?
Il en va de même de l’article 1716 qui applique, pour l’essentiel, l’article 1310 du code civil au contrat de location : la solidarité entre créanciers ou débiteurs ne se présume pas ; elle doit découler du contrat ou de la loi. L’ajout, par l’article 1716, de la référence aux usages, qui permettraient une telle solidarité, aurait pu sauver ce dernier. Reste qu’il est étrange d’institutionnaliser un usage contra legem, alors que l’intérêt pratique semble faible. L’exemple donné par la commission pour justifier son innovation convainc peu. Que l’on en juge : « s’il existe une colocation sur une résidence secondaire entre plusieurs familles ayant payé ensemble les loyers durant plusieurs années, l’usage pourra constituer une source de solidarité ». Où est l’usage dans l’exemple ? Un usage né de la répétition d’une pratique dans un domaine donné : une profession ou un type de contrat. Tel n’est pas le cas dans l’illustration de la commission qui vise plutôt une sorte de solidarité tacite ou « de fait ». Or celle-ci méconnaît frontalement le principe selon lequel la solidarité ne se présume pas.
Propositions
Chapitre 1 : Dispositions communes à toutes les locations
Art. 1709. - La location, aussi dénommée bail, est le contrat par lequel le loueur assure la jouissance paisible d’une chose au locataire en contrepartie du paiement d’un loyer.
Art. 1710. - Le loyer consiste en une somme d’argent. Il peut être complété par la vente d’un bien ou la fourniture d’un service. En ces cas, les règles prescrites en matière de vente ou d’entreprise s’appliquent en tant que de raison.
Art. 1711. - Le locataire fait les fruits siens, sauf clause contraire ou sous-location interdite.
Art. 1712. – La chose louée peut-être mobilière ou immobilière, corporelle ou incorporelle, sous réserve des adaptations rendues nécessaires par la nature de la chose et les dispositions particulières qui s’y appliquent.
Suppression du paragraphe : *Lorsque la location porte sur une chose incorporelle, et que les parties ont manqué à y adapter les modalités d’exécution du contrat, notamment quant à la délivrance, l’usage et la restitution, les règles du présent titre s’appliquent autant qu’elles sont compatibles avec la nature de la chose louée.*
Conformément à l’analyse ci-dessus, la définition du contrat de location est modifiée. Le terme bailleur est remplacé par celui de loueur ; l’obligation de délivrer la chose afin que le locataire puisse en jouir laisse sa place à l’affirmation claire d’une obligation de jouissance paisible ; la référence à la durée de la location est supprimée.
Dans l’article 1710, la mention directe de la vente d’un bien, qui peut compléter un loyer, est préférée à celle, plus ambiguë, de « fourniture d’un bien ».
Quant à l’article 1712, il est réécrit à des fins de simplifications, son objet étant toujours de préciser que la location peut porter sur tout type de choses, avec les adaptations qu’imposent la nature de la chose et les règles spéciales propres à celle-ci.
Section 1 : De la formation de la location
Art. 1713 : Le contrat de location est consensuel. Il est formé dès que les parties sont convenues de la chose et du loyer.
Les dispositions des articles [XXX prix dans la vente] sont applicables au loyer.
Suppression des articles :
Art. 1714 : Le loyer est librement convenu entre les parties, à moins que la loi n’en dispose autrement. Les dispositions des articles 1603 à 1607 lui sont applicables.
Art. 1715 : Le contrat de location peut être conclu pour une durée déterminée ou indéterminée, selon les règles posées aux articles 1210 et suivants.
Art. 1716 : Quand le contrat de location est conclu avec plusieurs locataires ou plusieurs bailleurs, il n’y a de solidarité entre eux qu’autant qu’elle est convenue, à moins qu’elle ne découle de la loi ou des usages.
Les articles 1714, 1715 et 1716, qui ne font qu’appliquer au contrat de location des règles du droit commun des contrats, sont supprimés. L’article 1713 est, en revanche, conservé. Il a le mérite de préciser que le loyer et la chose sont des éléments essentiels du contrat de location. En leur absence, le contrat est donc nul. Bien évidemment, les règles relatives à la détermination ou à la déterminabilité d’une prestation sont applicables à la chose et au loyer, dans le silence du droit spécial. Malheureusement, certaines règles relatives à la fixation du prix n’étant prévues, même après la réforme de 2016, que dans le droit de la vente, il est nécessaire d’y effectuer un renvoi exprès, ce qui n’est pas élégant.
Notes
1. C. civ., art. 1709 : « Le louage des choses est un contrat par lequel l’une des parties s’oblige à faire jouir l’autre d’une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige de lui payer ».
2. Avant-projet Catala : « Le contrat de location, aussi dénommé bail, est celui par lequel le loueur confère au locataire un droit personnel de jouissance sur un bien en contrepartie du paiement d’un loyer ».
3. Avant-projet de réforme du droit des contrats, p. 52.
4. « Le bailleur est tenu de mettre la chose louée à la disposition du locataire. ».
5. Avant-projet, art. 1719.
6. Pour reprendre l’expression de l’article 1229, C. civ.
7. Avant-projet de réforme du droit des contrats, p. 52.
8. Civ. 3e civ., 12 sept. 2019, n° 18-20.727, Dalloz actualité, 17 sept. 2019, obs. Y. Rouquet ; D. 2019. 2025 , note J.-D. Pellier ; ibid. 2199, chron. L. Jariel, A.-L. Collomp et V. Georget ; ibid. 2020. 353, obs. M. Mekki ; ibid. 1148, obs. N. Damas ; ibid. 1761, obs. N. Reboul-Maupin et Y. Strickler ; AJDI 2020. 205 , obs. N. Damas ; ibid. 2019. 796 , obs. D. Houtcieff ; ibid. 2020. 604, Pratique P. de Plater ; Dalloz IP/IT 2020. 122, obs. M. Serror Fienberg, B. Gagnaire et J.-M. Briquet ; Rev. prat. rec. 2020. 31, chron. D. Gantschnig ; RTD civ. 2019. 865, obs. H. Barbier ; ibid. 888, obs. P.-Y. Gautier .
9. On peut toutefois s’interroger sur la nécessité de l’affirmation du caractère consensuel du bail, qui résulte suffisamment du silence du droit spécial.
10. On se souviendra, à cet égard, que Mme Garnier-Zaffagnini a proposé des modifications des textes relatifs au prix dans la vente, notamment afin de mieux les coordonner avec celles que le droit commun des contrats comprend déjà (v. Dalloz actualité, 1er juin 2022, Le droit en débats, par M. Garnier-Zaffagnini).