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Le droit en débats

Avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux : les obligations du bailleur (partie 1)

Par Gaël Chantepie le 28 Octobre 2022

Au sein de la section relative aux effets de la location, l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux décline en trois sous-sections les obligations du bailleur, celles du locataire et la transmission du bail (cession de contrat, sous-location et cession de la chose louée). Au titre des obligations du bailleur, pas moins de seize articles développent le régime applicable, ce qui contraste tant avec les dispositions actuelles (9 articles) qu’avec les propositions de l’avant-projet Capitant (5 articles). L’ambition de la commission a manifestement été de clarifier des textes passablement confus, en tirant parti de la synthèse doctrinale qui en avait été faite. Le résultat est sensiblement meilleur que la version de 1804, mais pourrait sans doute être encore simplifié.

Section II - Des effets de la location

Sous-section 1 - Des obligations du bailleur

Article 1719 : Le bailleur est tenu d’assurer au locataire la jouissance paisible de la chose louée tout au long du contrat. À ce titre, il est obligé :
1° De la délivrer ;
2° De l’entretenir et de la maintenir en état de servir à l’usage convenu ;
3° De garantir le locataire des vices de la chose ;
4° De garantir le locataire contre les troubles dans la jouissance de la chose.

Ces obligations peuvent être aménagées par les parties dans le respect des articles 1170 et 1171.

Article 1720 : Le bailleur est tenu d’exprimer clairement ce qui se rapporte aux qualités et caractéristiques de la chose qu’il loue. Dans cette mesure, les obscurités et ambiguïtés du contrat s’interprètent contre lui.

§ 1 - De la délivrance de la chose louée

Article 1721 : Le bailleur est tenu de mettre la chose louée à la disposition du locataire.

L’obligation de délivrance de la chose emporte celle de ses accessoires, notamment tout autre bien ou information que requiert son usage.

Article 1722 : Le bailleur est tenu de délivrer une chose propre à servir à l’usage convenu et en bon état de réparations de toute espèce.

L’état du bien loué est dressé contradictoirement et par écrit. À défaut, le bien est présumé avoir été délivré en bon état apparent.

Article 1723 : La délivrance s’accomplit au lieu et dans le temps que déterminent les parties.

Dans le silence du contrat, elle s’opère dans un délai raisonnable, au lieu où se trouve le bien lors de la conclusion du bail.

Article 1724 : Les frais de la délivrance sont à la charge du bailleur.

Unité ou pluralité des obligations du bailleur. Les obligations du bailleur figurant à l’article 1719 du code civil sont actuellement au nombre de quatre : les obligations de délivrance, l’obligation d’entretien, l’obligation de faire jouir paisiblement et l’obligation d’assurer la permanence et la qualité des plantations. Si l’on excepte cette dernière, ajoutée par une loi du 13 avril 1946, et qui pourrait aisément être fusionnée dans l’obligation générale d’entretien, les trois obligations principales du bailleur sont reprises dans l’avant-projet de réforme.

Celui-ci énumère pourtant quatre obligations du bailleur : l’obligation de délivrance, d’entretien, de garantie contre les vices de la chose et de garantie contre les troubles dans la jouissance de la chose (art. 1719). Si l’on excepte l’obligation d’entretien, propre au bail, les trois autres obligations apparaissent comme des réminiscences des obligations et garanties du vendeur, confirmant l’idée que « de plus en plus la situation juridique du bailleur emprunte à celle du vendeur »1. Mais bien qu’elles en partagent parfois la dénomination, les obligations du bailleur sont nécessairement marquées par leur caractère continu, propre au bail2. Il est donc impossible de décalquer parfaitement la délimitation et le régime des obligations du vendeur, de sorte qu’en droit positif, tout comme dans l’avant-projet, l’obligation de délivrance et les garanties du bailleur sont soumises à un régime spécifique. L’identité entre les situations du vendeur et du bailleur n’est dès lors qu’apparente.

Quoi qu’il en soit, l’avant-projet ne se contente pas d’énumérer ces quatre obligations. Suivant une opinion doctrinale largement partagée, qu’on trouvait déjà chez Pothier3, l’ensemble des obligations du bailleur trouveraient leur source, convergeraient vers une obligation unique, celle « d’assurer au locataire la jouissance paisible de la chose louée »4. C’est cette obligation « matricielle » qui serait déclinée (« à ce titre, il est obligé ») en quatre obligations « opérationnelles ».

Séduisant intellectuellement, ce choix suscite pourtant une difficulté d’articulation. Car la portée de l’obligation d’assurer la jouissance paisible de la chose n’est pas claire, dans l’avant-projet. S’agit-il seulement d’une forme d’annonce, si bien que seules les quatre obligations énumérées par la suite seraient susceptibles de donner lieu à une action du locataire ? S’agit-il au contraire d’une obligation générale et subsidiaire, dont le manquement pourrait être invoqué, dès lors du moins qu’il ne relève pas de l’une des obligations énumérées ? L’enjeu pourrait paraître assez minime, puisque l’essentiel du régime relève du droit commun des sanctions de l’inexécution contractuelle. Mais chacune des obligations énoncées prévoit des modalités particulières quant à la répartition des risques entre bailleur et locataire et à leurs éventuels aménagements contractuels.

Pour éviter cet écueil, la recomposition des obligations du bailleur paraît pouvoir être réalisée de deux manières. Soit l’on regroupe l’ensemble des obligations en une obligation générale d’assurer au locataire la jouissance paisible de la chose, sans plus distinguer par la suite entre des obligations spécifiques, au risque d’une trop grande généralité. Soit l’on distingue formellement des obligations autonomes du bailleur, qui répondent chacune à une situation précise. À ce titre, la chronologie d’exécution du contrat de bail conduit logiquement à opposer l’obligation de délivrance, similaire à celle du vendeur ou du prêteur, et l’obligation d’assurer la jouissance paisible de la chose, qui a vocation à s’inscrire dans la durée. Cette dernière obligation pourrait en effet parfaitement accueillir l’obligation d’entretien, mais aussi les obligations actuellement qualifiées de garanties.

Certes, l’obligation d’entretien suscite une difficulté d’articulation avec l’obligation de conservation mise à la charge du locataire. Mais précisément, la répartition retenue par les parties ne doit pas priver de sa substance l’obligation essentielle du bailleur, de sorte que l’entretien peut être considéré comme une modalité spécifique de l’obligation d’assurer la jouissance paisible du bien loué5.

Plutôt qu’une réécriture de l’article 1719 du code civil, l’articulation des obligations du bailleur à partir d’un critère chronologique permettrait ainsi de couvrir l’ensemble des obligations du bailleur : l’obligation de délivrance au moment de la remise du bien loué ; l’obligation d’assurer la jouissance paisible du bien au stade de l’exécution,. Elle permettrait notamment de faire l’économie des garanties des vices cachés ou d’éviction qui sont, tant en droit positif que dans l’avant-projet, de nature à susciter la confusion.

Obligations naturelles, obligations essentielles. Avant d’énumérer les obligations du bailleur, l’article 1719 du code civil précise que « le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière ». La référence à la nature du contrat renvoie à la distinction classique, tirée de Justinien, entre les obligations essentielles, sans lesquelles le contrat n’existerait pas ou serait d’une autre espèce, les obligations naturelles, qui sont comprises dans le contrat sans qu’il soit nécessaire d’une clause spécifique, et les obligations accidentelles, celles que les parties pourraient choisir d’ajouter librement. Dans le cas du contrat de bail, les obligations visées à l’article 1719 du code civil sont généralement susceptibles d’aménagements contractuels, sous réserve du caractère d’ordre public de la délivrance d’un logement décent, ajoutée par la loi SRU du 13 décembre 2000.

L’avant-projet ne reprend pas l’expression « nature du contrat », au profit d’un renvoi aux articles 1170 et 1171 du code civil. L’idée de la commission est de « souligner l’importance »6 de la jurisprudence rendue en matière de bail, laquelle a pris appui sur l’article 1719 du code civil pour écarter les clauses qui, en restreignant excessivement les obligations du bailleur, aboutissaient à transformer la nature même du contrat7. La référence paraît cependant imprécise et inutile. Imprécise, parce qu’elle est placée en tête de la sous-section relative aux obligations du bailleur. Or, le niveau d’aménagement conventionnel des différentes obligations déclinées aux articles 1721 et suivants de l’avant-projet permet difficilement d’envisager, de manière générale, l’applicabilité des articles 1170 et 1171 du code civil. Il serait préférable de préciser les aménagements contractuels autorisés pour chacune des obligations, ce qui permettrait de déroger, le cas échéant, au droit commun. Ce qui rend la mention inutile, sauf à considérer qu’en son absence, les parties auraient été autorisées à déroger au droit commun de la police des clauses contractuelles.

Interprétation contre le bailleur. L’article 1720 de l’avant-projet propose une nouvelle règle d’interprétation, qui reprend à la lettre la formule proposée au titre de la vente (art. 1623). Considérant que le bailleur serait « tenu d’exprimer clairement ce qui se rapporte aux qualités et caractéristiques de la chose qu’il loue », et « dans cette mesure, les obscurités et ambiguïtés du contrat s’interprète[raie]nt contre lui ». La règle, qui déroge aux règles d’interprétation contenues dans le droit commun8, se justifierait, pour le vendeur autant que pour le bailleur, par le fait qu’ils posséderaient une meilleure connaissance du bien que l’acheteur ou le preneur. L’argument ne suffit sans doute pas à justifier l’ajout d’une nouvelle directive d’interprétation au juge, considérant d’une part son domaine très restreint (pour ce qui a trait aux seules qualités et caractéristiques de la chose louée), d’autre part les difficultés d’articulation avec les règles de droit commun (le caractère impératif de l’article 1190 du code civil étant parfois contesté).

Obligation de délivrance. Annoncée laconiquement à l’article 1719, 1°, l’obligation de délivrance est développée aux articles 1721 à 1724 de l’avant-projet. Leur lecture suscite un sentiment de familiarité, en raison de leur proximité avec les textes relatifs à l’obligation de délivrance dans la vente. Il faut rappeler que, à la différence de l’avant-projet Capitant, qui prévoyait un titre relatif aux droits et obligations spéciaux, comprenant notamment l’obligation de délivrance9, la commission a fait le choix de la décliner au sein des contrats de vente, de bail et de prêt à usage. Au-delà des ajustements rédactionnels requis, cela pose une difficulté fondamentale, dans la mesure où la chose délivrée, dans le bail, doit répondre à un usage déterminé contractuellement. En d’autres termes, l’usage de la chose par le créancier de l’obligation de délivrance n’étant pas libre, la délivrance doit tenir compte spécifiquement des attentes du locataire. Cela explique que la délivrance s’entende à la fois du fait de mettre matériellement la chose à la disposition du locataire, à l’image de la délivrance dans la vente, mais aussi de délivrer une chose apte à servir l’usage attendu d’elle. La distinction, classique, est reprise aux articles 1721 et 1722 de l’avant-projet.

L’obligation de délivrance, stricto sensu, est une obligation essentielle du bailleur, qui ne saurait donner lieu au moindre aménagement contractuel. La Cour de cassation a cependant admis, récemment, « que la mesure générale de police administrative portant interdiction de recevoir du public n’était pas constitutive d’une inexécution par le bailleur de son obligation de délivrance »10. Quoi qu’il en soit, la délivrance comprend les accessoires, l’avant-projet y intégrant explicitement les informations requises pour l’usage du bien. De même que pour la vente, une telle intégration dans les textes du code civil apparaît judicieuse. Mais pour tenir compte du développement de l’obligation d’information du bailleur11, un texte spécifique pourrait lui être consacré.

Entendue plus largement comme permettant au locataire de se servir du bien à l’usage convenu et, selon la formule classique, « en bon état de réparation de toute espèce », l’obligation de délivrance tolère en revanche une convention contraire conclue avec le locataire. C’est la raison pour laquelle, en droit commun, des clauses usuelles prévoient généralement que le locataire prend la chose dans l’état où elle se trouve au jour de la délivrance, ce qui revient à écarter l’exigence d’un bon état du bien loué. L’admission de tels aménagements est moins nette que par le passé. Certains statuts spéciaux les restreignent drastiquement12, dans d’autres la jurisprudence s’y montre de plus en plus hostile13. Les recours issus du droit commun devraient permettre d’éviter toute clause portant atteinte à cette obligation essentielle du bailleur.

Par ailleurs, la proposition de l’avant-projet d’enlever la référence au logement décent dans le droit commun du bail est également pertinente, même si celle-ci mériterait de figurer en tête de la section relative aux locations d’immeuble, plutôt que d’être renvoyée vers des législations spéciales. La force d’un tel principe a toute sa place au sein des dispositions du code civil.

Modalités de l’obligation de délivrance. L’avant-projet de réforme reprend pour l’essentiel les modalités de l’obligation de délivrance dans la vente. Sous les réserves déjà formulées à ce sujet14, cette position se justifie dans la mesure où le choix a été fait de ne pas créer de catégories d’obligations transversales. Il ajoute également une règle opportune prévoyant qu’un état du bien loué est dressé contradictoirement et par écrit et qu’à défaut, il est présumé avoir été délivré en bon état apparent (art. 1722, al. 2).

Propositions alternatives.

Section II - Des effets de la location

Sous-section 1 - Des obligations du loueur

Article 1719 : Supprimé

La référence à une obligation générique, celle « d’assurer au locataire la jouissance paisible de la chose louée », qui transcenderait les quatre obligations est abandonnée au profit de deux obligations connexes, mais distinctes. Le texte d’annonce n’apportant aucune plus-value au regard des obligations ci-après développées, il est proposé de le supprimer.

Article 1720 : Supprimé

Mise en conformité avec la proposition de suppression de l’interprétation contre le vendeur en matière de vente. Les dispositions relatives à l’interprétation en droit commun ne méritent pas d’aménagement particulier en la matière.

§ 1 - De l’obligation de délivrance du bien loué

Article 1721 : Le loueur est tenu de mettre le bien loué à la disposition du locataire.
L’obligation de délivrance du bien emporte celle de ses accessoires, notamment tout autre bien que requiert son usage.

Modification rédactionnelle.

Article 1721-1 : Le loueur est tenu de fournir à l’acheteur les informations lui permettant de retirer du bien l’utilité attendue au regard de l’usage convenu.

Ajout d’un texte relatif à l’obligation d’information du bailleur. Une telle obligation d’information est déjà admise dans de nombreux textes spéciaux et il paraît opportun de la formaliser dans un texte qui ne recoupe pas le droit commun de l’obligation précontractuelle. Un renforcement de l’obligation à la charge du bailleur professionnel ne s’impose pas, considérant la multiplicité des régimes spéciaux du bail.

Article 1722 : Le loueur est tenu de délivrer un bien propre à servir à l’usage convenu et en bon état de réparations de toute espèce.

L’état du bien loué est dressé contradictoirement et par écrit. À défaut, le bien est présumé avoir été délivré en bon état apparent.

Modification rédactionnelle du premier alinéa. La formule « en bon état de réparations de toute espèce » est connue et mérite d’être conservée.
La règle supplétive relative à l’état des lieux apparaît pertinente, généralisant sans contraindre, au niveau des règles communes au bail, une exigence posée à titre impératif par de nombreux statuts spéciaux (v. not., C. com., art. L. 145-40-1 ; Loi du 6 juill. 1989, art. 3-2).

Article 1723 : Dans le silence du contrat, la délivrance s’opère au lieu où se trouve le bien lors de la conclusion du contrat et dans un délai raisonnable.

Modification purement rédactionnelle, identique à celle proposée pour la vente.

Article 1724 : Les frais de la délivrance sont à la charge du loueur.

Repris à l’identique.

 

1. F. Collart Dutilleul et P. Delebecque, Contrats civils et commerciaux, 11e éd., Dalloz, 2019, n° 487.
2. A. Bénabent, Droit des contrats spéciaux civils et commerciaux, 14e éd., LGDJ, 2021, n° 352.
3. R.-J. Pothier, Traité du contrat de louage, 1778, n° 53 : « l’engagement que le locateur contracte envers le conducteur par la nature même du contrat, est de le faire jouir ou user de la chose qu’il lui a louée, praestere frui licere, uti licere. Cet engagement renferme (…) » les différentes obligations énumérées par la suite, largement similaires à celles qui figurent dans le code civil.
4. V. not., A. Bénabent, op. cit., n° 353 ; J. Raynard et J.-B. Seube, Droit des contrats spéciaux, 10e éd., LexisNexis, 2019, n° 342 ; Rép. civ., Bail, par C. Aubert de Vincelles et C. Noblot, 2018, n° 156.
5. V. infra.
6. Commentaire sous l’art. 1719.
7. V. par ex., pour l’obligation de délivrance, Civ. 3e, 1er juin 2005, n° 04-12.200, D. 2005. 1655 ; AJDI 2005. 650 , obs. Y. Rouquet ; RTD civ. 2005. 779, obs. J. Mestre et B. Fages .
8. C. civ., art. 1188 s.
9. Avant-projet Capitant, art. 5 et 6.
10. Civ. 3e, 30 juin 2022, n° 21-20.127, n° 21-20.190 et n° 21-19.889, D. 2022. 1445 , note D. Houtcieff ; ibid. 1398, point de vue S. Tisseyre ; AJDI 2022. 605 , obs. J.-P. Blatter ; JT 2022, n° 255, p. 11, obs. X. Delpech ; RTD com. 2022. 435, étude F. Kendérian .
11. F. Collart Dutilleul et P. Delebecque, op. cit., n° 487.
12. Loi du 6 juill. 1989, art. 6.
13. V. au sujet du bail commercial, D. Houtcieff, Droit commercial, 5e éd., Sirey, 2022, n° 715 et la jurisprudence citée.
14. V., G. Chantepie, L’obligation de délivrance, Dalloz actualité, 13 juill. 2022.