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Le droit en débats

Les gardes à vue abusives doivent faire l’objet d’un mécanisme d’indemnisation

Il doit être mis fin aux gardes à vue abusives, en même temps qu’il est indispensable de prévoir une indemnisation des personnes qu’elles pourraient frapper.

Par Vincent Brengarth le 28 Mars 2023

Réagir face à la pratique des gardes à vue abusives

Dans le cadre de la mobilisation contre le recours à l’article 49, alinéa 3 de la Constitution déclenché pour permettre l’adoption de la réforme très controversée des retraites, 292 personnes ont été placées en garde à vue le 16 mars 2023 et seulement 9 ont fait l’objet d’un déferrement. De tels chiffres attestent d’un complet dévoiement de la mesure, censée uniquement concerner, conformément à l’article 62-2 du code de procédure pénale une « personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement ». Cette tendance s’était déjà fortement accentuée à l’occasion du mouvement des « gilets jaunes », la presse ayant même révélé l’existence d’une note interne datant de janvier 2019 aux termes de laquelle le procureur de la République de Paris préconisait de lever les gardes à vue « le samedi soir ou le dimanche matin afin d’éviter que les intéressés grossissent à nouveau les rangs des fauteurs de trouble »1. Il était donc déjà possible d’assister à une institutionnalisation progressive et dangereuse des interpellations préventives2. De telles pratiques trouvent, en matière de maintien de l’ordre, racine dans des dispositions légales aux contours particulièrement flous, dont celles de l’article 222-14-2 du code pénal selon lequel « Le fait pour une personne de participer sciemment à un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende ». C’est généralement cette infraction qui sert à la criminalisation du port d’un masque à gaz ou de lunettes de plongée, dont peuvent pourtant être munis certains manifestants.

Le Syndicat de la magistrature a notamment dénoncé l’existence de ces centaines d’interpellations demeurées pour la plupart sans suites judiciaires : « Nous ne devons pas nous satisfaire de cette présentation de façade d’une autorité judiciaire assumant son rôle en ne donnant pas suite à des mesures policières infondées. Ces chiffres montrent que les forces de sécurité intérieure utilisent très abusivement la garde à vue, déclinaison concrète d’une volonté politique de museler la contestation en brisant les manifestations en cours et en dissuadant – par la peur – les manifestations futures »3.

De fait, l’appareil judiciaire est appréhendé par le pouvoir comme le prolongement d’une mécanique répressive plus globale, son ultime rouage. Si le Préfet de Police a pu assurer que « Les interpellations préventives, ça n’existe pas »4, de telles déclarations ne résistent pas un instant à la réalité, pas plus qu’à la propre stratégie manifestement édifiée par les pouvoirs publics, précisément, selon eux, pour prévenir les troubles à l’ordre public. L’emploi de l’incrimination prévue par l’article 222-14-2 du code pénal, plus haut mentionnée, est par nature une infraction obstacle, puisqu’elle est censée prévenir les violences ou les dégradations. La pratique montre cependant, qu’au-delà même du principe contestable d’une telle infraction, que les indices justifiant l’interpellation sont particulièrement tenus, si ce n’est parfois totalement inexistants. La garde à vue, illégale, ne se comprend alors plus que comme étant en rapport avec la conception d’un schéma visant à utiliser la contrainte soit comme mesure d’intimidation soit comme mesure immédiate de régulation de manifestations jugées indésirables par le pouvoir en place. Il s’agit in fine d’un énième détournement de la police judiciaire au profit d’objectifs de police administrative. Il doit être mis fin à de telles pratiques, en même temps qu’il est indispensable de prévoir une indemnisation des personnes qu’elles pourraient frapper.

Comme le rappelle le Professeur Joël Andriantsimbazovina, « l’article 5 § 1 c) concerne la garde à vue et la détention provisoire : quelle que soit sa forme, la privation de liberté doit être décidée en vue de conduire la personne arrêtée ou détenue devant le juge compétent. Aussi, en principe, la détention préventive n’a pas sa place en dehors d’une procédure pénale ; elle viole la Convention lorsqu’elle n’est pas destinée à présenter la personne arrêtée devant un juge compétent. Très clairement, elle ne saurait être un instrument d’une politique générale de prévention de la commission d’une infraction ou de lutte contre la délinquance. »5

Il est indispensable que la communauté des juristes réagisse face à de telles pratiques qui abîment profondément le droit pénal, en le confondant avec un instrument de police administrative. C’est en effet notre outil quotidien qui se trouve fragilisé dans sa cohérence par son accaparement parfaitement opportuniste, dans le seul dessein de mettre un terme à la contestation sociale.

Mettre en place des mécanismes permettant une indemnisation des personnes injustement gardées à vue

Un moyen de dissuader de tels comportements serait de mettre en place des mécanismes permettant une indemnisation des personnes injustement gardées à vue. Or, si la loi prévoit un tel mécanisme s’agissant de la détention provisoire injustifiée, puisque, selon l’article 149 du code de procédure pénale : « la personne qui a fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention », un tel dispositif est clairement manquant en matière de garde à vue.

La personne victime d’une garde à vue abusive pourrait éventuellement agir sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, selon lequel : « L’État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. ». Cependant, il faudra encore démontrer l’existence d’une faute lourde. Or, les praticiens de la matière administrative savent la difficulté que peut poser une telle démonstration.

Dans une décision du 11 avril 2022, le Tribunal des conflits a pu juger que : « le placement en garde à vue, en application des articles 63 et suivants du code de procédure pénale, d’une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, a le caractère d’une opération de police judiciaire et il n’appartient par conséquent qu’aux tribunaux judiciaires de connaître des litiges survenus à l’occasion d’un tel placement »6. L’efficacité de tels litiges interroge cependant, en l’absence d’une voie légalement tracée.

La Cour de cassation a pu juger, pour rejeter une question prioritaire de constitutionnalité qui était posée relative au fait que les dispositions des articles L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire et 149 du code de procédure pénale ne prévoyaient pas l’indemnisation de la privation de liberté résultant d’une garde à vue décidée dans le cadre d’une procédure finalement classée sans suite pour absence d’infraction : « Si les dispositions de l’article 149 du code de procédure pénale ne prévoient une responsabilité sans faute de l’État qu’en cas de détention provisoire injustifiée, la personne qui estime avoir subi un préjudice en lien avec une mesure de garde à vue décidée à son encontre au cours d’une procédure finalement classée sans suite peut agir en responsabilité sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire au titre d’un fonctionnement défectueux du service public de la justice. Elle n’est dès lors pas privée d’un accès au juge et l’exigence d’une faute lourde posée par ce texte répond à l’objectif d’intérêt général de protection de l’indépendance de l’activité de ce service sans créer d’atteinte disproportionnée aux droits de la personne concernée ». La Cour a pu ajouter : « La personne ayant fait l’objet d’une garde à vue, mesure dont la durée est strictement encadrée par la loi et ne peut dépasser quarante-huit heures en droit commun, se trouve dans une situation différente de celle ayant subi une détention provisoire injustifiée et le traitement distinct dont elles font l’objet, lorsqu’elles recherchent la responsabilité de l’État, est en rapport direct avec l’objet des dispositions contestées »7.

Toutefois, compte tenu du caractère imprécis des infractions utilisées et de l’appréciation très immédiate par les fonctionnaires en cause des conditions pouvant justifier l’interpellation, une telle faute pourrait être difficile à caractériser. L’institution judiciaire, déjà réticente à reconnaître sa responsabilité, pourrait l’être encore davantage dans une matière considérée comme sensible.

Aujourd’hui, les personnes placées en garde à vue dans les circonstances sus-décrites, sont souvent libérées sans un document, sans un mot d’explication. Cette absence de tout accompagnement est susceptible d’accroître le sentiment d’une violence institutionnelle.

Les « gardes à vue préventives » intervenues à l’occasion de la mobilisation contre la réforme des retraites incitent à penser un dispositif permettant d’indemnisation des mesures illégales. Outre qu’elle permettra de favoriser le lien de confiance entre le citoyen et la justice, une telle indemnisation pourrait avoir une vertu dissuasive pour les pouvoirs publics, afin qu’ils prennent, enfin peut-être, la mesure de leurs responsabilités. Dans l’intervalle, il ne peut qu’être conseillé à la personne qui estime avoir subi un préjudice en lien avec une mesure de garde à vue décidée à son encontre au cours d’une procédure finalement classée sans suite d’agir en responsabilité sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire au titre d’un fonctionnement défectueux du service public de la justice, sous les réserves exprimées.

Aujourd’hui, force est de constater que le ministère public se pense comme simple courroie de la police administrative, tout en invoquant les missions de police judiciaire pour refuser toute mise en cause possible dans ces privations de liberté préventives. Si le procureur de la République veut pouvoir se targuer du statut de magistrat au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, il se doit en conséquence d’assumer pleinement son rôle de « gardien de la liberté individuelle » en vertu de l’article 66 de la Constitution.

 

1. C. Pilorget-Rezzouk, Gilets jaunes : les consignes de la discorde, Libération, 26 févr. 2019.
2. V. Brengarth, Stop aux arrestations administratives, Le Droit en débats, 18 juill. 2019.
3. L’autorité judiciaire n’est pas un service de la répression du mouvement social, Syndicat de la magistrature, 20 mars 2023.
4. Réforme des retraites : « Les interpellations préventives, ça n’existe pas », affirme le préfet de police de Paris, Le Monde, 23 mars 2023.
5. J. Andriantsimbazovina, Le droit à la liberté et à la sûreté dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, Conseil constitutionnel, n° 7 - octobre 2021.
6. T. confl. 11 avr. 2022, n° 4243, Lebon .
7. Crim. 17 févr. 2022, n° 21-40.031.