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Le droit en débats

Indépendance et solidarité

Par Emmanuel Daoud le 02 Mars 2020

Un clip « Balance ta robe » sur un air de la chanteuse Angèle, un haka devant un tribunal, un mur de codes pénaux, des jetés de robes noires qui ont inspiré d’autres professions… la grève nationale des avocats n’a cessé de s’amplifier et de se durcir par ces actions symboliques mais aussi par les demandes de renvoi et la « défense de masse » pratiquée devant des juridictions expéditives comme les chambres des comparutions immédiates.

Après six semaines de grève, les relations entre les avocats et les magistrats ne cessent de se dégrader, les seconds reprochant aux premiers de déstabiliser le fonctionnement de la justice au mépris, soi-disant, des libertés et des droits fondamentaux.

C’est oublier un peu vite que le droit de grève est un droit fondamental dont l’autorité judiciaire se devrait d’être la garante plutôt que de critiquer l’action légitime des avocats qui se battent pour leur survie mais aussi pour les justiciables.

En effet, faut-il rappeler que tout justiciable a droit à un procès équitable avec l’assistance d’un avocat indépendant dont la liberté de parole est garantie ? À cet égard, il ne peut y avoir d’indépendance des avocats sans que soit garantie la pérennité de leurs conditions d’exercice, notamment pour les plus jeunes.

Le mouvement de grève nationale des avocats vise précisément à préserver cette indépendance, et le gouvernement comme les magistrats devraient s’en réjouir dès lors que cette action dans sa durée et sa vivacité est le signe de la vitalité de notre profession et non pas seulement un combat mené avec l’énergie du désespoir.

Comment la garde des Sceaux n’a-t-elle pas vu le fossé se creuser jusqu’à un point de rupture avec notre profession ? La ministre de la justice et son cabinet n’ont pas pris, en définitive, la mesure de la colère et de l’angoisse des avocats.

Sans doute pensaient-ils que les avocats, moins nombreux que les enseignants ou les infirmiers et les médecins, moins syndiqués que les cheminots ou les policiers, auraient des capacités de mobilisation moindres. Quel manque de lucidité !

Cependant, il ne fallait pas être grand clerc pour imaginer que les avocats n’allaient pas se laisser spolier par l’instauration d’un régime universel de retraite par points qui aboutira – en l’état – à une absorption de leur caisse et de ses deux milliards de réserve par le régime général et à une hausse des cotisations qui provoquera la fermeture de nombre de cabinets.

De plus, nos interlocuteurs au sein des ministères n’ont pas compris non plus que notre profession souvent dépeinte comme corporatiste et égoïste pouvait faire preuve de solidarité à l’égard de nos jeunes confrères ou des avocats les plus vulnérables.

Face à cette révolte, le gouvernement a opposé le mépris et le passage en force. Cette stratégie s’est révélée désastreuse et s’est soldée par un échec.

Aujourd’hui, il appartient aux acteurs gouvernementaux de ce conflit de prendre en considération les spécificités de notre profession, son histoire, ses conditions d’exercice, ses contraintes économiques afin de permettre la sauvegarde et le développement d’un barreau fort au service des justiciables, d’une justice de proximité et de la démocratie.

Les avocats aspirent comme les autres professions au bonheur professionnel. En définissant le bonheur, Albert Camus écrivait : « Qu’est-ce que le bonheur sinon le simple accord entre un être et l’existence qu’il mène ». C’est pourquoi les avocats veulent qu’on leur laisse toujours exercer leurs « fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ».

 

Cette tribune a été publiée dans Dalloz avocats, févr. 2020