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Le droit en débats

Le secret de l’instruction doit-il s’incliner devant la liberté d’informer ?

Par Vincent Brengarth le 28 Mars 2018

Protéger un secret à l’heure où l’information se diffuse au rythme débridé d’internet relève indubitablement de l’exploit, pour ne pas dire de la gageure. Il est un fait que certaines informations peuvent se prévaloir du « sceau » de l’intérêt général, en ce qu’elles concourent à la transparence démocratique. Le refuge de l’intérêt général a cependant parfois tendance à se confondre avec une forme d’impunité, celle qui n’a cure des principes qui protègent du dérèglement, que l’actualité en continu – selon la formule consacrée – voudrait nous imposer. Les délais de réaction des médias entravent ceux de la justice.

Ainsi, on a récemment pu lire le « contenu des auditions de Nicolas Sarkozy face aux policiers lors de sa garde à vue » concernant les soupçons de financement libyen de la campagne présidentielle. Se généralise ainsi une tendance, dont ce qui précède n’en est que l’une des nombreuses illustrations, consistant à banaliser les éléments de procédure, comme si ces derniers n’obéissaient plus à un régime particulier et protecteur. La contradiction entre liberté d’information et secret de l’instruction paraît ainsi surannée, tant la première semble terrasser le second.

L’opinion publique n’est plus simplement un témoin lointain d’une procédure judiciaire, elle est atteinte par des extraits médiatisés, qui sont choisis pour diverses raisons. Ce terme de « choix » renvoie naturellement à la vertu du secret de l’information, appréhendé comme le moyen de défendre la présomption d’innocence, et donc l’idée d’une neutralité dans les poursuites.

Il faut rappeler que l’article 11 du code de procédure pénale, presque tombé en désuétude, affirme le principe d’une instruction secrète. Elle l’est pour les personnes qui « concourent à la procédure » (magistrats, officiers de police judiciaire, experts…), mais aussi pour nous, avocats, conformément aux règles de notre profession. Le recel du secret de l’instruction (qui concerne journalistes, écrivains…) est également réprimé. La loi du 29 juillet 1881 interdit également la publication d’actes de procédure criminelle, ou correctionnelle, avant qu’ils aient été lus en audience publique. Seul le procureur de la République, afin d’éviter la propagation d’informations parcellaires ou inexactes, ou pour mettre fin à un trouble de l’ordre public, peut d’office, et à la demande de la juridiction d’instruction ou des parties, rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure.

La liberté prise par les médias avec le secret de l’instruction, outre ses conséquences sur la présomption d’innocence, présente plusieurs effets insidieux.

Tout d’abord, il est un fait que le principe du secret de l’information judiciaire est mal vu, puisqu’on l’associe avec la défense de celui qu’il serait censé protéger. Il favorise une logique de « camps », là où la justice se veut précisément impartiale. Cet amalgame démontre bien tout le danger d’une violation du secret de l’instruction, qui insinue l’idée que la culpabilité est acquise. 

La vérité judiciaire devient ainsi secondaire. Elle s’efface devant la vérité médiatique, puisque les débats ont débuté, et sont menés, dans une autre arène. De plus, la sensibilité politique de chaque média étant connue, il suffit que l’affaire soit politiquement marquée pour que la vérité ne soit plus simplement une vérité médiatique mais, aux yeux de beaucoup, une vérité politique. La diffusion d’informations sur une procédure en cours est alors perçue comme une tentative d’instrumentalisation idéologique, que les personnes poursuivies peuvent opportunément chercher à exploiter alors même que les faits seraient par ailleurs avérés.

L’émergence de cette nouvelle vérité peut être rapprochée du débat plus général sur les « procureurs privés », et de la suspicion qu’il peut y avoir à l’encontre des personnes qui outrepassent le secret de l’instruction, directement ou indirectement. À cet égard, on a précédemment dit que le procureur était le seul habilité à lever le secret de l’enquête, ou de l’instruction. Le média réfractaire utilise une prérogative que le procureur de la République tient de la loi, au nom d’un intérêt général dont il définit lui-même les contours. 

Le « tribunal médiatique » ne se substitue pas seulement à l’institution qu’il condamne mais il est aussi une parodie de juridiction devant laquelle les débats se tiennent avant l’heure. L’opinion publique ayant déjà tranché au vu des éléments portés à sa connaissance par voie de presse, la décision judiciaire s’avère privée de son intérêt.

Enfin, la violation du secret de l’information entraîne une forme de course extrêmement préjudiciable. Elle impose aux avocats de communiquer parfois prématurément pour défendre leur client avant d’avoir tous les éléments, au risque de se voir sévèrement contredits en fonction de l’évolution du dossier. Elle conduit aussi le procureur de la République à communiquer très largement. Ces multiples communications nuisent à l’objectivité des débats.

Le rôle de la presse reste néanmoins fondamental. Elle rétablit parfois un rapport de force dans des affaires dans lesquelles on pensait les poursuites impossibles, ou protège la justice de la tentation de l’opacité. Le secret de l’instruction n’est cependant pas un droit anachronique. Il symbolise le fonctionnement d’une justice qui ne protège ses débats que pour mieux juger. L’exemple du placement en garde à vue d’un ancien président de la République illustre son indépendance. Sans renoncer à sa liberté, la presse pourrait accepter de respecter le temps de la justice, afin de démontrer qu’elles peuvent être complémentaires sans être complices.