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Démembrement de droits sociaux : vote abusif de l’usufruitier

Pour préserver les droits du nu-propriétaire, la Cour de cassation préfère recourir à la théorie de l’abus de droit qu’à la théorie de la « substance des droits sociaux ».

par A. Lienhardle 18 décembre 2008

Alors qu’il n’aurait pas fait honte à son site internet, ce n’est pas même à son Bulletin que la Cour de cassation a voué cet arrêt, tout juste diffusé. Mystère qu’expliquerait peut-être la circonstance que la chambre commerciale n’était pas présidée par son président, Mme Favre, seul maître du destinée médiatique de ses décisions (V. D. Tricot, L’élaboration d’un arrêt de la Cour de cassation, Mélanges Ponsard, Litec 2003, p. 263, spéc. p. 266), mais par Mme Tric, faisant fonction de président. Qu’à cela ne tienne, la structure de l’arrêt du 2 décembre 2008 montre suffisamment qu’il ne s’agit pas là d’une solution d’espèce seulement. Et d’autant moins que la Cour y prend parti sur une des questions les plus discutées en droit des sociétés ces dernières années, le droit de vote en cas de démembrement des droits sociaux, qui passionne la doctrine autant qu’elle inquiète les praticiens. À quoi l’on ajoutera encore ce dernier marqueur : la célérité avec laquelle le pourvoi a été examiné, l’arrêt attaqué ne remontant qu’au début de l’année 2008 (Caen, 19 févr. 2008, Dr. sociétés 2008, n° 198, note Coquelet).

Au cœur de cette affaire, donc, la possibilité d’accorder au nu-propriétaire le droit de vote pour toutes les décisions. Possibilité qui ne pose vraiment problème que quant à ses limites, sa validité découlant de la lettre même de l’article 1844 du code civil, qui, après avoir énoncé, dans son alinéa 4, que « si une part est grevée d’un usufruit, le droit de vote appartient au nu-propriétaire, sauf pour les décisions concernant l’affectation des bénéfices, où il est réservé à l’usufruitier », précise, dans l’alinéa 5, que « les statuts peuvent déroger aux dispositions des deux alinéas qui précèdent ».

Cette ouverture légale à la dérogation statutaire a suscité une jurisprudence généreusement commentée, propice aux constructions théoriques complémentaires car toujours en devenir, jalonnée par plusieurs de ces grands arrêts du droit des sociétés plus connus par leur nom que leur date, même si, bizarrement – le présent en est la preuve –, les dernières avancées résultent plutôt d’arrêts moins prestigieux. S’il fallait résumer la situation en cette fin d’année 2008, l’on pourrait dire qu’est acquis le droit d’accorder le droit de vote à l’usufruitier pour toutes les décisions, mais que demeure incertaine la sanction de l’abus du droit de vote de ce dernier.

1° Les conditions du droit de vote de l’usufruitier

Tout aurait commencé avec l’arrêt de Gaste du 4 janvier 1994 (Com. 4 janv. 1994, Bull. civ. IV, n° 10 ; D. 1994. IR. 40  ; Rev. sociétés 1994. 278, note Lecène-Marénaud  ; RTD civ. 1994. 644, obs. Zenati  ; Bull. Joly 1994. 279 ; Defrénois 1994. 556, note Le Cannu), qui avait admis la liberté des statuts de réserver l’intégralité du droit de vote à l’usufruitier, le nu-propriétaire voyant son droit réduit à celui de participer aux décisions collectives. Sautons cinq années, passant sur les déductions doctrinales faites alors quant à la question jamais réglée de la titularité de la qualité d’associé en...

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