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Accident du travail : cumul de qualifications et travaux par entreprise extérieure sans information préalable des salariés sur les risques

C’est à tort qu’une cour d’appel se fonde sur l’existence d’intérêts protégés différents pour exclure la violation du principe ne bis in idem. Le cumul de plusieurs qualifications relevant d’un même fait est possible si les incriminations ne visent pas les éléments constitutifs des autres infractions en concours.

Par ailleurs, la responsabilité d’une société, vis-à-vis de son obligation d’information des salariés quant aux risques non mentionnés dans le plan de prévention établi avec une entreprise extérieure, ne peut être engagée sans caractériser la qualité d’entreprise extérieure ni rechercher si les manquements pouvaient relever d’une autre qualification imputable à l’entreprise utilisatrice. 

Il est des arrêts présentant une pluralité d’apports. L’arrêt du 23 janvier 2024 est de ceux-là, tant il revient sur le raisonnement que les juges doivent adopter face à un conflit de qualifications, aussi appelé cumul idéal, et face à une infraction d’exécution de travaux par entreprise extérieure sans information préalable des salariés sur les risques.

En l’espèce, deux salariés d’une entreprise ont été blessés alors qu’ils travaillaient sur un site industriel exploité par une autre société. Cette dernière société a été poursuivie et condamnée à deux amendes pour les chefs d’exécution de travaux par entreprise extérieure sans plan de prévention des risques préalables conforme, exécution de travaux par entreprise extérieure sans information préalable des salariés sur les risques et contraventions de blessures involontaires.

Après un appel interjeté par la société, les deux salariés victimes et le ministère public, la cour d’appel a confirmé la culpabilité de la société et l’a condamnée à quatre amendes de 3 500 € chacune et deux amendes de 2 000 € chacune.

Dans son pourvoi, la société invoquait une violation du principe ne bis in idem en raison du cumul des qualifications de blessures volontaires et d’infractions au code du travail, et critiquait notamment la déclaration de culpabilité du chef d’exécution de travaux par entreprise extérieure sans information préalable des salariés sur les risques.

Si la Cour de cassation rejette le pourvoi s’agissant de la violation du principe ne bis in idem, elle casse partiellement l’arrêt pour insuffisance de motivation de la déclaration de culpabilité de chef d’exécution de travaux par entreprise extérieure sans information préalable des salariés sur les risques.

L’arrêt soumis à notre étude apporte ainsi d’utiles rappels quant à la résolution du cumul des qualifications de blessures volontaires et infractions au code du travail, d’une part, et vient préciser les exigences relatives à la caractérisation de l’infraction d’exécution de travaux par entreprise extérieure sans information préalable des salariés sur les risques, d’autre part.

L’admission du cumul des qualifications de blessures involontaires et d’infractions au code du travail

Pour caractériser les blessures involontaires et les infractions au code du travail, la cour d’appel s’était fondée sur des faits matériels identiques. En effet, elle avait estimé que les manquements à une obligation de sécurité imposée par la loi ou le règlement relevés comme éléments constitutifs de la contravention de blessures involontaires étaient les infractions à la réglementation sur l’hygiène et la sécurité des travailleurs poursuivies concomitamment.

Toutefois, pour admettre le cumul des qualifications et écarter le moyen tiré de la méconnaissance du principe ne bis in idem, les juges du fond avaient estimé que les infractions sanctionnaient la violation d’intérêts distincts. Ils avaient également ajouté que les infractions au code du travail reprochées à la prévenue pouvaient être poursuivies de façon autonome et que la survenance de blessures, subies par les deux victimes, constituait un fait distinct, pris en compte par la poursuite de la contravention de blessures involontaires.

Ce faisant, la juridiction du fond se fondait sur une des anciennes jurisprudences de résolution des concours de qualifications.

En cette matière, la loi est bien silencieuse. La Cour de cassation a très tôt jugé, au visa du principe ne bis in idem, que, dans le cas de poursuites concomitantes, « un même fait autrement qualifié ne pouvait donner lieu à plusieurs déclarations de culpabilité » (Crim. 2 avr. 1897 P, cité par L. Saenko, N. Catelan, Concours d’infractions : le cumul comme nouveau principe de résolution, Gaz. Pal. 2022. 41 ; Crim. 13 janv. 1953 P). Le cumul de qualifications était admis si le fait unique tombait sous le coup de qualifications protégeant des intérêts pénaux distincts (Crim. 3 mars 1960 P, RSC 1961. 105, obs. A. Légal). Le fait atteignant plusieurs fois la société dans ses intérêts pénalement protégés autorisait le cumul des qualifications.

En 2016, la Cour a développé un autre critère pour régler les situations de cumul : la théorie de l’action indivisible. Ainsi, la Cour de cassation a posé le principe selon lequel « des faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes » (Crim. 26 oct. 2016, n° 15-84.552 P, Dalloz actualité, 7 nov. 2016, obs. S. Fucini ; D. 2016. 2217 ; ibid. 2017. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; AJ pénal 2017. 35, obs. J. Gallois ; RSC 2016. 778, obs. H. Matsopoulou ).

Ces deux critères ont un temps cohabité, mais c’était sans compter « l’infléchissement » jurisprudentiel issu de l’arrêt du 15 décembre 2021 (Crim. 15 déc. 2021, n° 21-81.864 P, Dalloz actualité, 6 janv. 2022, obs. M. Dominati ; D. 2022. 154 , note G. Beaussonie ; AJ pénal 2022. 34, note C.-H. Boeringer et G. Courvoisier-Clément ; RSC 2022. 311, obs. X. Pin ; ibid. 323, obs. Y. Mayaud ; RTD com. 2022. 188, obs. B. Bouloc ). C’est cette jurisprudence que la société fait valoir dans un de ses moyens au pourvoi : elle considère que l’élément...

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