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Amiante au tribunal de Créteil : les syndicats accusent la Chancellerie, qui répond

Une entente syndicale, formée à l’initiative de l’UNSA Services judiciaires, s’est réunie mardi 22 mai devant le TGI de Créteil, qui n’a toujours pas été désamianté. Ils dénoncent l’inaction des pouvoirs publics et leur coupable impéritie dans ce dossier, qui relève selon eux du scandale sanitaire. Pour la Chancellerie, la réglementation a été respectée, les travaux les plus urgents ont été effectués et le désamiantage global du bâtiment débutera en décembre 2018.

par Julien Mucchiellile 25 mai 2018

Le tribunal de grande instance (TGI)  de Créteil, construit entre 1976 et 1978 et dont l’architecture si particulière symbolise le livre de la loi et la balance de la justice, a été entièrement fourré à l’amiante. Les contours des fenêtres (isolation), les dalles au sol, le flocage des murs, des bureaux aux salles de repos, du dépôt aux locaux techniques, tout a été flanqué de ce matériau très efficace et peu coûteux qui a garni nombre de bâtiments construits dans les années 1960 et 1970. Jusqu’à 2006, le tribunal était même doté d’un « Télélift » qui circulait sur des rails dans un tunnel, distributeur de fibres d’amiante à tous les étages du fait des courants d’air provoqués par la circulation. Bien que l’amiante soit interdit depuis 1997, que des travaux de désamiantage aient été planifiés dès 2005, il reste en 2018 de nombreuses pièces contaminées. Le syndicat Unsa Services judiciaires, qui agit dans le cadre d’une entente syndicale visant à faire cesser cette situation, était présent mardi 22 mai sur le parvis du tribunal, afin, encore une fois, d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur une situation qui, malgré les travaux déjà effectués, demeure préoccupante.

Dès 2005, un vaste programme de désamiantage a été initié par la Chancellerie et confié au département immobilier de Paris, pour les matériaux les plus dégradés. Cela a débuté par la salle de repos des policiers, en 2005, mais le retrait des dalles amiantées a été fait de manière « sauvage », c’est-à-dire sans plan de retrait, ce qui a exposé les agents de police en poste à une très forte concentration de poussière d’amiante. De même en 2006, lors du démontage des cloisons du Télélift, les personnels des bureaux des neuvième, douzième et treizième étages n’ont pas été évacués pendant l’opération.

De 2009 à 2011, les travaux ont été réalisés dans les salles d’archives et, là encore, souligne l’entente syndicale, des personnels ont été exposés. Parallèlement, les dalles de sol de secteurs très fréquentés, comme la cafétéria et la circulation du palier, présentant un début de dégradation, ont fait l’objet d’un recouvrement de protection par un sol PVC. Des travaux de désamiantage ont été menés au douzième étage du bâtiment dont la première phase s’est achevée en septembre 2012 ; la seconde phase a été lancée en 2015.

En 2013, les travaux de réfection complète du dépôt de police se sont achevés. « Le respect des procédures réglementaires a été observé et les mesures d’empoussièrement réalisées après ces différents travaux ont toutes confirmé l’absence d’amiante », souligne le ministère de la justice, interrogé par Dalloz actualité. « À ce jour, les matériaux et produits contenant de l’amiante dégradé ou friable qui avaient été mis en évidence dans les rapports ont donc tous été traités et toutes les mesures imposées par la réglementation ont été respectées. » Les syndicats, au contraire, soulignent que seul le désamiantage des salles d’archives a été fait dans le respect de la réglementation. Pour le reste, estiment-ils, « tout reste à faire », mettant en avant, photos à l’appui, les nombreux endroits du tribunal où l’on peut observer de l’amiante visiblement dégradé. « Des travaux globaux doivent être effectués depuis des années et, depuis le temps, rien n’a été fait. Il s’agit d’un enjeu de santé publique dont le ministère semble se désintéresser », explique Hervé Bonglet, secrétaire général de l’UNSA SJ. La journée du 22 mai, grève nationale, est l’occasion selon lui d’interpeller le gouvernement sur l’urgence de ces travaux. « Un plan quinquennal doit être voté, nous souhaitons que le budget des travaux de désamiantage soit compris dans ce plan », ajoute-t-il. Ce budget devrait avoisiner les 400 millions d’euros.

« La première chose à faire est de mettre les gens en sécurité »

Le ministère de la justice apporte quelques précisions. « Les études de maîtrise d’œuvre sont aujourd’hui en cours d’achèvement et l’appel d’offres travaux sera lancé au deuxième semestre 2018 en vue d’un démarrage du grand chantier de l’IGH (immeuble de grande hauteur) fin 2018/début 2019 pour une durée prévisionnelle de trois à quatre ans. La réalisation de ces travaux nécessite le relogement provisoire d’une partie des services situés dans l’IGH dans un bâtiment modulaire qui sera construit sur le parking du TGI », détaille Youssef Badr, porte-parole du ministère.

Sur le plan médical, une telle mesure est du domaine de l’urgence. « La première chose à faire, préconise le docteur Claude Danglot, qui assiste l’entente syndicale sur la question de l’amiante, est de mettre les gens en sécurité, car plus l’exposition est longue, plus le risque est important. L’amiante est dangereux tout le temps, et encore plus quand l’enveloppe est dégradée », ce qui semble le cas encore aujourd’hui, poursuit-il. « La seule présence de matériaux amiantés dans un bâtiment ne met pas en danger ses occupants et ne saurait conduire à sa fermeture dès lors que les exigences prévues par les textes législatifs et réglementaires sont respectées », répond le ministère de la justice.

La contamination à la poussière d’amiante provoque des pathologies de types cancéreuses et non cancéreuses. Pour le cancer du poumon, bien que la corrélation soit certaine, il est impossible d’établir une causalité exclusive avec la contamination à l’amiante, car elle n’est qu’un facteur parmi d’autres (pollution, tabagisme, etc.). Tous ces facteurs constituent ce que l’on appelle le « vécu toxicologique ». Chacun dispose du sien, ce qui explique que certains contractent des pathologies, d’autres non.

Des pathologies, comme l’Abestose ou le cancer de la plèvre, ont une origine bien déterminée : l’exposition à l’amiante. Ces pathologies émergent après une longue durée d’exposition, de l’ordre de vingt-cinq, trente ans, ce qui peut expliquer la lenteur de la réaction des pouvoirs publics et le peu d’entrain des personnels à se mobiliser. « Si quelqu’un était mort en quelques mois d’une maladie foudroyante, l’effet aurait été tout autre », pense Brigitte Bruneau-Berchère, secrétaire générale de l’UNSA SJ en Île-de-France. « En général, les effets de l’amiante se déclarent quand on est à la retraite. Dans dix, vingt ans, ils auront des problèmes et ils ne feront pas de corrélation », déplorent Dolorès Dambrin, du syndicat Unité SGP police. Ils évoquent trois décès par cancer et actuellement neuf personnes atteintes de pathologies possiblement liées à l’amiante. Le ministère répond : « À ce jour, la Chancellerie n’a eu connaissance que d’une seule demande d’indemnisation en rapport avec l’exposition à l’amiante au TGI de Créteil ». Il s’agit d’un agent d’entretien au conseil général, mis à disposition du TGI en qualité d’agent de maintenance, du 3 octobre 1977 au 1er décembre 2000, date de sa mise à la retraite. Les troubles dont souffre cet agent ont été reconnus comme maladie professionnelle liée à l’amiante par son employeur, le conseil général du Val-de-Marne, en 2001. Il perçoit, à ce titre, une rente d’invalidité de 60 % versée par l’État depuis 2003. Parallèlement, il bénéficie d’une indemnisation versée par le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA).

Un contrôle insuffisant du taux d’amiante ?

Les syndicats fustigent également le manque de contrôle du taux d’amiante dans les bâtiments. Le dernier a eu lieu en 2014, alors que cela devrait être fait tous les trois ans, estime-t-il. « Le tribunal de Créteil ne recèle que des matériaux amiantés de la liste B. De ce fait, le diagnostiqueur est seulement chargé d’effectuer des recommandations de gestion adaptées à la protection des personnes. Du point de vue réglementaire, il n’y a donc aucune obligation à réaliser des mesures tous les trois ans au TGI de Créteil », répond la Chancellerie, qui détaille la procédure de mesure du taux d’amiante : « on distingue les locaux de vie et les locaux occasionnellement visités. Dans les locaux de vie, les mesures d’empoussièrement sont faites dans un contexte d’activité normale des locaux. En revanche, dans les locaux occasionnellement visités, une simulation de l’activité est réalisée par l’utilisation d’un ventilateur. Ainsi, dans tous les cas, la mesure est réalisée dans des conditions représentatives de “brassage” de l’air (et donc de mise en suspension d’éventuelles fibres d’amiante). En tout état de cause, la durée de la mesure est de vingt-quatre heures et couvre donc non seulement des périodes calmes mais aussi des périodes de pic d’activité ».

Si ces mesures n’ont pas montré un taux très élevé, il demeure à certains endroits supérieur au taux réglementaire. Surtout, de très nombreux endroits sont dégradés, au contact desquels le danger est démultiplié. Dans un courrier à l’entente syndicale, rédigé le 30 novembre 2017, le docteur Danglot écrit qu’« il est plutôt inquiétant de noter que le discours officiel de l’administration judiciaire est en contradiction totale avec la réalité du terrain et sous-estime totalement les risques graves auxquels sont soumis quotidiennement les personnes et usagers du tribunal. J’ai pu vérifier ce point, lors du CHSCT du 9 février 2017, durant lequel j’ai alerté l’administration du TGI sur les dangers réels courus par les personnels et le public. […] La réponse de la responsable de la sécurité du TGI a été particulièrement choquante, se retranchant strictement derrière une réglementation inadaptée ». Il pointe notamment l’absence quasi totale de médecine préventive et de suivi médical des personnels exposés, alors que c’est maintenant, selon lui, qu’il faudrait examiner ces personnels, afin de traiter en amont les possibles conséquences d’une longue exposition à l’amiante.