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Au tribunal administratif de Montreuil, des juges face à la précarité durable

Chaque semaine, le tribunal administratif de Montreuil, deuxième département le plus pauvre de France et en tension démographique, reçoit des requérants de toutes nationalités en droit des étrangers, parmi les dossiers de droit de la fonction publique, droit fiscal, social ou de l’urbanisme. L’occasion de mesurer les enjeux humains et les problématiques administratives derrière ce contentieux de masse.

par Anaïs Coignac, Journalistele 14 octobre 2022

« Erreur manifeste d’appréciation », « procédure viciée », « défaut de motivation du préfet »… Les affaires se suivent et les mots se répètent dans la bouche des avocats. Les documents aussi, s’accumulent, gages d’une relative stabilité : 200 pièces produites ici, 47 fiches de paie là. Pour tous, un objectif : faire annuler la décision de la préfecture qui impose aux ressortissants étrangers de cette audience, de quitter le territoire français (OQTF) avec ou sans délai, obligation assortie ou non d’une interdiction de retour en France pendant plusieurs années. Ce vendredi 30 septembre, au tribunal administratif de Montreuil, l’audience en droit des étrangers se tient dans une salle pleine : des requérants seuls, en couple, en famille, le plus souvent accompagnés de robes noires. Quelques-uns, plus rares, ne se sont pas déplacés, laissant le soin à leur conseil de défendre leur cas face à la préfecture. Une femme âgée aux cheveux gris retenus en chignon s’avance timidement à la barre, dans le sillage de son avocate. Cette dernière raconte « la stupeur » de cette cliente, Mme G, lorsqu’elle a appris le refus de la préfecture de renouveler son titre de séjour après plus de onze ans passés légalement en France auprès de sa famille. Cet élément n’est d’ailleurs « pas contesté par l’administration », rappelle l’avocate. Néanmoins, la préfecture lui impose une obligation de quitter le territoire sous 30 jours. Sa fille et son gendre, présentés par l’avocate à la présidente et à ses deux assesseurs, se tiennent au quatrième rang. Serrés l’un contre l’autre, ils ont l’air inquiets. L’accent est mis sur l’importance du rôle de grand-mère de Mme G, en particulier l’année 2020, alors que sa fille part en Algérie s’occuper de son père malade. Il décédera la même année, mais la crise sanitaire empêchera la femme de rentrer avant 2021. « Pendant cette période difficile, Mme G a beaucoup aidé son gendre », précise la conseil qui insiste sur la maladie de sa cliente, dossier médical à l’appui, atteinte de la DMLA – « elle n’y voit pas grand-chose ». « Elle n’a plus que deux sœurs très âgées en Algérie, qui ne pourraient pas s’occuper d’elle, tonne-t-elle à la barre. Et quand bien même, sa cellule familiale est en France, indubitablement. » Un peu plus tard, M. et Mme B, un couple d’Albanais, se présentent à la barre avec leur avocate, tout aussi intimidés par ce décorum, face à l’enjeu de leur maintien ou non en France. La préfecture a ordonné, à leur encontre, une OQTF en 2021, une interdiction de retour en France de deux ans. Eux réclament à l’Etat une astreinte de 150 euros par jour de retard en cas d’inexécution de la décision (supposée favorable) du tribunal. Un premier référé a été rejeté. Ils jouent là tous leurs espoirs. « La famille s’est reconstituée en France avec une fille de 13 ans qui est l’interprète de la famille, et un garçon de 6 ans qui ne connaît pas l’Albanie », prévient l’avocat, Me Mbaye. Il reconnaît la difficulté du couple à régulariser sa situation, mais assure qu’« ils paient des impôts ». « Les enfants seraient les plus touchées par ce départ. Ils méritent qu’on leur donne la chance de poursuivre leur vie en France, d’autant que les parents sont des personnes sérieuses », lance-t-il aux magistrats, espérant pouvoir les convaincre grâce aux pièces du dossier. La présidente, Monique...

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