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Avocat du 21e siècle : un rapport provocateur veut bousculer la profession

Un rapport de l’Institut des hautes études de la justice, réalisé avec le Centre de recherche et d’étude des avocats malmène la profession pour la pousser à se réinventer.

par Anne Portmannle 27 octobre 2017

« L’avocat français entretient un rapport avec la vérité assez relâché », il doit « assumer sa transition du statut de notable à la fonction de pacification sociale ». C’est aussi « une vieille profession jalouse de ses prérogatives » qui doit « faire fi de son dépit et de ses blessures narcissiques pour recréer la proximité avec son client » plutôt « que de perdre [son] temps dans des combats d’arrière-garde ». Tel est le portrait de la profession d’avocat, peu flatteur, que dressent les deux rédacteurs du rapport réalisé avec le Centre de recherche et d’étude des avocats (CREA), Antoine Garapon et Sarah Albertin, de l’Institut des hautes études sur la justice (IHEJ)1.

Crise de crédibilité

L’avocat pénaliste « réduit au rôle de supplicateur de justice », défiance des juges envers l’avocat au civil, ceux-ci accordant « plus de crédit aux sources qui n’émanent pas des parties »… « il est acquis en France que les avocats français tendent à jouer avec les limites de la vérité et entretiennent avec elle un rapport malicieux ».

Contrairement à ce qui a cours dans les pays anglo-saxons, où « la loyauté et la coopération sont considérées par le juge comme des obligations professionnelles de l’avocat ». Il faut donc renforcer la crédibilité des avocats et les « responsabiliser » en réhabilitant l’audience et faire, le plus possible, des procès « à corps présent ».

Le rapport précise que « si nombre d’avocats sont aujourd’hui attachés aux voies de recours actuellement disponibles et notamment à l’appel, encore perçu comme une voie de réformation, c’est aussi parce qu’ils […] sont bien conscients de la faiblesse de certaines juridictions de première instance et succèdent parfois à un confrère peu inspiré ».

Il est également préconisé d’encadrer le procès dans des délais plus stricts, pour éviter l’utilisation de cette « arme pernicieuse » qu’est le dilatoire et de renforcer l’exécution des décisions. La reconquête de la crédibilité des avocats passe également par la mise en place d’une déontologie très rigoureuse, avec la refonte complète des instances et de la procédure disciplinaire.

Enfin, l’avocat, qui selon le rapport ,« a du mal à se penser en dehors de l’audience », devra assumer son nouveau rôle de « pacificateur social » qui médiatise les relations entre les citoyens et les institutions.

Du numérique et de la disparition des professions « triple A »

Le numérique a « ringardisé ces professions qui semblent restées à un stade artisanal, aristocratique et ancien, ou les professions 3A ». Les avocats en font bien évidemment partie, bousculés par l’avènement des legaltech. La profession doit savoir « résister à ce bluff technologique, mais intelligemment ». Il est constaté que l’émergence de l’intelligence artificielle réduit l’importance du savoir juridique à la portion congrue, ce qui est « une blessure profonde portée au narcissisme personnel des avocats ».

Les legaltech, nouveaux intermédiaires entre le justiciable et la justice, promettent de se placer « aux antipodes de l’arrogance des pouvoirs de l’ancien monde », dont l’avocat fait partie. « La part de mystère qui entourait la profession devient mystification aux yeux des consommateurs avides d’efficacité ». Pour surmonter cette difficulté, l’avocat doit notamment « se former aux nouvelles technologies qui ne cessent d’évoluer » et développer des « doubles compétences ».

Mais ce serait une erreur de laisser « le champ libre au legaltech » sur les marchés de faible valeur ajoutée et de se concentrer uniquement sur les services à forte valeur ajoutée. En effet, explique le rapport « les plateformes vont monter en compétence et risquent à terme d’attaquer ce marché à plus forte valeur ajoutée, mais aussi à plus forte marge ».

Rapport à l’argent

Pour s’adapter à ce que le rapport qualifie de « changement de paradigme », les avocats doivent changer leur modèle économique. Le modèle de cabinet à structure pyramidale, qui a cours au sein des grands cabinets d’affaires, est ainsi dépassé. Notamment parce que les clients refusent désormais que leur soient facturées des prestations effectuées par des collaborateurs et des stagiaires, exigeant l’intervention de l’associé.

L’analyse s’étend ensuite longuement sur le rapport des avocats français à l’argent, assénant que « de façon générale », il est « ambivalent et peu franc ». « Ce rapport complexe et complexé avec l’argent est très enraciné chez les avocats, et plus généralement dans la société française » peut-on lire. Ce défaut est doublé d’une propension de l’avocat à « l’individualisme économique qui le conduit à rechercher un profit personnel ». Il n’a donc pas l’esprit d’entreprise et n’a jamais réussi à « institutionnaliser la distribution du profit », ce qui le handicape face à la concurrence.

Pour s’adapter, il faut se regrouper (de préférence au sein de firmes européennes) et de revoir le modèle tarifaire, en renonçant notamment au « sacrosaint » taux horaire. Le rapport mentionne évidemment l’ouverture du capital des sociétés d’avocats et se fait même plus audacieux, suggérant de remettre en question l’interdiction de l’apport d’affaires et du partage d’honoraires.

D’après le rapport, il reste tout de même un secteur où l’on peut exercer de manière « rémunératrice » en gardant le mode de fonctionnement pyramidal si décrié en d’autres matières : ce sont les enquêtes de régulateurs. Dans ce domaine, en effet, l’entreprise doit « montrer son désir de coopérer en prenant un cabinet d’avocat reconnu. Le million d’heures facturables qui est dépensé par l’entreprise permettra de dire qu’elle a coopéré et la peine sera donc moindre ».

Le retour de l’avocat en entreprise et la fusion avec les juristes d’entreprise

Il est reproché à l’avocat français de ne pas entrer dans la mondialisation. L’analyse compare les avocats français à leurs homologues, notamment anglo-saxons, et ce n’est pas très flatteur. Alors que l’avocat français, confit dans ses principes, « rêve de devenir un ténor du barreau et aujourd’hui une star médiatique », l’américain, lui a « une pratique moins personnelle du droit » et fait preuve d’un « plus grand professionnalisme ». La seule solution pour sortir de l’ornière est de favoriser la porosité avec d’autres professions. Il faut ainsi promouvoir la mobilité et l’agilité. Le rapport revient également sur la création du statut d’avocat en entreprise « à laquelle une partie des avocats s’est encore une fois fermement opposé » (V. Dalloz actualité, 16 mars 2016, art. A. Portmann isset(node/177965) ? node/177965 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>177965). Et souligne que la nécessité de la réunion des professions de juristes d’entreprises et d’avocats « semble de plus en plus évidente », insiste le rapport. Mais voilà, en France, l’unité des professions du droit se heurte « à des résistances culturelles profondes », car « elle réveille d’interminables querelles de statuts ». L’avocat français se sent « investi d’une fonction politique de représentation » du peuple et résiste à penser que son activité est un business comme un autre.

En conclusion, pour pousser l’avocat français à « sortir du confort de son statut » et à relever ces quatre grands défis, il faut, selon les rédacteurs du rapport, trouver un « story telling », une nouvelle manière de lui raconter son histoire afin qu’il puisse se réinventer.

 

« Nous n’avons pas voulu faire un rapport froid »
Sarah Albertin, co-rédactrice du rapport, de l’IHEJ, explique que le but de ce rapport, est de « créer la discussion ». « Nous avons mis en place, avec le Centre de recherche et d’étude des avocats, des ateliers pour dire les choses franchement et les déposer dans l’arène pour créer le débat », explique-t-elle. « Le rapport est soit très bien reçu, soit fortement rejeté. Il ne laisse pas indifférent, nous n’avons pas voulu faire un rapport froid, dans le consensus ». Sarah Albertin se défend cependant de toute provocation. « Nous avons voulu énoncer des vérités pas toujours agréables à entendre, mais nécessaires à la remise en question de la profession ». Elle précise qu’un premier rapport, dans la même veine, sur les directeurs juridiques, avait déjà été publié en mars 2016.

 

 

1 Cet exposé restitue les propos qui se sont tenus lors d’ateliers de réflexion qui ont été organisés tout au long de l’année 2017 sous l’égide de l’IHEJ, mais aussi du Centre de recherche et d’étude des avocats (CREA). Elle met en évidence quatre « défis » de la profession que devra relever pour construire « l’avocature du 21e siècle ».