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À Bobigny, un surveillant comparaît pour des violences contre un détenu

La procureure a demandé un an dont six mois avec sursis contre Rudy K., surveillant pénitentiaire, qui aurait dans l’exercice de ses fonctions commis des violences aggravées contre un détenu, occasionnant quatre jours d’ITT. La décision a été mise en délibéré et sera rendue le 9 novembre.

par Julien Mucchiellile 15 octobre 2018

Un homme (Rudy K., 29 ans), chemise, cravate, chaussures pointues, libre à la barre de la 16e chambre correctionnelle de Bobigny : le prévenu. Jefferson D., 18 ans, entre menotté et escorté par quatre policiers. Il est détenu et victime. Rudy K. est surveillant pénitentiaire à la maison d’arrêt de Villepinte, où il aurait commis des violences sur Jefferson D., à qui les unités médico-judiciaires ont délivré quatre jours d’ITT.

« C’est un dossier, dit le président, qui a déjà touché la barre. » Il entend par là que le premier procès a été renvoyé, le 25 avril, pour que la victime puisse s’organiser – et que le dossier soit mis en état. Ce 12 octobre, Rudy K. a été mis à pied six mois. Jefferson D. n’est toujours pas représenté, mais il se constitue partie civile. Jefferson D. explique sa démarche : « J’ai été choqué et je n’ai pas compris sa violence. Si j’ai décidé d’en arriver là, c’est pour que cette personne n’exerce plus dans la maison d’arrêt, pour les jeunes détenus en tout cas. »

23 avril 2018, vers 7h10 du matin, Rudy K. fait le tour des cellules. Lui, affirme : « J’ai dit bonjour, qui veut prendre une douche ? Il n’a d’abord pas répondu, puis s’est approché », l’a verbalement alpagué : « Tu sais pas qui je suis », ou quelque chose du genre. Anicroche, le surveillant parvient à repousser le détenu dans sa cellule, dit-il, et à en rendre compte à sa hiérarchie, immédiatement et par téléphone. Le détenu dit autre chose : il ne l’a pas insulté, et on ne lui a pas proposé de douche, d’ailleurs on ne propose jamais, c’est de droit, il suffit de le signaler par une petite pancarte accrochée à la cellule. « Et puis ce n’est pas lui qui me repousse dans la cellule, c’est moi qui parviens à m’extirper de lui et à rentrer », précise-t-il. Cette scène a été filmée. Rudy K., il l’a beaucoup répété, aurait bien aimé que l’on voit la vidéo à l’audience (un problème technique l’a empêché, NDLR), qui aurait selon lui expliqué bien des choses, et surtout entériné sa version. Les policiers ont vu le film et, dans la procédure, ne mentionnent pas le coup de fil passé par le surveillant.

Deuxième temps. 7h30 : Rudy K. revient avec un collègue et l’intention d’en découdre. Cette fois-ci, la vidéo est visionnée par le tribunal – elle est projetée sur un écran souple planté sur un caddie (pour faire rouler l’écran), à côté de la procureure. La scène est fulgurante : Rudy K. sort Jefferson D., il l’empoigne et le frappe (le collègue surveillant n’a pas la scène en visu) : coups de poings, coups de pieds, coups de genoux, il le tire par les dreadlocks, le balance contre le mur, au sol et en l’air. Jefferson est brinquebalé comme un pantin. Ils sont séparés, Jefferson D. est placé en quartier disciplinaire, car Rudy K. a prétexté avoir été agressé. Mais son compte rendu est très évasif. Il mentionne simplement « s’être senti menacé », et après le visionnage de la vidéo, la procédure, pénale cette fois-ci, se retourne contre le surveillant.

« On a l’impression que vous êtes dans la toute puissance »

Le président lève le nez de sa feuille : « Pourquoi avoir fait cette intervention à la mexicaine ? En détention, on n’interpelle jamais quelqu’un seul. » Rudy K. admet, « ce que j’ai fait est fautif », mais quand il revient, « c’est pour lui proposer de nouveau de prendre une douche, et si jamais il ne s’était pas calmé, je l’aurais envoyé au quartier disciplinaire », explique-t-il. Cela n’explique pas l’extrême violence : « On a l’impression que vous êtes dans la toute puissance, que vous voulez imposer votre autorité par tous les moyens ». Le prévenu nuance, expliquant qu’il a insisté dans l’empoignement car le détenu ne voulait pas se mettre à terre, comme le veut la procédure. « On a plutôt l’impression qu’il se fait passer à tabac, le garçon, vous êtes d’une stature impressionnante, il faut le dire. »

Jefferson est, il est vrai, un jeune homme fluet, tandis que Rudy est un ancien du 3e régiment de parachutistes d’infanterie de marine, qu’il a quitté à contrecœur à la suite d’accident de moto. Avec une certaine satisfaction, il explique : « Très peu de surveillants sont comme moi, dans le sens où je suis très rigide, j’applique le règlement à la lettre, je travaille au plus près des détenus en essayant de mettre à profit mon expérience. » Il est la « bête noire » des jeunes détenus (habituellement les plus agités), et affirme sans ambages être employé pour gérer les situations délicates. Rudy est tout simplement le gros bras de la maison d’arrêt de Villepinte.

Mais Rudy K. sait qu’il est allé trop loin. Le président : « Est-ce qu’à un moment, vos nerfs ont lâché ? »

Rudy K. : « Ce jour-là, j’ai trop abusé. »

Le président : « Cette caméra, elle n’était pas là depuis longtemps, à peine deux semaines. Vous vous rappeliez qu’il y avait une caméra ? »

Rudy K. : « Oui, mais je n’y ai pas pensé sur le moment. En général, les détenus me craignent. Je voulais dire que j’aimais mon travail, j’aimais me lever le matin. »

« Il présente une arborescence assez impressionnante de comportements asociaux »

Les choses n’ont pas toujours été faciles pour le prévenu. Il doit 7 000 € à l’armée, et, sorti de l’école nationale de l’administration pénitentiaire, il n’a pas obtenu de logement et a dû dormir un temps dans sa voiture. Son dossier professionnel note qu’il est disponible, volontaire, courageux, rigoureux. Mais plusieurs incidents sont rapportés : des insultes à un fonctionnaire, des propos à caractères sexistes et sexuels à une employée au ménage, des invectives à des policiers depuis le parking où il se changeait (après avoir dormi dans sa voiture et pour répondre à une remarque qu’il jugeait déplacée, précise-t-il). Le président a qualifié les antécédents de Rudy K. de « peu reluisants ». « On a le sentiment d’avoir affaire à quelqu’un qui est un peu hors cadre et difficile à contrôler », analyse-t-il.

La procureure, en ses réquisitions, est plus véhémente : « Il fait montre d’un égocentrisme assez étonnant lorsqu’il parle de lui et présente une arborescence assez impressionnante de comportements asociaux. » Elle estime qu’il « y a des professions qui ont des responsabilités plus importantes, et on souhaite que ces professions soient inattaquables. La pénitentiaire a ceci de particulier qu’elle est en contact avec des personnes privées de certains droits, un peu de leur dignité leur est grignotée. Ce sont les surveillants qui font en sorte que les détenus puissent vivre cette période avec dignité et humanité », proclame-t-elle. Elle requiert un an de prison, dont six mois avec sursis, et cinq ans d’interdiction d’exercer. Elle rappelle le « déferlement de violence inouï » qui s’est abattu sur le jeune Jefferson D. (qui a demandé un renvoi sur les intérêts civils), et relève « le dépit » affiché par le prévenu, qui aurait aimé que l’on voit la première vidéo.

La défense rebondit sur cette phrase : « Il a une faille narcissique, mais ce dépit est dû au fait qu’il voulait montrer qu’il était aussi un bon surveillant. » Il n’est pas qu’un ancien para rigide et violent chargé de faire régner l’ordre par la terreur dans les coursives les plus agitées. « Monsieur K. n’est pas qu’une personne détestable, maladroite, impulsive », mais il est aussi un surveillant très efficace. Et que fait l’accusation ? « On le met à terre, on le détruit et on le piétine. » Elle ne revient pas sur la peine demandée, mais estime que le tribunal n’est pas apte à apprécier, sur la base du dossier et de l’audience, si Monsieur K. dispose des capacités pour exercer cette profession. C’est à la commission professionnelle, qui attend la décision, de se prononcer sur ce point.

La décision sera rendue le 9 novembre.