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Le Conseil d’État « peut vivre » avec la réforme de la haute fonction publique

En rendant public le rapport annuel de l’institution, le vice-président du Conseil d’État n’a pas caché ses doutes à l’égard de la réforme de la haute fonction publique. Mais il assure que l’institution fera avec.

par Marie-Christine de Monteclerle 17 juin 2021

Bruno Lasserre en est convaincu : il est à la tête d’une « institution de la République qui a un avenir rayonnant ». Présentant, le 15 juin, à la presse le bilan annuel et le rapport d’activité 2020, le vice-président s’est voulu résolument optimiste à l’issue d’une année de bouleversements, qui a sans nul doute fait connaître le Conseil d’État au grand public comme jamais… Mais a aussi vu pleuvoir les critiques. Pour autant, il n’a pas caché certaines préoccupations et ses attentes à l’égard de l’exécutif.

La juridiction administrative ne participera pas aux États généraux de la justice, qui concernent son homologue judiciaire. Mais « nous savons ce que nous voulons ». Pour Bruno Lasserre, il y a trois priorités pour la justice administrative, qui font l’unanimité en son sein. D’abord la simplification du contentieux des étrangers. Avec douze ou treize régimes procéduraux, « nous n’en pouvons plus ». Bruno Lasserre a passé « beaucoup de temps » et investi « beaucoup d’énergie » pour défendre auprès de l’exécutif les vingt propositions du rapport Stahl (AJDA 2020. 1932 ). « On me répond : c’est une bonne réforme, mais ce n’est pas le moment d’en débattre ». Le vice-président ne peut que s’incliner devant l’argument politique. Mais « je prends rendez-vous pour le début du prochain quinquennat ». La deuxième demande porte sur les effectifs de la juridiction administrative. « Il faut des emplois supplémentaires pour les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel parce que le contentieux repart ». Certes, l’année 2020 a vu une baisse des requêtes (v. encadré). Mais les premiers chiffres de 2021 sont « très très préoccupants. Nous ne pourrons pas faire sans augmentation des effectifs. » Dans les tribunaux et les cours mais aussi au Conseil d’État. La troisième demande est également interne elle porte sur la « convergence indemnitaire entre les magistrats administratifs et les futurs administrateurs de l’État. » Objectif que les choix que les élèves sortant du futur institut national du service public « soit neutre sur le plan de la rémunération ».

Un « vrai bouleversement »

Bruno Lasserre ne s’était jamais exprimé en public sur la réforme de la haute fonction publique (à quelques allusions dans un texte sur l’histoire près, v. AJDA 2021. 1116 ). Il a saisi l’occasion de sa première conférence de presse de l’année pour laisse percer un certain scepticisme et quelques inquiétudes. Tout en s’affirmant réformiste et convaincu que les institutions doivent accepter de se réformer, il s’est déclaré « surpris par la méthode ». Il a reconnu aussi s’être « battu pour faire prévaloir un certain nombre de valeurs : la jeunesse, l’indépendance, l’ouverture dans les deux sens ». « Nous n’avons pas toujours gagné » et le vice-président de déplorer l’absence de présidence de la commission d’intégration. Mais la réforme aboutit à « un cadre avec lequel nous pouvons vivre », même si c’est « un vrai bouleversement ».

Néanmoins, la réforme « nous apporte des marges de manœuvre supplémentaires ». Ainsi le vice-président ne cache pas sa satisfaction de voir disparaître (pour les tribunaux et les cours) ou très fortement réduire (pour le Conseil d’État) le tour extérieur du gouvernement. Et il n’est pas si mécontent d’un système qui permettra de n’intégrer que les auditeurs qui ont fait la preuve qu’ils ont réussi dans leur apprentissage. Mais il craint que, contrairement à son objectif affiché, la réforme aboutisse à limiter la diversité des recrutements. « Quels profils aurons-nous demain ? Qui acceptera ce parcours d’obstacles ? » (deux ans comme administrateur de l’État, puis trois ans sur l’emploi d’auditeur avant d’intégrer le corps des membres du Conseil d’État). Le vice-président craint que les lauréats du concours interne et du troisième concours, tout comme les femmes soient moins enclins à s’y lancer.

En dépit de ces doutes, « maintenant, il nous faut aller de l’avant ». Le vice-président croit donc « profondément que nous avons les atouts pour pratiquer une politique de recrutement efficace. » Et le Conseil d’État ne va pas perdre de temps pour ce faire. Il a obtenu de l’exécutif la possibilité d’anticiper le nouveau système prévu par l’ordonnance. Dès cet été, outre les trois anciens élèves de l’ENA qui le rejoindront par la voie classique, il recrutera deux auditeurs selon le système qui ne devait entrer en vigueur qu’en 2023. Un appel à candidatures sera lancé auprès de membres de corps recrutés par l’ENA ou équivalents comptant deux ans de services publics effectifs. Ceux-ci seront soumis à une sélection écrite et orale. Profil demandé : goût du droit, mais aussi de l’action, et sensibilité à la déontologie.

Chiffres clés

Les tribunaux administratifs ont enregistré 210 514 requêtes en 2020 (données nettes, hors séries), soit une baisse de 8,9 % par rapport à 2019. Ils en ont réglé 200 411 (- 10,2 %). Le stock est de 182 713 affaires, en hausse de 5,1 %.

Les cours administratives ont connu une baisse de 15,3 % des affaires enregistrées (30 229) et en ont réglé 30 706 (- 10,4 %). Le stock est de 30 455 affaires (- 1,4 %).

La baisse est beaucoup moins sensible au Conseil d’État, qui demeure légèrement au-dessus de 10 000 affaires enregistrées (- 1,8 %). 9 671 dossiers ont été clôturés (- 6,3 %). Logiquement, le stock est en hausse de plus de 10 % (5 861 affaires). Le nombre de référés (1 208 ordonnances rendues) est près de six fois supérieur aux années précédentes. 840 étaient liées à la crise sanitaire.

Le délai moyen prévisible de jugement est de 10 mois et 28 jours devant les tribunaux administratifs ; 11 mois et 27 jours pour les cours administratives d’appel et 7 mois et 9 jours pour le Conseil d’État. Des délais qui satisfont Bruno Lasserre. « Nous ne pourrons pas faire mieux », au regard de la nécessité de laisser du temps à l’instruction et au contradictoire, affirme-t-il.