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Le défaut de convention d’honoraires écrite n’affecte pas le droit de l’avocat à être rémunéré

L’article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, modifié par la loi Macron du 6 août 2015, n’assortissant l’obligation de convenir d’une convention d’honoraires d’aucune sanction, il n’y a pas lieu de tirer de l’absence d’une telle convention l’impossibilité pour l’avocat de solliciter toute rémunération des diligences accomplies.

par Jean-Denis Pellierle 19 janvier 2018

Le contentieux relatif aux honoraires de l’avocat est toujours aussi vivace. Il est actuellement alimenté par la question de la sanction du défaut de convention d’honoraires écrite, à propos de laquelle la loi reste muette.

La présente décision, rendue par la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 19 décembre 2017, est donc précieuse : en l’espèce, un avocat avait été sollicité par un client aux fins de l’assister et de le représenter dans une procédure devant le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Grasse, lequel a rejeté la demande et a prononcé une condamnation au paiement de dommages et intérêts et au titre de l’article 700 du code de procédure civile. L’avocat a par la suite informé son client de la possibilité de faire appel, sollicitant une provision de 800 € HT pour les honoraires de postulation, et 225 € de droit de timbre et l’informant du coût de la procédure au fond. Une facture fut établie (précisant « honoraires pour postulation ») et honorée par le client, après quoi la déclaration d’appel fut réalisée.

Par la suite, le client a dessaisi son conseil et demandé la restitution des sommes versées, saisissant pour ce faire le bâtonnier de l’ordre des avocats au barreau de Grasse. Par ordonnance du 9 septembre 2016, ce dernier a fixé les honoraires à la somme de 800 € HT, soit 960 € TTC, outre 225 € de débours non soumis à TVA. Une provision de 1 185 € ayant été versée, il n’y avait pas lieu à remboursement. Le client, insatisfait de cette décision, forma un appel devant le premier président de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, concluant à l’infirmation de l’ordonnance de taxe et au remboursement de la somme de 1 105 € en se prévalant de l’absence de convention d’honoraires, son avocat n’ayant dès lors, selon lui, droit à aucuns honoraires ni débours.

L’ordonnance rendue au nom du premier président aixois rappelle tout d’abord qu’« en application de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971, modifié par la loi du 6 août 2015, sauf cas d’urgence ou de force majeure ou lorsqu’il intervient au titre de l’aide juridictionnelle totale, l’avocat conclut par écrit avec son client une convention d’honoraires qui précise notamment le montant et le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles ainsi que les divers frais et débours envisagés ».

Puis, il est décidé que « la disposition précitée n’assortissant l’obligation de convenir d’une convention d’honoraires d’aucune sanction, il n’y a pas lieu de tirer de l’absence d’une telle convention d’honoraires l’impossibilité pour l’avocat de solliciter toute rémunération des diligences accomplies.

À défaut de convention entre les parties, les honoraires doivent aux termes de l’article 10 de la loi du 12 juillet 2005, dans sa teneur antérieure au décret du 2 août 2017, être fixés selon les usages en fonction de la situation de fortune du client, de la difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci ».

Il faut cependant observer que le montant des honoraires de l’avocat a été fixé à 360 € TTC outre la somme de 225 € au titre des frais de timbre, la décision ayant considéré que la facture acquittée par le client constituait une provision au titre des frais de postulation en appel et que le paiement de cette facture ne pouvait valoir acceptation de rémunérer à hauteur du montant de 800 € le seul acte d’appel. De plus, les diligences accomplies en vertu du jugement de première instance ne sauraient être prises en considération au titre de la facture litigieuse et la postulation effectuée relativement à la procédure d’appel s’est limitée à la déclaration d’appel par courriel, et à l’avis donné à l’avocat adverse de l’appel effectué. L’avocat a donc été condamné à rembourser à son client la somme de 600 € TTC, avec intérêts au taux légal à compter du 23 mai 2016 et capitalisation des intérêts, ainsi qu’à payer la somme de 600 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens, ce qui, en l’occurrence, réduit à néant son émolument et l’oblige même envers son client ! Il s’agit donc d’une victoire à la Pyrrhus…

Quoi qu’il en soit, la décision aixoise tranche avec la position adoptée par le premier président de la cour d’appel de Papeete quelques mois auparavant : celui-ci avait en effet considéré qu’« à défaut de convention d’honoraires écrite que les dispositions précitées rendent obligatoire, [l’avocat] ne peut prétendre au paiement d’honoraires qu’aucun accord entre l’avocat et ses clients n’a fixés » (Papeete, ord., 2 août 2017, n° 17/00008, Dalloz actualité, 13 sept. 2017, obs. L. Dargent , note J.-D. Pellier ; ibid. 2018. 87, obs. T. Wickers ; A.-L. Blouet Patin, Pas de convention, pas d’honoraire !, Lexbase, 18 sept. 2017 ; JCP 2017. Act. 999, obs. P. Gourdon ; ibid. Doctr. 1104, n° 4, obs. C. Caseau-Roche).

Cela revenait à faire de l’écrit une exigence ad validitatem, dont la sanction consiste à priver l’avocat de toute rémunération (sur cette discussion, v. H. Ader, A. Damien, T. Wickers, S. Bortoluzzi et D. Piau, Règles de la profession d’avocat, Dalloz action, 2016-2017, n° 713-13 ; v. égal. J. Taisne, La déontologie de l’avocat, 10e éd., Dalloz, coll. « Connaissance du droit », 2017, p. 126 ; T. Revet, J. Laurent, B. Chaffois, C. Boërio et K. Moya, Déontologie de la profession d’avocat, LGDJ, 2017, n° 768), sauf à caractériser une urgence ou un cas de force majeure (pour un exemple récent, v. Limoges, ord., 19 déc. 2017, n° 17/00061, ayant considéré que « l’urgence commandait une intervention rapide, avant l’expiration d’un délai de recours, ce qui l’a amené à privilégier la mission qui lui était confiée plutôt que la formalisation d’une convention et l’encaissement d’une provision »). Autrement dit, la convention d’honoraires est érigée en contrat solennel, l’absence d’écrit conduisant logiquement à la nullité du contrat d’honoraires (pourtant matérialisé par les divers échanges entre l’avocat et son client) et donc à l’absence de droit à percevoir des honoraires, même si le raisonnement n’apparaît pas en ces termes.

Cette position heurte néanmoins le bon sens, non seulement parce que la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, dite « loi Macron », n’assortit le défaut de convention d’honoraires écrite d’aucune sanction (comme le rappelle la décision commentée) mais aussi et surtout, parce qu’elle prive l’avocat de la juste rémunération de son travail (v. en ce sens J.-D. Pellier, L’avocat travaillerait-il gratuitement ?, note sous Papeete, 2 août 2017 et Civ. 2e, 6 juill. 2017, D. 2017. 2410 ). En outre, elle aboutit potentiellement à transférer le contentieux de l’honoraire entre les mains du juge de droit commun, l’avocat étant réduit à agir sur le terrain quasi contractuel, sur le fondement de l’enrichissement injustifié ou de la gestion d’affaires, lorsqu’il a déjà accompli des prestations au profit de son client (v. en ce sens H. Ader et al., op. cit., n° 713-13, se prononçant en faveur d’une action sur le terrain de l’enrichissement sans cause ; J.-D. Pellier, note préc., envisageant également la possibilité d’une gestion d’affaires).

La jurisprudence n’était pourtant jamais allée jusque-là dans les domaines où une convention d’honoraires était obligatoire dès avant la loi Macron (v., en matière d’assurance de protection juridique, Civ. 2e, 14 janv. 2016, n° 15-10.130, Dalloz actualité, 3 févr. 2016, art. A. Portmann ; ibid. 2017. 74, obs. T. Wickers ; D. avocats 2016. 43, obs. L. Dargent ; en matière de divorce, v. Toulouse, ord., 20 juill. 2015, n° 15/01433, Dalloz actualité, 30 juill. 2015, art. A. Portmann , obs. A. Brunois  : « Mais attendu que l’avocat, qui a conclu avec son client une convention d’honoraires ne prévoyant pas la fixation d’un honoraire complémentaire, ne peut lui réclamer aucune somme supplémentaire » ; . égal. Civ. 1re, 3 mars 1998, nos 95-21.387 et 95-21.053, RTD civ. 1998. 901, obs. J. Mestre ; 23 nov. 1999, n° 96-15.922, D. 2000. 2 ; contra Civ. 1re, 9 mai 1996, n° 94-13.139, ayant considéré « qu’un honoraire complémentaire de celui qui rémunère les diligences accomplies peut être accordé, en l’absence de convention entre les parties, lorsque le résultat obtenu, en raison de son ampleur, dépasse ce qu’un pronostic mesuré laisse attendre ». Sur les honoraires de résultat, v. F. G’sell, Vers l’honoraire principal de résultat ?, JCP 2017. 1325).

La décision du premier président de la cour d’appel d’Aix-en-Provence mérite donc, sur ce point, d’être approuvée, d’autant plus qu’elle ne se contente pas d’énoncer le principe du droit aux honoraires en dépit de l’absence de convention ; elle se réfère en outre aux critères désormais posés par l’alinéa 4 de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971, permettant de fixer les honoraires selon les usages, en fonction de la situation de fortune du client, de la difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci (sur l’importance des usages en la matière, v. K. Magnier-Merran, Pour un renouveau des usages de la profession d’avocat, Dr. et patr. sept. 2017, p. 62). Certes, ces critères sont désormais censés être pris en considération au sein même de la convention d’honoraires, mais il est permis de penser qu’ils conservent leur pertinence en l’absence d’une telle convention (v. en ce sens K. Magnier-Merran, art. préc. ; J.-D. Pellier, note préc.). Telle était au demeurant leur fonction antérieurement à la loi Macron (pour un rappel de ce principe, v. Limoges, 12 sept. 2017, nos 16/014221 et 16/014751, Dalloz actualité, 16 nov. 2017, obs. L. Dargent isset(node/187635) ? node/187635 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>187635).

Il reste à attendre une prise de position de la Cour de cassation sur cette délicate question, étant entendu que celle-ci s’est déjà montrée sévère à l’endroit de la profession en considérant, au visa de l’article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et de l’article L. 441-3 du code de commerce que « ne peuvent constituer des honoraires librement payés après service rendu ceux qui ont été réglés sur présentation de factures ne répondant pas aux exigences du second d’entre eux, peu important qu’elles soient complétées par des éléments extrinsèques » (Civ. 2e, 6 juill. 2017, n° 16-19.354, Dalloz actualité, 26 juill. 2017, obs. A. Portmann , note J.-D. Pellier ; ibid. 1868, chron. E. de Leiris, N. Touati, O. Becuwe, G. Hénon et N. Palle ; ibid. 2018. 87, obs. T. Wickers ; D. avocats 2017. 362, obs. G. Deharo ; Gaz. Pal. 2017, n° 29, p. 20, note P.-L. Boyer ; JCP 2017. Doctr. 1104, n° 4, obs. C. Caseau-Roche ; ibid. 848 ; Gaz. Pal. 2017, n° 37, p. 68, obs. L. Raschel).