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Défaut de déclaration d’une mission de maîtrise d’œuvre confiée à un architecte : opposabilité au tiers lésé

L’omission dans la déclaration d’une mission de maîtrise d’œuvre, confiée à un architecte, équivaut à une absence d’assurance, opposable au tiers lésé, dès lors que le contrat d’assurance de responsabilité professionnelle de l’architecte soumet la garantie de l’assureur à la déclaration préalable de chaque mission.

par Élisabeth Botrelle 9 novembre 2020

La question de la sanction du non-respect, par un assuré, de son obligation de déclaration préalable des chantiers ou des missions attachées auprès de son assureur est régulièrement traitée aussi bien en doctrine qu’en jurisprudence. Si la doctrine a questionné la pertinence des sanctions prévues par l’article L. 113-10 du code des assurances plutôt que celles des articles L. 113-8 et L. 113-9 du même code (v. par ex. H. Groutel, La déclaration des chantiers dans l’assurance de responsabilité d’un architecte, RCA 2005. Étude 1 ; J. Bigot, Assurances à primes et risques variables : fausse route ?, JCP 2008. I. 207 ; D. Noguero, La sanction contractuelle de la réduction proportionnelle de l’article L. 113-9 du code des assurances pour non-déclaration d’activité, note ss. Civ. 3e, 7 janv. 2016, n° 14-18.561, Dalloz actualité, 25 janv. 2016, obs. M. Diab ; D. 2016. 130 ; RTD civ. 2016. 373, obs. P. Jourdain ; Gaz. Pal. 22 mars 2016, p. 55), la jurisprudence s’est plus penchée sur le point de savoir s’il fallait limiter la sanction de l’obligation de déclaration à la réduction proportionnelle de l’indemnité ou si les parties contractantes du contrat d’assurance pouvaient ériger l’obligation déclarative en condition de la garantie. L’arrêt rapporté s’inscrit parfaitement dans ce questionnement en optant pour la condition de la garantie, ce qui confirme une approche sévère pour l’assuré et corrélativement pour le tiers, victime.

Dans cette espèce, un maître d’ouvrage avait confié à un architecte une mission de maîtrise d’œuvre consistant dans la réalisation de deux bungalows. Si les travaux avaient démarré, ils ont rapidement été abandonnés. C’est pourquoi le donneur d’ordre a assigné en responsabilité contractuelle l’architecte et son assureur, en résolution du contrat et indemnisation de ses préjudices. L’architecte avait toutefois omis de déclarer ce chantier à son assureur. Les juges d’appel ont condamné l’assureur à verser une certaine somme en retenant une réduction proportionnelle de l’indemnité d’assurance en application de l’article L. 113-9 du code des assurances. Il faut préciser qu’il s’agissait ici d’un arrêt d’une cour d’appel de renvoi après une première cassation en 2016 rendue notamment sur le motif que « l’absence de déclaration de chantier est sanctionnée par la réduction proportionnelle de l’indemnité » en visant l’article L. 113-9 du code des assurances (Civ. 3e, 21 janv. 2016, n° 14-23.495, Dalloz jurisprudence).

Parce que la cour d’appel de renvoi avait condamné l’assureur, ce dernier décida de former un pourvoi en soulevant la stipulation insérée parmi les conditions générales du contrat d’assurance de responsabilité ; cette clause imposait la déclaration de chaque mission de la part de l’architecte comme « condition de la garantie pour chaque mission ». Or, comme indiqué, l’architecte n’avait pas déclaré la mission complète qui lui avait été confiée. Le pourvoi fut reçu par la Cour de cassation, censurant, de nouveau, la décision d’appel, mais la censure s’est, cette fois-ci, faite sur des motifs éloignés de ceux retenus lors de la première cassation en 2016.

Dans l’arrêt rapporté, les juges du fond, pour condamner l’assureur à garantir les condamnations prononcées à l’encontre de l’architecte, avaient écarté la stipulation du contrat d’assurance précisant que « l’absence de déclaration [équivalait] à une absence de garantie ». La clause litigieuse du contrat d’assurance visait plus précisément l’article L. 113-9 du code des assurances et les juges d’appel, estimant que la stipulation contredisait cet article, l’avaient écartée pour condamner l’assureur au versement d’une somme correspondant à la réduction proportionnelle de l’indemnité en raison de l’omission de déclaration de missions.

Pourtant, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel au visa de l’ancien article 1134 du code civil (dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016) et des articles L. 112-6 et L. 124-3 du code des assurances. En effet, rappelant que « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites », la Cour indique qu’un assureur peut parfaitement « opposer au tiers lésé, qui invoque le bénéfice de la police, les exceptions opposables au souscripteur originaire ». Or, lorsqu’un contrat d’assurance de responsabilité professionnelle d’architecte soumet la garantie de l’assureur à la déclaration préalable de chaque mission, l’omission de déclaration équivaut « à une absence d’assurance, opposable au tiers lésé ». Aussi, pour la Cour, les juges d’appel ne pouvaient pas écarter la stipulation contestée dès lors que l’architecte n’avait pas déclaré chacune des missions. « La déclaration de chaque mission constituait une condition de la garantie pour chacune d’elles », ajoute la Cour de cassation après analyse du contrat litigieux. Autrement dit, la réponse devait être trouvée au niveau des conditions mêmes de la garantie et ne consistait pas dans l’application d’une réduction proportionnelle de l’indemnité, comme avaient pu l’estimer les juges d’appel.

On sait, tout d’abord, qu’en application de l’article L. 124-3 du code des assurances, un tiers lésé peut engager une action directe à l’encontre de l’assureur garantissant « la responsabilité civile de la personne responsable ». Mais l’article L. 112-6 est souvent invoqué à l’encontre d’un tiers exerçant cette action directe puisqu’il permet à l’assureur de soulever à l’égard de cette victime, « les exceptions opposables au souscripteur originaire ». Autrement dit, l’obligation de garantie de l’assureur trouve sa raison d’être et ses limites dans le contrat d’assurance conclu (Civ. 1re, 15 févr. 1977, n° 75-14.244, Bull. civ. I, n° 81), ce qui autorise l’assureur à opposer à la victime toutes les exceptions qu’il aurait pu opposer à l’assuré lui-même dès lors que ces exceptions sont antérieures au fait dommageable. Ainsi, l’assureur peut opposer à la victime la question de l’existence du contrat d’assurance (v. par ex. Civ. 2e, 4 juill. 2007, n° 06-14.610, Bull. civ. II, n° 181 ; RGDA 2007. 892, note J. Beauchard), tout comme il peut toucher l’étendue de la garantie due par l’assureur. Parmi les exceptions pouvant être soulevées, se pose particulièrement la question de la sanction à appliquer en cas d’omission de l’obligation déclarative incombant à l’assuré. Fruit d’une abondante jurisprudence, cette question fut marquée par plusieurs interprétations et tendances au sein des chambres de la Cour de cassation. Certains auteurs estiment que c’est sans doute un arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 17 avril 2008 (Civ. 2e, 17 avr. 2008, n° 07-13.053, D. 2008. 2373, chron. J.-M. Sommer et C. Nicoletis ; RDI 2008. 351, obs. P. Dessuet ; RCA 2008. Comm. 245, obs. H. Groutel) qui fut l’un des moments charnières de cette évolution. Dans celui-ci, la Cour avait cassé, pour violation de l’article L. 113-9 du code des assurances, un arrêt d’appel ayant fixé la réduction proportionnelle de l’indemnité d’assurance à 100 %, ce qui revenait in fine à admettre l’absence d’assurance d’un architecte pour un chantier non préalablement déclaré auprès de son assureur et pour lequel aucun versement de la cotisation d’assurance n’avait été effectué. La Cour avait censuré la décision d’appel en estimant que « l’indemnité devait être réduite en proportion du taux de la prime annuelle payée par rapport à celui de la prime qui aurait été due si la mission avait été déclarée ». Si la troisième chambre civile avait pu retenir une solution similaire pendant une dizaine d’années entre 2009 et 2018 (v. par ex. Civ. 3e, 2 déc. 2009, n° 08-17.619 ; 30 mars 2010, n° 09-12.652 ; 8 févr. 2012, n° 10-27.250, RDI 2012. 455, obs. P. Dessuet  ; RGDA 2012. 610, note J. Bigot ; 8 oct. 2013, n° 12-25.370, RDI 2013. 603, obs. P. Dessuet ; ibid. 2014. 53, obs. P. Malinvaud ; ibid. 115, obs. J. Roussel ), elle commença à retenir une approche plus contestable, distinguant selon la présence ou non de stipulations dans le contrat d’assurance qui prévoiraient la sanction du non-respect des obligations déclaratives de l’assuré. Ainsi depuis 2018, cette chambre a semblé retenir des solutions contradictoires (v. par ex. Civ. 3e, 6 déc. 2018, n° 17-25.957, RGDA janv. 2019, p. 27, note P. Dessuet ; 27 juin 2019, n° 17-28.872 ; D. 2019. 1389 ; RDI 2019. 467, obs. P. Dessuet ; RGDA août-sept. 2019, p. 19, note P. Dessuet ; Gaz. Pal. 29 oct. 2019. 62, note C. Cerveau-Colliard ; 5 mars 2020, n° 18-26.801, RDI 2020. 402, obs. D. Noguéro ; Gaz. Pal. 16 juin 2020. 79, obs. C. Cerveau-Colliard). Viennent notamment illustrer cette fluctuation deux arrêts rendus le même jour par la troisième chambre civile. Dans l’un, elle avait rejeté le pourvoi formé en indiquant qu’en cas de non-déclaration d’un chantier, le contrat d’assurance de l’espèce « excluait l’application de la réduction proportionnelle de l’article L. 113-9 du code des assurances et sanctionnait cette omission par une absence d’assurance » (Civ. 3e, 13 juin 2019, n° 18-10.022, Dalloz jurisprudence). Dans l’autre arrêt, et cela au visa de l’article L. 113-9, la Cour avait cassé un arrêt d’appel en rappelant qu’une clause des conditions générales de la police d’assurance, qui était présente dans l’espèce, stipulait que « toute omission ou déclaration inexacte de la part du sociétaire de bonne foi, si elle est constatée après un sinistre, donne droit à l’assureur […] de réduire l’indemnité en proportion des cotisations payées par rapport aux cotisations qui auraient été dues si le risque avait été complètement et exactement déclaré » (Civ. 3e, 13 juin 2019, n° 17-31.042, Dalloz jurisprudence). Dans cette dernière décision, « la réduction de l’indemnité avait été calculée par référence au seul chantier non déclaré, alors qu’elle aurait dû être calculée par référence à la totalité des chantiers de l’année considérée » (J.-P. Karila, Risque garanti et déclaration du chantier de construction et/ou de la mission confiée à l’assuré, RGDA oct. 2019, p. 5). Les solutions de la troisième chambre civile sont donc apparues comme fluctuantes et ont été fortement critiquées en doctrine. Malgré tout, au fur et à mesure, les auteurs ont pu en dessiner les contours concernant la sanction de la non-déclaration d’une mission par un architecte en opérant la distinction suivante (J.-P. Karila, in Lamy Assurances, spéc. n° 3547 ; RGDA oct. 2019, p. 5, préc.) :

• dès lors que le contrat d’assurance est silencieux ou imprécis en la matière, la sanction à appliquer en raison du défaut de déclaration de chantier de l’assuré consiste en l’application de la réduction proportionnelle de l’indemnité d’assurance en application de l’article L. 113-9 du code des assurances. Le calcul se fera en prenant en compte le seul chantier omis. En retenant cette solution, la troisième chambre civile va dans le même sens que la deuxième chambre avec l’arrêt précité de 2008 ;

• en revanche, lorsque le contrat d’assurance prévoit de manière expresse l’absence de garantie, la troisième chambre civile fait application du contrat, conformément à la volonté des parties et retient également l’absence de garantie. Mais lorsque le contrat stipule expressément la sanction de la réduction proportionnelle de l’indemnité, elle sera appliquée, pour respecter également la volonté des contractants.

Cet arrêt du 1er octobre 2020 s’inscrit dans cette distinction même s’il revient à conserver une solution très favorable à l’assureur et corrélativement sévère pour le maître d’ouvrage, victime des manquements de l’assuré. L’analyse menée du contrat d’assurance de l’espèce faisait ressortir qu’il soumettait la garantie de l’assureur à la déclaration préalable de chaque mission par l’assuré ; la Cour l’indique clairement : « la déclaration de chaque mission constituait une condition de la garantie pour chacune d’elles ». Pour la haute juridiction, la question ne se résolvait donc pas en application de la réduction proportionnelle d’indemnité prévue par l’article L. 113-9 mais relevait des conditions de la garantie.

Pour autant, on peut quand même questionner l’analyse faite dudit contrat et de son absence d’ambiguïté alors que quatre ans plus tôt, dans la même affaire, la Cour avait censuré l’arrêt d’appel, certes pour des raisons procédurales, mais également au visa de cet article L. 113-9 du code des assurances en indiquant que « l’absence de déclaration de chantier est sanctionnée par la réduction proportionnelle de l’indemnité ». À la suite des nouvelles règles de rédaction des arrêts, on aurait aimé que la troisième chambre civile s’explique davantage quant aux deux solutions rendues dans la même espèce. En tout état de cause, l’attention des architectes doit être portée sur l’importance de respecter l’obligation de déclaration des chantiers auprès de leurs assureurs tant dans leurs intérêts que pour protéger les intérêts de leurs clients, maîtres d’ouvrage.