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À l’occasion d’un litige sur la notion d’archives publiques, le Conseil d’État a dû trancher une question historique complexe.
par Marie-Christine de Monteclerle 18 avril 2018
Dès juin 1940, la France libre était dépositaire de la souveraineté nationale et a assuré la continuité de la République, a jugé l’assemblée du contentieux du Conseil d’État le 13 avril.
L’espèce qui a amené le Conseil d’État, dans sa formation la plus solennelle, à se faire ainsi historien est liée aux activités de la société Aristophil. Cette société et son émanation, le musée des lettres et manuscrits, avaient acquis plus de 300 brouillons manuscrits de télégrammes écrits par le général de Gaulle entre décembre 1940 et décembre 1942. L’État a engagé devant le tribunal de grande instance (TGI) de Paris, une action en revendication de ces documents en tant qu’archives publiques. Le TGI a fait droit à cette demande (TGI Paris, 20 nov. 2013, n° 12/06156, AJDA 2014. 226 , note O. Agnus ). Toutefois, la cour d’appel de Paris a jugé que la détermination du caractère public de ces archives soulevait une difficulté sérieuse et a posé une question préjudicielle au tribunal administratif de Paris. Celui-ci a répondu que les documents en litige « procèdent de l’État au sens de l’article L. 211-4 du code du patrimoine et constituent dès lors des archives publiques » (TA Paris, 12 mai 2017, n° 1602472/6-1, AJDA 2017. 1569 , concl. L. Marthinet ). L’association du musée des lettres et manuscrits, la société Aristophil et son administrateur judiciaire se sont pourvus en cassation.
Si le tribunal, comme les parties, se sont référées à l’article L. 211-4, le Conseil d’État indique que celui-ci n’était pas applicable ratione temporis à des documents rédigés dans les années 1940, pas plus que la loi du 3 janvier 1979 sur les archives. Selon le rapporteur public, Édouard Crepey, il s’agit d’un principe préexistant à ces textes et remontant à l’Ancien Régime. « Tout document procédant de l’activité de l’État constitue, par nature, une archive publique. Cette définition a été reprise par l’article 3 de la loi du 3 janvier 1979 sur les archives aujourd’hui codifié à l’article L. 211-4 du code du patrimoine », décide donc l’assemblée. « Il en résulte que revêtent le caractère d’archives publiques tous les documents procédant de l’activité de l’État quelle que soit la date à laquelle ils ont été produits, quel que soit leur état d’achèvement et quelle que soit l’intention de leur auteur. » C’est donc à bon droit que le tribunal a écarté les moyens selon lesquels il s’agissait de brouillons que le général de Gaulle aurait considérés comme des documents privés.
Pour juger que ces brouillons procédaient de l’action de l’État, le Conseil d’État s’appuie sur l’article 1er de l’ordonnance du 9 août 1944, aux termes de laquelle, en droit, la République n’a pas cessé d’exister. « Ainsi que l’expriment ces dispositions, la France libre et la France combattante et, par la suite, le Comité français de la libération nationale et le gouvernement provisoire de la République française ont été, à compter du 16 juin 1940, dépositaires de la souveraineté nationale et ont assuré la continuité de la République. Il s’ensuit que les documents qui émanent de ces institutions et de leurs dirigeants et représentants procèdent de l’activité de l’État et constituent, dès lors, des archives publiques. »
L’assemblée précise qu’est sans incidence sur cette solution le fait que les agissements de Vichy engagent la responsabilité de la puissance publique (CE, ass., 12 avr. 2002, n° 238689, Papon, Lebon p. 139 avec les concl. ; AJDA 2002. 423 , chron. M. Guyomar et P. Collin ; ibid. 837, étude F. Melleray ; ibid. 2014. 115, chron. F. Donnat ; D. 2003. 647, et les obs. , note J.-P. Delmas Saint-Hilaire ; ibid. 2002. 1492, interview M. Zaoui ; Just. & cass. 2005. 183, rapp. B. Capron ; AJFP 2002. 22, et les obs. ; RFDA 2002. 582, concl. S. Boissard ; 16 févr. 2009, n° 315499, Mme Hoffman-Glemane, Dalloz actualité, 19 févr. 2009, obs. C. de Gaudemont ; AJDA 2009. 284 et les obs. ; ibid. 589 , chron. S.-J. Liéber et D. Botteghi ; D. 2009. 567, obs. C. de Gaudemont ; ibid. 481, édito. F. Rome ; RFDA 2009. 316, concl. F. Lenica ; ibid. 525, note B. Delaunay ; ibid. 536, note P. Roche ; ibid. 1031, chron. C. Santulli ). « N’y fait pas davantage obstacle la circonstance que doivent être regardés comme des archives publiques les documents procédant de l’activité politique et administrative de cette autorité de fait. » Rappelons que la Cour de cassation a jugé, de son côté, il y a quelques mois, que les documents de Philippe Pétain, « alors chef de l’État français » étaient des archives publiques.
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