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Droit à une audience collégiale versus loyauté : victoire du premier sur la seconde

L’opposition des parties à la tenue de l’audience devant un juge rapporteur peut être présentée le jour même de l’audience. Une partie ne peut être privée de son droit à ce que l’affaire l’opposant à son adversaire soit débattue contradictoirement en audience collégiale.

Un arrêt rendu le 20 octobre 2022 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation est très intéressant en ce qu’il traite, pour la première fois, semble-t-il, du moment auquel peut être demandé le renvoi en audience collégiale, afin que les débats ne soient pas tenus devant un juge unique. La Cour de cassation regarde ce droit d’un œil bienveillant, au point de le faire primer sur le principe de loyauté.

Une caisse d’assurance vieillesse ayant décerné une contrainte pour avoir paiement de cotisations et majorations de retard à une de ces cotisantes, celle-ci forme opposition devant une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale – à l’époque une juridiction de la sécurité sociale (sans doute un tribunal des affaires de sécurité sociale [TASS] devenu un tribunal de grande instance spécialement désigné [TGISD]).

Le tribunal valide cette contrainte et la cotisante interjette appel.

Devant la cour, les parties sont avisées par ordonnance de fixation que l’affaire est inscrite au rôle d’une audience devant le « magistrat rapporteur ». La cotisante accuse réception de cette ordonnance. Elle « transmet » (ou plutôt, produit et communique) des pièces et conclusions la veille de l’audience.

Le jour de cette audience, la caisse demande que ces pièces et conclusions soient écartées des débats. En réponse, l’appelante demande le renvoi en audience collégiale. Celui-ci lui est refusé, l’audience se déroule alors devant le juge unique.

La cour d’appel rend un arrêt par lequel, notamment, elle rejette la demande de renvoi en audience collégiale, comme se heurtant au principe de loyauté des débats, et confirme le jugement quant à la validité de la contrainte.

La cotisante se pourvoit en cassation et critique l’arrêt par quatre moyens : seul le deuxième fait l’objet d’une décision spécialement motivée.

La cotisante estime en effet « qu’en matière de procédure orale, le refus d’une partie d’être entendue à juge unique et son souhait de renvoi à l’audience collégiale peuvent être présentés au jour de l’audience ; qu’en ayant jugé le contraire, aux motifs inopérants du dépôt d’un calendrier de procédure, de la nécessité de respecter le contradictoire et du principe de loyauté des débats, quand la collégialité est de droit pour une partie qui doit expressément y renoncer, ce qu’elle peut parfaitement refuser de faire le jour de l’audience, la cour d’appel a violé l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, ensemble l’article 945-1 du code de procédure civile ».

La Cour de cassation casse l’arrêt dans toutes ses dispositions au visa du seul article 945-1, qu’elle interprète : « 5. Il résulte de ce texte que si le magistrat chargé du rapport peut tenir seul l’audience, c’est à la double condition de constater que les avocats ou les personnes qui ont qualité pour présenter des observations orales ne s’y opposent pas et d’entendre les plaidoiries ». En refusant la demande de renvoi, « alors que l’opposition des parties à la tenue de l’audience devant un juge rapporteur peut être présentée le jour même de l’audience et qu’une partie ne peut être privée de son droit à ce que l’affaire l’opposant à son adversaire soit débattue contradictoirement en audience collégiale, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

La demande de renvoi en audience collégiale

Rappelons que, en matière de sécurité sociale, la procédure est sans représentation obligatoire – c’est vrai avant et après la réforme Belloubet : elle obéit donc aux articles 931 à 949 du code de procédure civile, qui s’ajoutent aux articles 446-1 à 446-4 du code de procédure civile, contenant les dispositions générales à la procédure orale (sur cette procédure, v. J.-L. Gallet et E. de Leiris, La procédure civile devant la cour d’appel, LexisNexis, 4e éd., 2018, nos 462 s. ; D. d’Ambra, Droit et pratique de l’appel, Dalloz coll. « Référence », 2021/2022, 4e éd. 2021, nos 22.00 s. ; P. Gerbay et N. Gerbay, Guide du procès civil en appel 2021/2022, LexisNexis 2020, nos 1351 s. ; C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile, 36e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2022, nos 1791 s.)

Rappelons aussi que le conseiller chargé, le cas échéant, de la mise en état est le magistrat chargé d’instruire l’affaire (art. 939). C’est lui que l’article 945-1 investit de la possibilité, « si les parties ne s’y opposent pas » de « tenir seul l’audience pour entendre seul les plaidoiries », auquel cas « il en rend compte à la cour dans son délibéré ».

Le texte est le décalque de l’article 805 (anc. art. 786) qui offre cette même faculté « au juge de la mise en état ou au juge chargé du rapport » devant le tribunal judiciaire en procédure écrite ordinaire (anc. procédure TGI). La Cour de cassation avait déjà jugé, à propos de cet article 786, « qu’il résulte de ce texte que si le juge de la mise en état ou le magistrat charge du rapport peut tenir seul l’audience, c’est à la double condition de constater que les avocats ne s’y opposent pas et d’entendre les plaidoiries » (Civ. 2e, 14 déc. 1978, n° 77-12.166 P). L’attendu de principe de 2022 reprend celui de l’arrêt...

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