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Élément d’équipement dissociable : conditions de mise en œuvre de la garantie décennale

Les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination.

par Fanny Garciale 26 septembre 2017

À peine quelque trois mois après la reconnaissance de la couverture décennale en réponse au dysfonctionnement d’une pompe à chaleur, la Cour de cassation réitère sa solution avec la même force publicitaire à l’endroit d’un élément d’équipement dissociable.

Dans l’affaire présentée, un incendie causé par un insert avait endommagé un immeuble. Refusant de faire droit à la demande de mise en œuvre de la garantie décennale, la cour d’appel de Douai considérait que les travaux d’installation de l’insert ne pouvaient être qualifiés d’ouvrage (en ce sens, v. Civ. 3e, 4 mai 2016, n° 15-15.379, RDI 2016. 413, obs. P. Malinvaud ; Caen, 6 déc. 2016, n° 15/00757, RDI 2017. 101, note P. Malinvaud  ; contra Civ. 3e, 24 sept. 2014, n° 13-19.615, RDI 2014. 643, obs. P. Malinvaud ) et que l’insert n’était pas non plus éligible à la qualification d’élément d’équipement indissociable. Enfin, les juges du fond se référaient à la qualification d’élément d’équipement dissociable, tout en précisant que l’insert n’avait pas été installé lors de l’édification de l’ouvrage qui l’accueillait. Écartant à cet endroit la recevabilité de l’article 1792 du code civil, la solution laissait place implicitement à différents fondements, dont la garantie de bon fonctionnement (C. civ.art. 1792-3), sauf à considérer la position des juges du fond l’excluant pour les éléments d’équipements dissociables adjoints à l’existant (Dijon, 8 nov. 2016, n° 14/01408 et Caen, 6 déc. 2016, n° 15/00693, RDI 2017. 101, note P. Malinvaud  ; contra Civ. 3e, 15 juin 2017, n° 16-19.640, Dalloz actualité, 13 juill. 2017, obs. F. Garcia  ; RDI 2017. 413, note J. Roussel ). Il resterait alors dans cette situation le droit commun de la responsabilité contractuelle (Civ. 3e, 7 nov. 2012, n° 11-20.532, Bull. civ. III, n° 162 ; Dalloz actualité, 27 nov. 2012, obs. F. Garcia isset(node/155897) ? node/155897 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>155897, rendu au visa de l’ancien art. 1147, C. civ. ; précisant que la responsabilité contractuelle de droit commun était d’application exclusive dans cette hypothèse, v. Caen, 29 nov. 2016, n° 15/00668 ; 6 déc. 2016, n° 15/00757, préc.), la responsabilité spéciale du fait des produits défectueux ou éventuellement le droit spécial de la vente.

La Cour de cassation a apposé sa censure sur ce raisonnement pour violation de l’article 1792 du code civil, précisant que « les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination » (v. déjà en ce sens Civ. 3e, 7 avr. 2016, n° 15-15.441, Dalloz jurisprudence).

La solution reproduite confirme l’existence d’un concours d’action offert au maître d’ouvrage au sein des garanties légales spéciales pour les éléments d’équipement dissociables : la garantie de bon fonctionnement et la garantie décennale. Cette dernière présente l’avantage de son délai de prescription de l’action (dix ans au lieu de deux à compter de la réception), ce qui n’est pas négligeable en pratique pour les éléments d’équipement dissociables car ils ont naturellement vocation à être renouvelés dans le temps. Pour ce faire, la preuve de l’impropriété à destination de l’ouvrage dans son ensemble devra être rapportée afin d’engager la garantie décennale du constructeur. Son établissement risque toutefois de freiner la recevabilité d’un certain nombre d’actions. À défaut, dans cette hypothèse, rappelons qu’il conviendra de rapporter la preuve de ce que l’élément d’équipement est destiné à fonctionner pour fonder l’action sur la garantie biennale de l’article 1792-3 du code civil car, lorsque le désordre sera circonscrit à l’élément en lui-même, la garantie décennale ne sera pas recevable (contra Civ. 3e, 24 sept. 2014, préc. ; Besançon, 8 nov. 2016, n° 15/00678, RDI 2017. 101, obs. P. Malinvaud ; Bordeaux, 21 nov. 2016, n° 15/01912, RDI 2017. 101, obs. P. Malinvaud ). Enfin, lorsque l’élément d’équipement dissociable ne rendra pas l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination (exclusion de la garantie décennale) et qu’il ne sera pas destiné à fonctionner (exclusion de la garantie de bon fonctionnement), le droit commun de la responsabilité civile reprendra alors son empire.

En pratique, l’établissement de la preuve du dysfonctionnement de l’insert rendant l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination sera plus difficilement contournable par les professionnels de la construction qu’en présence d’une pompe à chaleur ou de panneaux photovoltaïques, par exemple. En effet l’insert, bien qu’il ne soit pas une source autonome de chauffage – à l’instar d’une pompe à chaleur ou de panneaux photovoltaïques –, cause des dommages d’une gravité certaine, puisque ce sont pour l’essentiel des incendies.

Enfin, il reste à s’interroger plus largement sur cette situation singulière qu’est celle de la publication au Bulletin et de l’analyse au Rapport de la Cour de cassation à quelques mois d’écart d’une même solution. Le renouvellement en fait la force, l’ancrage dans le droit positif. Partant, ce mouvement plus général d’ouverture du champ d’application de la garantie décennale invite à la mise en garde impérieuse des praticiens, constructeurs et installateurs d’éléments d’équipement dissociables quant à la portée de ces décisions en matière d’assurance. En particulier, l’obligation d’assurance de responsabilité civile décennale se trouve naturellement étendue des seuls ouvrages et éléments d’équipement indissociables aux éléments d’équipement dissociables. Ces derniers ne seront pas tous concernés puisqu’ils ne sont pas tous susceptibles de rendre l’ouvrage impropre à sa destination. Ainsi devraient en être écartés, parmi d’autres, les radiateurs, les stores et les portails électriques. En revanche, outre les inserts et pompes à chaleur mis en cause dans les deux affaires concernées, les panneaux photovoltaïques pourraient également être concernés, notamment lorsqu’ils causent des incendies.

Assistons-nous à « l’avènement des quasi-ouvrages » (RDI 2017. 409, obs. C. Charbonneau )… ou à la res-unification de l’ouvrage et des éléments d’équipement autour de la consécration de l’impropriété à destination en tant que critère prépondérant de mise en œuvre de la garantie décennale – en alternative à celui de l’atteinte à la solidité de l’ouvrage, lorsque c’est ce dernier dans son ensemble qui en est affecté ? Quoi qu’il en soit, c’est une nouvelle fois la protection du maître d’ouvrage qui s’en trouve renforcée et l’obligation d’assurance des constructeurs et installateurs d’éléments d’équipement qui s’en trouve étendue.