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État des lieux 2018 des avocats en danger dans le monde

L’institut des droits de l’homme des avocats européens (IDHAE) vient de publier son rapport 2018 sur « les avocats assassinés, emprisonnés et persécutés dans le monde ». De l’Algérie au Zimbabwe en passant par la Turquie, l’Égypte ou la France, le texte décrit la situation de « 379 confrères en danger parce qu’ils tentent de faire leur métier ».

par Thomas Coustetle 1 juin 2018

Fidèle à sa tradition depuis plusieurs années, l’IDHAE s’emploie à dresser un instantané de l’année écoulée sur la situation des avocats « en danger » à travers le monde. Le rapport 2018 dénombre 379 avocats « mis en danger », dont 100 au moins qui sont morts tout simplement. Cette année, l’institut apporte « un regard particulier » sur la situation inquiétante des avocats turcs « persécutés » et alarme également sur le sort de leurs homologues égyptiens.

Les martyrs de ByLock

En Turquie, les avocats sont désormais présentés comme « une cible privilégiée » dans le cadre de la traque contre les opposants au régime d’Erdogan. Depuis le durcissement du régime opéré par Ankara depuis 2016, la situation s’est aggravée, constate le rapport en préambule. « La Turquie a définitivement ravi à la Chine le titre de première prison d’avocats dans le monde ». Les avocats qui ont été associés aux activités des mouvements (Fetö et Gülen), jugés à l’origine du coup d’État manqué du 15 juillet de la même année, ont été les premiers à être arrêtés.

Depuis les purges après l’éviction de plus de 4 000 magistrats, le régime a dissous pas moins de 34 associations d’avocats accusées de « terrorisme » pour avoir utilisé ou simplement téléchargé l’application de messagerie cryptée « ByLock ». Tous les avocats qui en étaient membres ont été poursuivis et arrêtés.

Au total, en 2017, c’est 572 avocats turcs qui ont été arrêtés et placés en détention préventive. Parmi eux, quelque 80 condamnés à des peines d’emprisonnement « allant de deux ans et six mois à quinze ans depuis 2016 », « sans que l’on puisse en donner une liste exhaustive », pondère le rapport. 

« Nul ne pourrait faire croire qu’il s’agit uniquement de militants politiques », avance sans fard l’institut. « Quatorze des avocats détenus ou arrêtés sont les présidents ou anciens présidents de barreaux du pays ». Certains sont déjà condamnés : par exemple, treize ans, un mois et quinze jours de prison prononcés contre l’ancien bâtonnier du barreau d’Erzurum. 

À Izmir, par exemple, 43 avocats du barreau de la ville ont été arrêtés, parmi lesquels Taner Kiliç, président d’honneur d’Amnesty en Turquie, toujours détenu malgré une décision de remise en liberté.

Taner Kiliç a été arrêté le matin du 6 juin 2017. Il était alors président d’Amnesty International Turquie. Il est accusé, comme d’autres, d’avoir téléchargé et utilisé l’application de messagerie cryptée, utilisée par le mouvement Gülen, selon les autorités.

L’analyse de quatre experts indépendants a pourtant démontré que l’accusation était infondée. L’État n’a à ce jour présenté aucune preuve tangible étayant l’acte d’accusation. C’est d’ailleurs pour « continuer les investigations en ce sens » que le détenu a été replacé sous les verrous alors même que le tribunal l’avait remis en liberté le 31 janvier dernier. 

Taner Kiliç est né en 1969 et est avocat indépendant depuis 1993. Il a été pendant cinq ans le coordonnateur des bénévoles de l’association pour la solidarité avec les réfugiés et membre de la commission sur l’immigration et l’asile du barreau d’Izmir.

En Égypte, des condamnations « sans merci »

Le sort des avocats égyptiens inquiète encore et encore. L’observatoire des avocats en danger, relancé par le barreau de Paris un an avant, en a fait le thème de sa journée de mobilisation le 25 janvier dernier (v. Dalloz actualité, 24 janv. 2018, art. T. Coustet isset(node/188800) ? node/188800 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>188800). 

Déjà, en 2016, l’IDHAE recensait environ 200 avocats derrière les barreaux pour avoir défendu les opposants islamistes du gouvernement. « Un nombre plus élevé que pendant le règne du président Moubarak », évalue le rapport.

L’acte d’accusation n’est plus très original, voire « presque toujours le même ». Quatre chefs sont récurrents : accusation de participation à des manifestations illicites (notons qu’il s’agit d’un pléonasme, dès lors qu’elles sont toutes par principe interdites dans le pays) ; coupable de diffuser des « fausses nouvelles » ; outrage au président ; protestations qui poursuivraient l’objectif des Frères musulmans.

En 2017, les condamnations « sans merci » contre les avocats égyptiens ont ainsi été prononcées et vont de dix ans par contumace contre Mohamed Ramadan, qui travaille pour le centre des droits économiques et sociaux, à vingt-cinq ans pour « diffamation de la magistrature ». Neuf avocats de Minya sont concernés par ce dernier chef. 

Parmi les victimes de la répression, Azza Soliman, la fondatrice du Centre pour l’assistance juridique des femmes égyptiennes, ou encore Khaled Ali, candidat déchu à la présidentielle et principal opposant au général Al-Sissi.

L’avocat Khaled Ali a comparu devant le tribunal en mai, juillet et septembre 2017. Il est condamné à trois mois pour atteinte à la décence publique car suspecté d’avoir levé son majeur à la sortie d’une audience en janvier de la même année. Le tribunal a rendu sa décision sans écouter la plaidoirie des avocats de la défense et sans autoriser un contre-interrogatoire des témoins sur l’authenticité des images vidéo présentées par l’accusation. 

Il était surtout le candidat de l’opposition aux élections présidentielles de mars 2018 mais il a été contraint d’abandonner, son affaire devant la cour d’appel ayant été renvoyée pendant les échéances électorales.

Des avocats français répertoriés

Franck Breton, 55 ans, est également l’un des avocats en danger. Il exerce la profession au barreau de Lille et a été traduit par le conseil de discipline du barreau pour avoir refusé en 2014 une commission d’office de la juridiction dont il contestait l’impartialité. Il a alors invoqué « une clause de conscience ».

La cour d’assises s’estimant seule compétente, sur le fondement de l’article 9 de la loi du 31 décembre 1971 pour apprécier l’éventuel refus de l’avocat, une question prioritaire a néanmoins été posée au conseil de discipline : « Comment un avocat qui décide de se retirer parce qu’il estime que l’impartialité n’est plus garantie par la juridiction, pourrait-il en conscience admettre que, parce qu’il est commis d’office, la juridiction devant laquelle il plaide redeviendrait impartiale ? ».

La question a été jugée sérieuse par le conseil de discipline et transmise de ce chef à la Cour de cassation qui décidera de saisir ou non le Conseil constitutionnel.