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Jus Mundi, le Google du droit international

Faire mieux que Google dans le domaine du droit international. C’est le défi qu’un groupe de juristes et techniciens est en train d’essayer de relever. Leur plateforme, Jus Mundi, souhaite mettre à la portée de tous les différents domaines de ce droit qui s’affranchit des frontières.

par Maxence Peniguetle 7 juin 2018

« Le droit international existe déjà, mais quelque chose ne va pas : il n’est pas vraiment efficace. Nous pensons que cela est dû à un problème d’accessibilité. Jus Mundi est notre solution à ce problème ». Cette présentation se trouve (en anglais) sur le site internet de la start-up Jus Mundi.

Jean-Rémi de Maistre, à la tête du projet, explique plus en profondeur. « C’est assez compliqué quand on n’est pas un expert de savoir comment rechercher du droit international, quoi utiliser, et savoir si on peut l’utiliser dans son État et à quelles conditions », raconte le diplômé en droit international, avant de souligner un autre problème : “quand on est dans un État et que l’on veut savoir comment les tribunaux d’un autre État appliquent le même droit international, c’est presque impossible.”

Ce manque d’accessibilité s’explique, pour lui, par plusieurs raisons. D’abord, « c’est que contrairement au droit national (…) le droit international n’a pas d’administration centrale chargée de le collecter et de le diffuser de manière homogène ». Jus Mundi rassemble donc ce droit apatride pour le mettre au même endroit. Puis, au-delà de la dispersion, il y a « un problème de qualité des données. Parfois, des PDF sont inutilisables informatiquement ». Enfin, on trouve la « problématique de l’hétérogénéité des langues et des systèmes juridiques. C’est très compliqué de rassembler des données provenant de différents systèmes juridiques si on veut le faire de manière construite ».

Une plateforme pour tous

Pour résoudre ce problème, le juriste de 29 ans s’est entouré de développeurs, de mathématiciens et d’une autre spécialiste du droit international. L’équipe, d’une dizaine de personnes, est internationale comme le droit sur lequel elle travaille. D’une moyenne d’âge de 30 ans, elle se répartit les tâches entre Paris et Sofia, la capitale de Bulgarie. Outre le besoin de bien gérer de nombreuses bases de données juridiques, « l’accessibilité passe par une prise en main rapide de l’outil, donc on travaille beaucoup sur l’interface », précise Jean-Rémi de Maistre.

L’équipe collabore également avec des juristes autour du monde. Ils « aident à qualifier des données afin de rendre le moteur plus intelligent ». Cela « dans une approche très collaborative et internationale », pour, pointe le CEO, « éviter de reproduire ce qu’ont fait beaucoup d’outils », qui sont « des outils par les Anglo-Saxons pour les Anglo-Saxons ».

Techniquement, il s’agit pour Jus Mundi d’une double approche : introduire toutes les données dans une seule et même base pour ensuite les interconnecter entre elles. En pratique, Jean-Rémi de Maistre explique : « quand une décision applique un article d’une convention internationale, on connecte la décision à l’article de la convention internationale ». Le moteur de recherche de la plateforme devrait être lui capable de « retrouver les passages les plus pertinents dans les différents documents, quel que soit leur langue ».

La pertinence contre les PDF de 300 pages

Ce projet ambitieux devrait être publiquement lancé à la fin de l’année. Toutefois, dès juin, une partie du site sera disponible en version bêta (c’est-à-dire, non terminée) pour quelques chanceux. Ils pourront découvrir le monde du droit de l’investissement et de l’arbitrage international. Par exemple, « vous cherchez “application du traitement juste et équitable”, qui est un principe en droit de l’investissement, et directement vous trouverez les paragraphes de toutes les décisions qui appliquent ce principe », illustre le Berrichon d’origine, qui appuie sur un point spécifique : « notre moteur permet de s’émanciper des systèmes de classification actuels en offrant la possibilité à l’utilisateur d’aller directement au texte pour poser des questions potentiellement innovantes et obtenir des résultats pertinents ».

Et Jean-Rémi de Maistre de continuer : « Aussi je me suis amusé à chercher “Google” dans notre moteur de recherche pour voir quels étaient les arbitrages internationaux qui faisaient référence à Google. Et je les ai trouvés en une seconde, directement, ça m’a sorti les paragraphes en question. Donc l’idée, c’est vraiment de permettre de trouver des choses hors du système de classification et ensuite d’aller beaucoup plus vite (…), vous allez trouver directement les paragraphes qui vous concernent et qui sont les plus pertinents et pas un PDF de 300 pages ».

Ce PDF de 300 pages, c’est ce qu’on trouverait avec Google, outil très utilisé chez la plupart des juristes. « Car sur les bases de données classiques, on n’arrive pas toujours à trouver ce qu’on veut, témoigne le fondateur de Jus Mundi. Alors on se tourne vers Google ». Mais la machine américaine, si elle arrive à sortir de bons résultats, se limite à livrer des PDF, qu’il faut ensuite analyser. « Tandis que nous, on a vraiment extrait le texte, chaque paragraphe de chaque décision est une entité en base de données et donc on peut remonter directement au paragraphe qui vous convient », s’enorgueillit-il.

Un moteur en recherche d’argent

L’organisation dit fonctionner avec des moyens réduits le temps de faire ses preuves, avant d’espérer convaincre des investisseurs. Un front sur lequel l’équipe est active : en décembre 2017, Jus Mundi a pris part au huitième forum d’innovation dans la justice au Palais de la paix, à La Haye, organisé par l’ONG HiiL. « On envisage de postuler à leur accélérateur, confie Jean-Rémi de Maistre. Chaque année, ils sélectionnent un nombre de start-up à travers le monde (…) qui peuvent permettre un meilleur accès au droit. Ils financent un peu, donnent des conseils et s’adressent à des investisseurs selon les projets ».

Des pistes sont aussi avancées pour monétiser la plateforme. Si le souhait est de rendre accessible le service le plus ouvertement possible, certains « domaines particuliers » ne seront disponibles que sur abonnement, comme le droit des investissements.