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Loi Anticasseurs : bataille au sein de la majorité

Par 387 voix contre 92, avec 50 abstentions à En Marche !, l’Assemblée nationale a adopté hier la proposition de loi Anticasseurs. Alors que le premier ministre souhaitait une adoption rapide, elle a été considérablement retouchée par les députés LREM. Explications sur les évolutions du texte.

par Pierre Januelle 6 février 2019

Un texte que les députés ont remanié

En commission des lois, les députés avaient fortement encadré le texte, contre le gouvernement (v. Dalloz actualité, 25 janv. 2019, art. P. Januel isset(node/194116) ? node/194116 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>194116). La proposition de loi venant du Sénat et le ministère de l’intérieur ayant négligé la concertation préalable, les députés s’étaient autorisés à une telle audace : suppression des articles 1er sur les périmètres de protection et 5 (port d’arme en manifestation), encadrement renforcé du délit de dissimulation du visage (art. 4) de la peine complémentaire d’interdiction de manifester (art. 6) et de l’action récursoire (art. 7).

Cette bataille ne s’est pas exprimée dans l’hémicycle. Ministre et rapporteure ont usé de litotes sur leurs points de désaccord : un député de la majorité qui fait plier son gouvernement ne fanfaronne pas. Mais des compromis ont été trouvés : l’article premier qui prévoyait initialement des périmètres de protection aux abords des manifestations (comme des fan zones) a été remplacé par la possibilité pour les procureurs de requérir, aux abords des manifestations, des fouilles de bagage et des visites de véhicules (très proche de l’art. 78-2-2 du C. pr. pén.).

Le gouvernement a proposé un compromis sur l’article 2, qui prévoit l’interdiction, par décision préfectorale, de participer à des manifestations. Les députés ont limité le champ des personnes concernées : le Sénat souhaitait viser les personnes entrant relation de manière régulière avec des individus incitant à la commission de violences. Pour les députés, il faudra que l’administration justifie que la personne ait, lors de précédentes manifestations, commis un acte violent ou causé des atteintes graves envers les personnes ou les biens. Mais les députés ont aussi permis que ce dispositif puisse couvrir plusieurs manifestations (jusqu’à un mois).

Lorsqu’ils rencontraient une opposition avec le groupe majoritaire, les gouvernements de l’ancien monde s’alliaient aux autres députés. Ce qui s’est passé sur l’article 4 (délit de manifestation cagoulé). La commission avait limité ce délit aux personnes se masquant pour « participer à la commission de troubles sans pouvoir être identifiées ». En toute fin de séance mercredi et en s’appuyant sur les députés Modem et LR, le gouvernement a fait sauter cette précision.

Les députés ont également prévu que l’interdiction judiciaire de manifester puisse être prononcée en cas de contrôle judiciaire et permis le jugement du délit d’attroupement en comparution immédiate (ce qui permettra des condamnations lorsque les violences et dégradations ne peuvent être prouvées).

Une mobilisation contre le texte qui se renforce

Avec un temps de retard sur le débat parlementaire, la mobilisation contre le projet de loi s’est renforcée dans l’opinion. Plusieurs avocats ont dénoncé l’article 2. Symptôme de ces remous, seize députés En Marche ont voté pour la suppression de cet article et cinquante se sont abstenus sur l’ensemble du texte. À noter : aucun des seize et seuls deux des cinquante sont membres de la commission des lois. Les autres sont restés groupés derrière la rapporteure qui a arraché des compromis au gouvernement.

La balle est désormais dans le camp du Sénat. Le gouvernement n’ayant pas déclaré l’urgence (en octobre, personne ne pensait que ce texte serait adopté), il faut deux lectures dans chaque chambre avant un éventuel compromis en commission mixte paritaire. La majorité sénatoriale est elle-même divisée entre défenseurs des libertés publiques (Philippe Bas) et sénateurs sur une ligne plus politique d’opposition au gouvernement (Bruno Retailleau).

Enfin, sur cet article 2, la solution pourrait être constitutionnelle. Le rapport de la commission des lois note les différents problèmes. Le Conseil constitutionnel pourrait y voir l’occasion de consacrer la liberté de manifester.