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Mise en œuvre de l’action (très) spéciale de l’article L. 643-7-1 du code de commerce

Lorsqu’un créancier privilégié a été payé par suite de l’omission sur l’état de collocation d’un homologue de meilleur rang, le liquidateur peut agir en restitution des sommes versées à l’accipiens en dépit de l’expiration du délai de contestation de l’état de collocation.

Le régime des distributions de fonds en procédure collective est si complexe concernant le classement des créanciers qu’il est pour ainsi dire naturel qu’elles soient entachées d’erreurs. Pendant longtemps, pourtant, presque rien n’était prévu pour en permettre la correction, malgré les exhortations de la doctrine et des praticiens (v. P.-M. Le Corre, Les conséquences d’erreurs dans les répartitions : pour une évolution des solutions, Lexbase Affaires, 19 déc. 2013, n° 363). Certes était-il admis que le règlement effectué au mépris de l’égalité des créanciers chirographaires présente un caractère indu, et, en tant que tel, ouvre droit à répétition des sommes versées (Com. 1er févr 2011, n° 09-11.529 F-D). Mais lorsqu’un créancier privilégié recevait un paiement par suite d’une erreur sur l’ordre des privilèges, cette solution était écartée au motif que l’accipiens n’avait en ce cas reçu que ce qui lui était dû (Com. 30 oct. 2000, n° 98-10.688 FS-P, D. 2001. 1527 , note S. Pierre ; ibid. 2000. 430, obs. P. Pisoni ; ibid. 2001. 620, obs. A. Honorat ; ibid. 1612, obs. V. Brémond ; RTD civ. 2001. 142, obs. J. Mestre et B. Fages ).

La situation a changé depuis que l’ordonnance du 12 mars 2014 a introduit dans le code de commerce l’article L. 643-7-1. Conçu pour renverser la position jurisprudentielle, celui-ci dispose que « Le créancier qui a reçu un paiement en violation de la règle de l’égalité des créanciers chirographaires ou par suite d’une erreur sur l’ordre des privilèges doit restituer les sommes ainsi versées ». En offrant de la sorte la possibilité de rectifier toute erreur de répartition d’ordre hiérarchique par la voie d’une action en restitution, ce texte est digne d’approbation en ce qu’il tend à limiter le risque pour les créanciers d’éprouver un préjudice, et, partant, celui pour les mandataires de justice d’engager leur responsabilité (P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, 12e éd., Dalloz Action, 2022, n° 591.511). Il est néanmoins possible de regretter la parcimonie dont il fait montre en demeurant silencieux quant au régime de l’action qu’il institue. Ce faisant, il délègue à la jurisprudence l’épineuse tâche d’en préciser les modalités de mise en œuvre (sur la question, v. M. Guastella, Les principes directeurs des répartitions de fonds en procédure collective, préf. P.-M. Le Corre, LGDJ, à paraître, nos 626 s.), ce à quoi s’ingénie justement la Cour de cassation dans l’arrêt rapporté qui, pour cette raison et comme en atteste la publication à laquelle il est promis, s’avère de première importance.

En l’espèce, un créancier hypothécaire reçoit, lors de la distribution du prix de l’immeuble grevé, un dividende d’un certain montant en vertu de l’état de collocation dressé par le liquidateur (C. com., art. R. 643-6). Par la suite, ce dernier, estimant que cette somme aurait dû revenir à un créancier de meilleur rang, en l’occurrence l’Association pour la gestion du règlement des créances des salariés (AGS), assigne l’accipiens en restitution d’une partie de ce dividende. Sa demande est rejetée par la cour d’appel, qui considère, en substance, qu’il n’y a pas lieu à restitution dans la mesure où, le paiement réalisé au profit de l’hypothécaire ne résultant pas d’une erreur commise dans l’état de collocation sur le classement légal des droits de préférence, mais d’une absence de collocation du créancier de meilleur rang, il était en réalité question d’une contestation de cet état qui aurait dû intervenir dans le délai imparti à cet effet.

Sur pourvoi de l’organe répartiteur, la Haute juridiction censure les juges du fond au visa de l’article L. 643-7-1 du code de commerce. Après en avoir rappelé la teneur, elle indique que selon ce texte, quand un créancier privilégié a été payé à la suite de l’omission sur l’état de collocation d’un homologue de meilleur rang, le liquidateur peut agir en restitution des sommes versées à l’accipiens. Le paiement de l’hypothécaire découlant du défaut de collocation de l’AGS, le liquidateur ne pouvait donc être débouté de sa demande en répétition.

Cette décision est d’appréhension délicate. D’un côté, la réfutation du raisonnement tenu par la cour d’appel apparaît justifiée, pour ne pas dire inévitable. Mais d’un autre côté, la conclusion à laquelle parvient l’arrêt, à savoir la recevabilité de l’action en restitution nonobstant l’expiration du délai de contestation de l’état de collocation, semble quelque peu péremptoire, en ce sens que la Cour de cassation évacue cette donnée sans s’en expliquer, alors pourtant qu’elle paraît...

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