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Pas de sanctions disciplinaires demandées contre un vice-procureur du PNF

Existence de faute disciplinaire mais pas de sanction. Telle est le sens des conclusions de la Direction des services judiciaires (DSJ) à l’égard d’un vice-procureur du Parquet national financier (PNF), poursuivi pour des manquements supposés à ses obligations déontologiques sur fond d’enquête visant l’ancien chef d’État, Nicolas Sarkozy. Le CSM rendra son avis le 19 octobre.

par Pierre-Antoine Souchard, Journalistele 23 septembre 2022

Les voies du disciplinaire sont tortueuses. Au terme de deux jours d’audience, le directeur des services judiciaires n’a réclamé aucune sanction contre Patrice Amar, 56 ans, premier vice-procureur du Parquet national financier (PNF), poursuivi à la demande du Premier ministre pour des manquements supposés à ses devoirs d’impartialité, de délicatesse et de prudence en raison de ses relations avec l’ancienne cheffe du PNF, Éliane Houlette.

Beaucoup de bruit pour rien ? Beaucoup de ressentiment, en tout cas, sur fond d’arrière cuisine managériale du PNF, vitrine judiciaire créée en 2014 après l’affaire Cahuzac pour traiter, entre autres, des atteintes à la probité. Et de salmigondis politique. La défense du magistrat ne s’est pas privée d’attaquer le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, un « ministre indigne, incompétent et malhonnête », avant de dénoncer une procédure prétexte pour « faire payer » un procureur à l’origine des procès de Nicolas Sarkozy.

Les poursuites visent une dénonciation effectuée au visa de l’article 40 du code de procédure pénale par M. Amar en juin 2019 auprès de la procureure générale de Paris. Le magistrat évoque de possibles conflits d’intérêts de la cheffe du PNF, Éliane Houlette, et attire l’attention sur ses méthodes de management s’apparentant, selon lui, à du harcèlement moral.

Leur origine est toute autre. Elle part de l’enquête préliminaire n° 306, ouverte en 2014 en marge du dossier « Bismuth », mettant en cause l’ancien chef de l’État, Nicolas Sarkozy, son avocat Thierry Herzog et un ancien Premier avocat général à la Cour de cassation Gilbert Azibert pour corruption et trafic d’influence.

Dans cette enquête n° 306, le PNF a tenté d’identifier une « taupe » qui aurait informé l’ex-président de la République et son avocat, Thierry Herzog, qu’ils étaient sur écoute dans la procédure « Bismuth ». Les fadettes de plusieurs magistrats du pôle financier mais aussi d’avocats, dont Éric Dupond-Moretti, ont été épluchées.

Mais ces vérifications ne seront connues qu’en 2020. Là, les robes noires s’insurgent. Eric Dupond-Moretti dépose plainte, accusant le PNF de « méthodes de barbouze ».

« Conflit d’intérêts »

En juin 2020, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, saisit l’Inspection générale de la Justice (IGJ) d’une mission sur le fonctionnement du PNF. Entre-temps, Eric Dupond-Moretti arrive place Vendôme. Il se désiste de sa plainte avant d’ordonner des enquêtes administratives contre trois magistrats du PNF, l’ex-cheffe, Éliane Houlette, une procureur adjointe, Ulrika Delaunay-Weiss et Patrice Amar malgré le rapport de l’IGJ qui ne relève pas de fautes individuelles.

Une situation qui vaut à l’actuel garde des Sceaux une mise en examen pour « prise illégale d’intérêts » et un éventuel procès devant la Cour de justice de la République (CJR).

En octobre 2020, Matignon prend un décret par lequel le ministre de la Justice ne peut suivre les procédures disciplinaires visant des magistrats impliquant « parties dont il a été l’avocat ou dans lesquelles il a été impliqué » et les dossiers dans lequel il a été avocat.

En février 2021, l’enquête administrative contre M. Amar conclut à l’absence de manquements aux principes déontologiques auxquels tout magistrat est soumis. Tout comme celle visant Mme Delaunay-Weiss. Toutefois, en mars 2021, les services du Premier ministre saisissent le CSM pour des poursuites disciplinaires contre M. Amar, demande rejetée par le Conseil. Nouvelle saisine, cette fois, pour des manquements aux devoirs d’impartialité, de délicatesse et de prudence, était engagée à laquelle le CSM donnait suite. Voilà pour le touffu contexte .

À l’audience, les débats se sont focalisés sur les relations entre le magistrat et sa cheffe, Éliane Houlette, et cette fameuse enquête n° 306. M. Amar, bras en écharpe, a expliqué que Mme Houlette a tardé à prendre une décision dans cette affaire sensible mettant en cause un ancien président de la République et son avocat. Une perte de temps, selon lui, dommageable à l’enquête. « Il fallait une action prompte et rapide », a-t-il dit évoquant « l’incompétence, la panique ou l’inexpérience » de la patronne du PNF.

« Pas le procès du PNF »

Entendue comme témoin, l’ancienne procureure-adjoint du PNF, Mme Ulrika Delaunay-Weiss, abonde. « L’indécision » de Mme Houlette, « a mis en péril la procédure », a-t-elle estimé. Comme M. Amar, elle s’est vue retirer certains dossiers. « C’était compliqué en interne, je n’étais pas la seule à faire l’objet d’une mise à l’écart. Beaucoup ont décidé de quitter le PNF en raison de son fonctionnement disruptif et toxique ». Aïe. Puis : « Sur ordre de M. Dupond-Moretti, avec le soutien du pouvoir exécutif, la DSJ a fait les poubelles du PNF » pour traduire M. Amar devant le CSM.

Autre témoin cité par la défense, Mme Ariane Amson, arrivée au début du PNF. Sur certains dossiers, les propos de la patronne du PNF « révélaient une absence d’habitude de la matière (NDLR : économique et financière) ». « On a même dû revenir aux fondamentaux et lui expliquer la différence entre trafic d’influence et corruption », a ajouté celle qui fut conseillère de Justice à l’Élysée sous François Hollande. Ouïe !

Pas terrible pour l’image de marque du PNF, plus pétaudière que parquet, censé apporter une plus-value technique dans les dossiers financiers d’une grande technicité. Alors, « pas question de faire le procès médiatique du PNF », a souligné le directeur des services judiciaires (DSJ), Paul Huber, « c’est l’audience disciplinaire de l’un de ses membres ».

Alors qu’est-il reproché à M. Amar ? Le directeur des services judiciaires n’a, in fine, retenu que deux griefs. Un manquement de délicatesse et un manquement au devoir de prudence et de loyauté à l’égard de Mme Houlette.

Le manque de délicatesse serait caractérisé par ses propos « inutilement offensants » et « discourtois » envers sa cheffe. M. Amar « n’a eu de cesse de dénigrer voire de critiquer les décisions prises par sa supérieure ». Voilà qui « dépasse le cadre de la critique acceptable à l’égard de sa supérieure », selon le DSJ.

Le manque de prudence et de loyauté défini par le choix d’un article 40 du code de procédure pénale adressé à la procureure-générale relève d’« un usage inapproprié ». Sa dénonciation ne repose sur « aucune preuve » seulement « sur une construction intellectuelle hasardeuse ». Bref, des faits d’une gravité suffisante « pour les qualifier de faute disciplinaire ».

« Liberté d’expression »

Sauf qu’il y a le contexte. En avril 2019, rappelle M. Huber, le magistrat a fait l’objet d’un rappel de ses obligations déontologiques par la DSJ après avoir été exfiltré un mois plus tôt au parquet général pour une durée de six mois, le temps que Mme Houlette parte à la retraite. M. Amar a « déjà été recadré par la procureure générale et la DSJ. Il n’apparaît pas possible de prononcer une sanction ». M. Huber propose alors au CSM de rendre un avis reconnaissant l’existence de fautes disciplinaires mais sans sanction. Un succédané de non bis in idem.

Alors, beaucoup de bruit pour rien ? Me François Saint-Pierre, l’avocat de M. Amar, avec Me Marie Lhéritier, a considéré que ces poursuites démontraient « une pression intolérable du ministre de la Justice » pour déstabiliser le PNF avant le procès de Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog et Gilbert Azibert dans l’affaire Bismuth (Condamnés à trois ans dont deux avec sursis, ils ont fait appel (v., ils ont été condamnés en mars 2021 et ont fait appel, Dalloz actualité, 2 mars 2021, obs. P.-A. Souchard).

Le choix de l’article 40 du code de procédure pénale était le seul moyen légal dont disposait M. Amar pour informer la procureure générale, selon l’avocat. Lui en faire grief reviendrait à imposer un devoir de silence aux magistrats. Les propos tenus par M. Amar dans le courrier à la procureure générale ne sont ni injurieux ni offensants et relèvent de la liberté conventionnelle d’expression selon l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, martèle sa défense.

Elle demande au CSM d’appliquer au magistrat une décision récente de la chambre sociale de la Cour de cassation ayant considéré qu’« une sanction disciplinaire contre un salarié ne peut être prononcée en raison de la liberté d’expression, liberté fondamentale ».

Les poursuites disciplinaires contre M. Amar ne sont que des « représailles », assène Me Saint-Pierre. Or, explique-t-il, si la Cour européenne admet des poursuites disciplinaires contre un magistrat pour des manquements suite à l’exercice de sa liberté d’expression, celles-ci ne doivent pas être prises au titre de représailles. « Le gouvernement, la DSJ doivent être en mesure de dissiper toute suspicion à cet égard », souligne l’avocat. Or, dans cette affaire, ce n’est pas le cas, conclut Me Saint-Pierre.

Le CSM rendra son avis le 19 octobre. Il appartiendra ensuite au garde des Sceaux de le suivre. Ou pas.

Éliane Houlette, l’ancienne cheffe du PNF comparaîtra devant le CSM les 26 et 27 septembre.