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Le père Preynat demande le report du film Grâce à Dieu pour atteinte à sa présomption d’innocence

Le film de François Ozon, qui porte sur le combat mené par des hommes accusant le père Bernard Preynat d’infractions à caractère sexuel, porterait gravement atteinte à sa présomption d’innocence. La décision des juges sera rendue ce lundi 18 février à 16 heures, par mise à disposition au greffe.

par Julien Mucchiellile 18 février 2019

Prévu dans les salles de cinéma à partir du mercredi 20 février, « Grâce à Dieu » est un film sur le combat mené par une association « La parole libérée », pour porter la voix d’enfants victimes d’agissements pédophiles, que la justice, aujourd’hui, reproche à un prêtre, Bernard Preynat. Ce dernier estime que le film, réalisé par François Ozon, l’érige en coupable, avant même que la justice ne se soit prononcée sur son sort, portant non seulement une atteinte grave à sa présomption d’innocence, mais également au procès équitable dont chaque justiciable doit bénéficier. Il a ainsi été débattu, vendredi 15 février, du report de la sortie du film à l’issue de la procédure judiciaire (l’information judiciaire vient de s’achever), seule mesure selon le requérant à mettre un terme à l’atteinte alléguée, dans le cadre d’une procédure de référé d’heure à heure.

Le réalisateur réfute cette vision des choses, présentant son œuvre comme une œuvre de fiction. L’avocat de Bernard Preynat ne le voit pas ainsi : « La distinction que M. François Ozon, dit-il, opère entre l’histoire de l’association et les faits qui font l’objet de l’information judiciaire suivie contre M. Bernard Preynat est artificielle. » Il souligne que la date de sortie du film a été choisie, à dessein, dans le prolongement du procès du cardinal Barbarin. Ensuite, le nom de Bernard Preynat n’a pas été modifié, et enfin, la quasi-totalité des accusations portées par l’association n’ont jamais été portées que contre Bernard Preynat. Or, « le voile de la fiction n’est opérant que s’il crée effectivement une distance avec le réel », dit l’avocat, poursuivant : « La fiction n’autorise toutes les licences que si elle n’omet pas de prendre les distances qui la distingue de la réalité. » Or, le film se contente de faire le relais des accusations, sans mener un rigoureux travail d’analyse et de confrontation des parties, comme un documentaire de nature journalistique aurait pu le faire. La mauvaise foi du réalisateur, selon l’avocat, est ainsi patente.

De celà, découle l’atteinte au caractère équitable du procès qui probablement se tiendra. « En présentant totalement, sans nuance aucune, Bernard Preynat comme coupable des faits qui lui sont reprochés et la parole des plaignants comme véridique, le film est évidemment de nature à exercer une influence sur l’appréciation qu’ont ou auront à porter toutes les personnes intervenant dans le cadre de la procédure pénale dont ce dernier fait l’objet », dit Me Mercinier.

La liberté artistique, corollaire de la liberté d’expression, permet-elle la création d’une œuvre présentant un présumé innocent en un coupable avéré ? Les seules questions qui vaillent, pour Me Emmanuel Mercinier, sont : est-il présenté comme coupable ? Oui. A-t-il été condamné pour les faits d’atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans et d’attentat à la pudeur commis avec violence sur un mineur de 15 ans ? La réponse est non. Pour l’avocat, une question demeure : quelle mesure proportionnée pourrait faire cesser cette atteinte ? Il ne voit que report du film.

Cette solution est inconcevable pour la partie défenderesse, car cela signifierait la mort du film. Déjà prévu dans 307 salles et vendu dans de nombreux pays étrangers, « Grâce à Dieu » serait perdu s’il devait attendre la condamnation définitive du père Preynat, car les sociétés seraient en droit de dénoncer le contrat. Mais la ruine des sociétés de production ne pourrait constituer à elle seule une raison valable de violer la présomption d’innocence d’un homme, fut-il accusé d’un crime si grave. Alors les conseils de François Ozon ont décliné un argumentaire tournant autour de la publicité des faits, de leur admission par le mis en cause et l’impérieuse nécessité de débattre, dans une œuvre unique et universelle, des questions d’infractions sexuelles commises au sein de l’Église catholique.

Mais d’abord, la bonne foi du réalisateur. « Sa volonté n’est pas de faire le procès du père Preynat, mais de montrer le combat mener par des hommes et l’association “la parole libérée”, pour briser le silence au sein de l’Église », avance un premier avocat. Les personnages principaux sont ceux qui accusent leur ancien prêtre d’avoir abusé d’eux. Leur combat personnel et intime est le cœur du sujet, mais, comme le reconnaît le réalisateur, il est indissociable du combat judiciaire. Le prêtre est ainsi présenté sans ambages comme l’auteur des faits pour lesquels il est poursuivi. Il est nommé à 13 reprises dans les 2 minutes et trente secondes que dure la bande-annonce. La presse a compris la même chose : chaque critique du film présente les plaignants comme des « victimes du père Preynat », sans ambiguïté sur la culpabilité du prêtre qui semble acquise aux yeux des spectateurs.

François Ozon a présenté son travail ainsi : « Ce que je raconte des faits est déjà public, a été publié et analysé. Il n’y a aucune révélation sur l’affaire. Le père Preynat et le Cardinal Barbarin sont interprétés par des acteurs, mais je n’ai rien inventé sur eux. J’ai repris ce qu’ils ont déclaré, leurs discours ou paroles comme lors de la conférence de presse à Lourdes. » La fiction est basée sur des faits réels, mais demeure une fiction, selon lui. Il n’y a pas que cela : le père Preynat serait passé aux aveux. Le père Preynat a envoyé des lettres d’excuses aux parties civiles, le diocèse de Lyon, sur son site, décrit et dénonce les faits, laissant penser qu’ils sont acquis. Ces aveux, répond Me Mercinier, n’existent pas en terme judiciaire, et ne peuvent en aucun cas se substituer à la déclaration de culpabilité qui pourrait advenir lors d’un futur procès.

L’autre avocat des sociétés de production, Me Paul-Albert Iweins, s’étonne que le père Preynat n’ait pas agi avant (contre les articles de presse, par ex.), pour protéger sa présomption d’innocence. Il invoque également le procès du Cardinal Barbarin, qui s’est déroulé en janvier, où le prélat « non-dénonciation des crimes », semblant sous-entendre que l’institution judiciaire, par cette formulation admettait qu’il soit permis de parler des « crimes du père Preynat », même en dehors d’une enceinte judiciaire (dans lesquelles la liberté de parole s’apprécie différemment). Il est également fait mention de « cartons », disposés au début et à la fin du film, rappelant que l’affaire n’est pas jugée, et que l’homme, présenté en coupable avéré pendant tout le film, est présumé innocent.

Mais c’est avant tout l’intérêt général que le défendeur invoque, un intérêt supérieur porté par l’œuvre cinématographique dont la portée et l’importance seront probablement considérables, et la qualité artistique, incontestable – le film était en lice pour l’Ours d’Or au festival de Berlin. Ainsi, en ordonnant le report du film, le juge des référés causerait non seulement un désastre pécuniaire, mais commettrait un acte de censure contre une œuvre qui porte en elle les éléments d’un débat de premier ordre, qui intéresse l’intérêt général.

Mais la justice, si elle en venait à considérer que la présomption d’innocence est bafouée par le film de François Ozon, pourrait-elle faire autrement que sacrifier l’œuvre ? Car en ordonnant le report du film (comment, sinon, prévenir les atteintes alléguées ?), c’est une démarche imprudente qu’elle sanctionnerait, et non un débat qu’elle censurerait.