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Procès Balladur : « Je me sens la conscience totalement tranquille ! »

L’ancien Premier ministre Édouard Balladur comparaît jusqu’au 11 février devant la cour de justice de la République. Selon l’accusation, la campagne présidentielle de M. Balladur en 1995 aurait été financée à hauteur de 10 millions de francs provenant de rétrocommissions sur des contrats d’armement en Arabie saoudite et au Pakistan.

par Julien Mucchiellile 28 janvier 2021

Ayant été à son service durant la campagne présidentielle, témoigne René Galy-Dejean devant la cour de justice de la République, j’ai pu « constater que Monsieur Balladur était dans une rectitude morale et intellectuelle qui, au milieu des intrigues, était impressionnante. Cela m’a paru impossible qu’il ait recours à des moyens illégaux », assure le trésorier de la campagne du candidat Balladur.

L’ancien Premier ministre est prévenu d’avoir financé sa campagne présidentielle de 1995 au moyen de rétrocommissions perçues sur des contrats d’armement en Arabie Saoudite et au Pakistan. Il comparaît pour cela auprès de son ancien ministre de la Défense, François Léotard, qui aussumait la semaine dernière toute la responsabilité de ce qui avait pu se passer, dont il dit tout ignorer.

L’ancien Premier ministre, raide dans son costume bleu, s’est avancé à la barre et a dit d’une voix claire : « Je vais tenir des propos généraux, car j’ai beaucoup de mal à me retrouver dans ce dossier. Je suis incapable de me retrouver en détail dans tout ça. »

Et il le fut. Il expliquait le mécanisme des rétrocommissions (qui ne sont pas illégales en soi), puis qu’il ne s’occupait pas de ces choses-là, qu’il déléguait. « Je n’ai jamais été amené à intervenir, ce qui m’intéressait était de savoir si les choses se passaient bien. Je n’ai jamais imposé une décision. Je ne vois pas sur quoi pourrait se fonder un abus de bien social s’agissant du Pakistan. J’aurais pris le risque de participer à des opérations frauduleuses de 600 millions pour que me fussent alloués d10 millions ? » déclare-t-il.

Le président Dominique Pauthe le relance, Édouard Balladur reprend : « Vous croyez que c’était à moi de m’occuper de tout ça, franchement ? Ça ne représentait pas des sommes extrêmement importantes — Mais ces 10 millions arrivés subitement en cash à la banque ? — Je n’avais pas de raison de douter, je faisais confiance à mon équipe de campagne. » Le procureur général François Molins lui demande : « Qui peut avoir donné ces 10 millions de francs ? Quel était votre degré de connaissance des questions budgétaires de votre campagne ? — Degré faible », répond le prévenu, qui ponctue : « Je me sens la conscience totalement tranquille ! », en insistant sur le « totalement ».

« Jamais la justice française n’a été en capacité de gérer le financement des partis politiques ! »

Appelé à la barre, François Léotard s’emporte : « Je ne connais pas un seul trésorier de parti politique qui n’a pas eu affaire à la justice. Pas un ! Pas un seul ! Cela veut dire quoi ? Excusez-moi, hein. Jamais la justice française n’a été en capacité de gérer le financement des partis politiques, jamais. » Interrogé sur la source des six millions offerts à la campagne de M. Balladur par son parti, il répond : « Je n’en sais rien. J’en accepte complètement la responsabilité, mais je n’en sais rien. »

Témoigne ensuite, 88 ans, René Galy-Dejean, ancien trésorier de la campagne du candidat Balladur. Il est interrogé sur un versement en espèces du 26 avril 1995, de 10,250 millions de francs sur le compte de campagne d’Édouard Balladur, dont le jugement condamnant d’autres prévenus de cette affaire devant le tribunal correctionnel (appel pendant), a établi qu’ils correspondaient à un retrait effectué quelques semaines plus tôt par des intermédiaires, dont Ziad Takkiedine, provenant de rétrocommissions perçues sur un contrat d’armement. René Galy-Dejean, aujourd’hui, affirme avoir déposé 3 millions de francs seulement. « Le lendemain du premier tour, dit-il, l’immeuble s’est vidé spontanément. J’étais en train de mettre de l’ordre, quand à 11h du matin Pierre Mongin (chef de cabinet du Premier ministre Balladur) m’appelle et me demande de venir le voir. Pierre Mongin lui aurait fait remettre 3 millions de francs en coupures usagées, qu’il recomptait avant de les déposer au Crédit du Nord.

Le trésorier dit aujourd’hui penser qu’ils proviennent des fonds secrets, après avoir eu des déclarations évolutives au cours de l’instruction. L’argent qu’on lui remettait, leur provenance n’était pas son problème. Des meeting ? Peut-être. Le président demande : « À quoi serviez-vous au sein de cette association ? — Je suis prêt à assumer cette question, j’ai été plaqué sur une organisation qui existait quand je suis arrivé dans l’immeuble de la campagne. Tout était déjà en place », quand il est arrivé à la fin janvier 1995, le compte bancaire était déjà ouvert. Il poursuit : « Je vois bien que vous considérez que je n’ai pas été un trésorier très diligent, j’accepte le reproche. Je devrais quand même rappeler que les problèmes de comptabilité ne m’étaient pas étrangers, mais en l’espèce, il existait un grand désordre, et je n’ai pas maîtrisé les comptes de la campagne. »

M. Galy-Dejean réfutant avoir déposé 10,2 millions, mais seulement 3 millions de francs, il est questionné sur l’auteur de l’autre dépôt, dont il pense qu’il peut s’agir d’une comptable. Il admet, questionné par le président, avoir eu le sentiment d’être manipulé. Quant à son lien avec Edouard Balladur, il était inexistant. « Je n’ai jamais évoqué les problèmes financiers avec M. Balladur. M. Bazire (directeur de cabinet de Balladur), à chaque fois que je le voyais, je lui disais que tout allait mal. Les recettes, on m’avait prévenu que ce n’était pas mon problème. » L’ex-trésorier, dit-il, ne savait pas que 10 millions avaient été déposés, avant que des journalistes de Mediapart ne lui apprennent, peu de temps avant qu’il soit interrogé par le juge d’instruction.

« Cette histoire est une fable, je suis absolument indigné ! »

Directement mis en cause par le témoin Galy-Dejean, le témoin Pierre Mongin, 66 ans, exerçait le rôle de chef de cabinet du Premier ministre. Le président lui demande sans attendre : « Avez-vous été amené à remettre des fonds ? — Aucun souvenir — Est-ce que la campagne de M. Balladur a bénéficié de fonds spéciaux ? — Pas à ma connaissance. Je n’avais aucune marge d’initiative sur cette question. Je n’ai jamais entendu parler d’un financement de la campagne de M. Balladur. Je n’ai jamais été sollicité, je n’ai jamais reçu d’instructions. » Le président Dominique Pauthe lui demande alors ce qu’il pense des déclarations de René Galy-Dejean, réitérées à la barre avec conviction. « Je n’ai pas donné d’argent à Monsieur Galy-Dejean, cette histoire est une fable, c’est absurde, ça n’a aucune base rationnelle. Je suis absolument indigné par cette histoire ! »

La veille, Nicolas Bazire a fait faux bond à la cour. Il a décidé de ne pas venir témoigner, prétextant son statut de prévenu dans l’autre dossier. Thierry Gaubert, lourdement condamné en première instance pour avoir été un porteur de valise, a fait de même.

L’audience se poursuit ce jeudi. En l’absence d’audition prévue, des procès verbaux seront lus par la cour. 

 

 

Sur ce procès, Dalloz actualité a également publié : 

• Contrats d’armement, rétrocommissions et vieux messieurs, par Pierre-Antoine Souchard le 22 janvier 2021