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Déclenchée par une vidéo, tournée place de la Contrescarpe, puis alimentée par une deuxième, capturée dans le Jardin des Plantes, l’affaire repose également sur une troisième, postée sur les réseaux sociaux par la « cellule riposte » du parti présidentiel pour tenter de défendre Alexandre Benalla. Sauf qu’elle n’aurait jamais dû être extraite des systèmes de la préfecture de police puis conservée. Et encore moins sortir de la « PP ».
par Antoine Blochle 30 septembre 2021
« Ce n’est pas un endroit que j’ai eu l’occasion de perquisitionner », ricane la présidente pour se faire décrire la salle de commandement de la direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC), au sous-sol de la préfecture de police. Large comme la salle d’audience, elle s’organise autour d’un écran géant, et de trente-deux autres plus petits, sur lesquels défilent les images du plan zonal de vidéo-protection (PZVP). Dans la soirée du 1er mai 2018, outre le gratin de la « PP », mais aussi le ministre de l’Intérieur d’alors, Gérard Collomb, trois prévenus s’y croisent : Laurent Simonin, qui supervise le dispositif policier, Alexandre Benalla et Vincent Crase, qui rentrent du terrain. Dans un coin de la salle se trouvent d’autres écrans, ceux de la « cellule Synapse », chargée notamment de la veille sur les sources ouvertes, comme les réseaux sociaux : la vidéo tournée peu avant au portable place de la Contrescarpe y tourne justement en boucle. Peu après, le chef de la cellule en question, Maxence Creusat, qui se trouve être le quatrième prévenu, met l’État major dans la confidence : Benalla « a fait le con ».
C’est plus haut dans les étages de la « PP » que se tient le lendemain une réunion de crise, à laquelle prennent part Creusat, Simonin, et le grand patron de la DOPC, Alain Gibelin. Ce dernier prédit : « C’est une affaire d’État, on va tous sauter ». De fait, lui-même sera relevé de ses fonctions, et les deux autres, mutés respectivement dans un commissariat de Moselle et… à Mayotte. Toujours est-il que, dans la foulée, Simonin rédige une note sur les évènements de la veille. À l’audience, il explique que « cette note, elle a un avantage, c’est qu’elle nomme un responsable ». Lui-même. « Donc vous mettez la tête sur le billot, et vous attendez que ça tombe », résume la présidente : « Et ça ne tombe pas ». « Non, ça ne tombe pas », répond simplement Simonin, qui n’en entendra plus parler avant le mois de juillet. Le même jour, il tient Benalla informé des suites de l’interpellation par SMS, laissant fuiter des éléments de l’enquête. « Pourquoi vous envoyez ça au principal concerné ? », demande la présidente. « Je cherche à le tranquilliser, parce que […] je pense que, ce qui lui est arrivé, c’est de ma faute ».
Dans l’après-midi, la cellule Synapse entreprend de passer en revue les images de la PZVP, pour trouver la trace du « jet de projectile » qui, du moins à en croire Benalla, légitimerait son intervention. Et trouve le passage en question. Sur PV, Creusat a déclaré qu’en faisant ces recherches, il était parfaitement dans son rôle : « protéger les institutions », une fiche de poste qui fait sursauter le tribunal. À la barre, il relativise désormais : « J’ai juste proposé à Laurent Simonin d’objectiver les éléments. Je ne suis pas non plus là à me dire qu’il faut sauver l’Élysée… ». Il rend compte de sa trouvaille, mais, là encore, rien ne tombe : « Le 3 mai, le 4 mai, personne n’en parle… », s’étonne la présidente. « J’ai fait autre chose… Je ne suis pas sûr qu’on ait ré-évoqué ce sujet », rétorque Creusat.
Arrive l’article du Monde, le 18 juillet 2018. Alexandre Benalla a été contacté peu avant par la journaliste. « Elle vous demande des commentaires », précise la présidente. « Non, elle ne me demande pas de commentaire », prétend Benalla : « elle m’informe qu’un papier va passer, je lui réponds que je ne suis pas habilité à lui répondre, et elle ne me pose pas plus de questions ». Après la parution du journal, Maxence Creusat repense aux images de vidéosurveillance, et propose à sa hiérarchie de faire un saut à la « PP » pour remettre la main dessus, en précisant que ces images « pourraient intéresser l’Élysée ». Cette proposition se transforme en « commande », c’est-à-dire en ordre, et il passe toute la soirée à isoler le passage intéressant au milieu des deux heures de bande, puis à copier le fichier. Avant d’en fournir le CD à l’officier de liaison du « Palais », qui le remet à son tour à Benalla. Le lendemain, dès potron-minet, toute la « PP » tente, avec plus ou moins de succès, de joindre ce dernier sur son portable : « On comprend qu’il y a une enquête judiciaire qui est ouverte et qu’on n’avait pas trop le droit de faire ça », explique Creusat. Trop tard : après avoir transité par Ismaël Émelien, alors conseiller spécial d’Emmanuel Macron, le petit bout de vidéo est (brièvement) mis en ligne sur le compte d’un réseau social par la cellule risposte de LREM.
C’est cette seconde séquence, celle du mois de juillet, qui intéresse le tribunal. Car le code de la sécurité intérieure (art. L. 251-2) ne comporte nulle trace d’une quelconque finalité pédagogique, de formation ou de « RET-EX » (retour d’expérience), invoquée par Creusat pour justifier l’extraction puis la conservation de certaines images par la « cellule Synapse », et ce en vertu d’une note interne à la « PP », abrogée depuis. Et il est prévu une habilitation pour les visionner, même si, sur les bancs de la défense, on affirme qu’elle pourrait se confondre avec celle au secret-défense, dont disposaient certains maillons de la chaîne, à commencer par Benalla. La présidente synthétise les dispositions applicables à ce volet concernant la PZVP : « Les agents ne peuvent visionner les images […] que dans des finalités exhaustivement énumérées, […] après y avoir été personnellement autorisés par le responsable du système. […] Et les images ne peuvent être conservées que pour une période limitée [30 jours, NDLR], sauf si elles ont été extraites dans le cadre d’une enquête judiciaire, […] auquel cas elles suivent le régime des scellés ». Et de rappeler les peines encourues : trois ans et 45 000 €.
Il s’agissait de la dernière « affaire dans l’affaire » examinée isolément par le tribunal. Le procès se poursuit jusqu’à la fin de la semaine.
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